Pour l’Allemagne, les Palestiniens sont les boucs émissaires de son lourd passé antisémite

Maram Salem, journaliste palestinienne - Photo : via Palestine Online

Par Palestine Online

Berlin (Palestine Online)- la radio internationale allemande Deutsche Welle (DM) a licencié lundi une journaliste palestinienne qui vit en Allemagne après l’avoir accusée d’être “antisémite” et “anti-Israël”, sur la base d’un post Facebook.

“Je viens d’être informée que j’ai été licenciée de la Deutsche Welle, après qu’un journaliste allemand a publié un rapport m’accusant, avec quelques collègues, d’antisémitisme et d’anti-Israël sur la base de messages que nous avons publiés sur nos comptes Facebook personnels”, a expliqué Maram Salem, la journaliste palestinienne, dans une déclaration publiée sur son compte Facebook, plus tôt dans la journée de lundi.

Salem a ajouté : “Mon post ne comportait aucune expression explicite ou implicite d’antisémitisme et ne mentionnait même pas Israël.”

“Mon post portait uniquement sur la liberté d’expression en Europe”.

Voilà la traduction du post que Salem avait rédigé en arabe : “La liberté d’expression en Europe est une illusion. Elle est limitée par de nombreuses lignes rouges. Les astuces que nous utilisons habituellement (comme le codage de certains mots) ne visent pas à cacher ce que nous publions sur Facebook, mais à empêcher la traduction automatique de présenter nos propos sous un jour qui permettrait à ceux qui nous espionnent et nous traquent de nous faire renvoyer de notre travail ou expulser du pays.”

La journaliste palestinienne a ajouté : “Je crains que les mesures arbitraires prises à mon encontre ne soient le résultat de conflits d’intérêts professionnels internes et de rumeurs malsaines qui ont poussé Deutsche Welle à me désigner comme bouc émissaire pour trouver une issue à la crise.”

“Comment est-il possible qu’un média international prétendument attaché aux libertés renvoie une employée pour avoir simplement émis des doutes sur la liberté d’expression en Europe ?” se demande Salem.

La journaliste palestinienne a noté que l’enquête elle-même n’avait pas été objective car un Israélien avait été recruté par le comité d’enquête externe.

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En outre, les questions de l’enquête étaient “racistes et discriminatoires ; je me suis retrouvée en accusation pour la simple raison que j’étais palestinienne”, a déclaré Salem.

“Tout cela s’est déroulé sans tenir compte de la particularité historique du conflit entre les Palestiniens et les Israéliens et de la dynamique des rapports de force qui régissent cette interminable crise.”

Salem a expliqué que le média DW croyait détenir “la vérité sur le conflit”, et savoir qui avait raison ou tort, “ce qui est assez ironique quand on songe que l’ensemble de la communauté arabe et internationale n’a pas réussi à résoudre ce conflit qui oppose les Israéliens et les Palestiniens depuis plus de 70 ans.”

Lors de l’enquête interne, Salem a déclaré que le jury lui avait posé une “question surprenante”, qu’elle ne s’attendait à se voir poser que par “l’appareil de sécurité d’une dictature”.

“Comment pouvez-vous écrire qu’il n’y a pas de libertés alors que vous travaillez pour la Deutsche Welle ?” a demandé le jury à Salem.

Salem a répondu qu’une telle “question ressemblait beaucoup aux exclamations typiques des officiers des forces de sécurité : “Comment osez-vous dire qu’il n’a pas de liberté d’expression dans ce pays ?”

La journaliste palestinienne a déclaré que les résultats de l’enquête du DW avaient montré que “le simple fait d’être palestinien suffit pour être accusé d’antisémitisme”. “Par conséquent”, a-t-elle ajouté, “je tiens Deutsche Welle pour responsable de ma santé mentale, psychologique et physiologique pendant l’enquête et pour les temps à venir, ainsi que de toutes les conséquences de leur décision sur mon avenir professionnel et ma carrière.”

“Je suis venue en Allemagne”, a dit Salem, “pour préserver ma liberté qui a toujours été ma meilleure arme.”

“J’ai précédemment fait face à des tentatives de répression et des menaces dans mon pays, et j’avais cru que ce serait différent de travailler pour un média international qui a toujours promu les libertés.”

“Néanmoins, on m’a prouvé que j’avais tort ; les médias ne sont pas réellement libres, et un journaliste peut être persécuté publiquement simplement pour avoir dit : “Il n’y a pas de liberté d’expression.”

“La Deutsche Welle veut m’interdire d’exprimer mon opinion !”, a écrit la journaliste palestinienne.

“Il s’agit d’une attaque flagrante contre la liberté d’expression, contre les journalistes, et contre moi, juste parce que je suis palestinienne… Ce n’est pas antisémite d’être palestinien!”

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En décembre dernier, le DW a déclaré qu’il suspendait quatre employés et un pigiste au cours d’une enquête sur des allégations selon lesquelles ils auraient exprimé des “opinions anti-israéliennes et antisémites.”

À l’époque, la DW avait décidé de former une commission d’enquête, composée de l’ancienne ministre allemande de la justice Sabine Leutheusser-Schnarrenberger et du psychiatre palestinien Ahmad Mansour.

Les journalistes suspendus sont le directeur du bureau de la DW à Beyrouth, Basel Aridi, ainsi que les journalistes Dawood Ibrahim, Murhaf Mahmoud, Farah Maraqa, et Maram Salem, la journaliste palestinienne.

Selon des sources médiatiques allemandes, les accusations portées contre les journalistes sont liées à des messages qu’ils ont partagés sur leurs comptes personnels sur les médias sociaux, en plus d’anciens articles publiés sur leurs blogs personnels et dans des journaux arabes. Certains de ces écrits remontent à 2000 et certains ont été supprimés.

Ces messages critiquent le comportement de l’État d’occupation d'”Israël” et la violence de ses colons.

Basel Aridi a été suspendu sur la base d’un tweet qu’il avait écrit en 2014.

Dans ce tweet vieux de 7 ans et maintenant supprimé, Aridi avait exprimé son soutien à la poursuite en justice des citoyens libanais qui admettaient coopérer avec ‘Israël’ contre les intérêts libanais.

DW est critiqué depuis longtemps pour ses reportages biaisés sur les violations israéliennes contre les Palestiniens.

En mai dernier, pendant l’agression meurtrière d’Israël sur la bande de Gaza, DW a distribué un mémo interne à ses journalistes, leur interdisant d’établir ou de laisser un invité établir le moindre lien entre l’État d'”Israël” et le colonialisme.

Dans le guide de reportage envoyé au personnel, le comité éditorial de DW a interdit à ses reporters et rédacteurs de couvrir les crimes israéliens d'”apartheid” et de persécution des Palestiniens.

Le guide de reportage de deux pages, qui a fait l’objet d’une fuite et a été partagé sur les médias sociaux, souligne que l’héritage de l’Holocauste et la responsabilité particulière de l’Allemagne envers “Israël” restent des pierres angulaires de la Constitution du pays et de sa politique étrangère.

“En tant que DW, nous ne remettons jamais en question le droit d’Israël à exister en tant qu’État et nous ne permettons jamais à quiconque de le faire dans nos reportages”, a déclaré Manuela Kasper-Claridge, rédactrice en chef du radiodiffuseur, au personnel.

“Nous ne faisons jamais référence à un quelconque ‘apartheid’ israélien ou ‘régime d’apartheid’ en Israël. Nous évitons également de parler de ‘colonialisme’ ou de ‘colons'”, note aussi le document.

“Nous respectons la liberté d’expression et d’opinion et le droit des gens à critiquer l’un ou l’autre des camps. Cependant, la critique d’Israël devient de l’antisémitisme lorsqu’elle tente de ternir, de discréditer et de délégitimer l’État d’Israël ou la culture et le peuple juifs.”

Dans le même contexte, un drapeau israélien a été installé devant le siège berlinois d’Axel Springer, le plus important groupe de presse allemand, au moment où se déroulaient à travers l’Allemagne des manifestations pro-palestiniennes scandant des slogans de soutien à la Palestine, lors de la dernière agression israélienne sur Gaza.

Le PDG d’Axel Springer a répondu aux critiques en déclarant aux 16 000 employés de l’entreprise qu’ils n’avaient qu’à trouver un autre emploi s’ils avaient un problème avec le fait que le drapeau israélien flotte devant le siège de l’entreprise à Berlin.

“Les travailleurs qui se sont plaints du fait que le drapeau israélien soit hissé devant la plus grande maison d’édition numérique d’Europe devraient chercher un autre emploi”, a déclaré le PDG d’Axel Springer aux employés le 17 juin.

Plusieurs incidents mettent en évidence la difficulté de plus en plus grande de défendre la Palestine en Allemagne où le discours pro-palestinien est quasi-automatiquement assimilé à de l’antisémitisme.

La censure des positions pro-palestiniennes s’est intensifiée en Allemagne après l’adoption d’une Résolution anti-BDS au parlement allemand en 2019.

En classant le mouvement comme antisémite, la Résolution a énormément restreint l’accès aux fonds publics et à l’espace public de toutes les organisations qui soutiennent le BDS.

La répression des défenseurs de la Palestine dépasse le débat sur le BDS, car elle est ancrée dans le soutien idéologique de l’Allemagne à “Israël”. Elle s’inscrit en partie dans les efforts de l’Allemagne pour expier l’Holocauste.

En 2017, l’Allemagne a adopté la définition très controversée de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA).

En 2020, l’Allemagne a pris la présidence de l’IHRA.

La définition de l’IHRA inclut des exemples problématiques d’antisémitisme qui ont été critiqués par des groupes de défense des droits de l’homme ainsi que par certaines organisations sionistes libérales.

Parmi les exemples d’antisémitisme les plus controversés fournis par l’IHRA figure l’interdiction de “faire du deux poids deux mesures en exigeant d’Israël un comportement qui n’est ni attendu ni exigé d’une autre nation démocratique”.

Un autre exemple présenté dans la définition de l’IHRA : “Nier au peuple juif son droit à l’autodétermination, par exemple en prétendant que l’existence d’un État d’Israël est une entreprise raciste.”

Cette définition vise simplement à faire taire les critiques à l’égard d'”Israël” et du sionisme en les assimilant à de l’antisémitisme.

Ces exemples ont également été utilisés par les groupes de pression israéliens pour entraver les activités du mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) dans le monde entier en prétendant que le boycott d’Israël est antisémite.

7 février 2022 – Palestine Online – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet