La pire de toutes les guerres

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Abdel Bari Atwan - Photo : Quantara.de

Par Abdel Bari Atwan

L’Iran ne veut pas la guerre, mais Trump et Netanyahu ont de toutes autres idées.

Des menaces répétées de la part des dirigeants iraniens – dont la dernière venant guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei – de fermer le détroit d’Ormuz sont plus le reflet de l’appréhension croissante du pays plutôt que d’une volonté d’en découdre. Elles sont un appel indirect à l’administration américaine pour s’asseoir autour d’une table pour discuter et rechercher des solutions.

Il est vrai que dans son discours de dimanche, Khamenei a réaffirmé la conviction exprimée par les dirigeants iraniens qu’il n’y a rien de positif à attendre d’un dialogue avec les États-Unis parce que ceux-ci n’appliquent pas les accords signés ni ne respectent leur signature. Mais les dirigeants iraniens engageraient probablement un dialogue si c’était une option sérieuse, au moins pour gagner du temps et éloigner le spectre de la guerre aussi loin que possible.

Le président iranien modéré, Hassan Rohani, a ces derniers jours, élevé le ton en avertissant les États-Unis des conséquences qui pourraient s’en suivre de l’imposition de sanctions supplémentaires à son pays. Il a qualifié ces sanctions à venir de “jeu avec le feu” qui pourrait brûler les doigts de l’incendiaire, déclarant que “la paix avec l’Iran est la mère de toute paix, et la guerre contre l’Iran est la mère de toutes les guerres”.

Les menaces de Rouhani, selon un haut responsable du Golfe bien informé l’a dit à Raialyoum, ont valeur de un message aux États-Unis et à son président actuel, Donald Trump, pour qu’ils soient raisonnables, évitent d’agir imprudemment et recherchent d’autres options. L’Iran, dit cet officiel, sait très bien que la fermeture du détroit d’Ormuz, par lequel 18 millions de barils de pétrole sont expédiés quotidiennement, serait un casus belli qui pourrait réunir de nombreux partis internationaux contre lui et servir ainsi les plans agressifs du président des États-Unis.

Il y a trois choses que les dirigeants iraniens craignent que Trump puisse faire pour les impacter ainsi que leur peuple.

Tout d’abord, imposer un embargo économique étouffant dans l’espoir de retourner le peuple iranien contre son gouvernement et de l’inciter à soutenir, ou du moins à ne pas s’opposer, à toute intervention américaine visant à un changement de régime.

Deuxièmement, mettre sur pied des groupes minoritaires non-persans et non-chiites, à l’instar des modèles syrien et irakien.

Troisièmement, mettre sur le marché de grandes quantités de pétrole venant de ses réserves stratégiques, ce qui fera chuter les prix à des niveaux qui seraient dévastateurs pour l’économie iranienne.

On ne peut pas attendre des Iraniens qu’ils se soumettent aux conditions préalables énoncées par les États-Unis pour tout dialogue éventuels, car cela signifierait une capitulation totale et l’abandon définitif de leurs ambitions nucléaires et de leur système défense à base missiles. Il suffit de se souvenir des conséquences désastreuses du désarmement imposé à l’Irak et c’est donc exclu. Mais si les négociations, qui pourraient en sortir, deviennent une option, surtout avec la participation des Européens, pourquoi pas ?

Le problème des Iraniens est qu’ils traitent avec deux dirigeants qui, chacun pour ses propres raisons, se comportent de manière folle. Le premier ministre israélien, Binyamin Netanyahu, veut en premier lieu couronner sa carrière d’une sorte de “victoire” qui pourrait lui épargner le sort de son prédécesseur, Ehud Olmert, qui a été condamné et emprisonné pour corruption. Et le second est Trump, qui fait l’objet de critiques croissantes de la part de larges sections de l’élite américaine et du public, et qui pense que s’en prendre à l’Iran pourrait l’imposer comme un leader fort.

En 1988-1989, les États-Unis ont mis sur le marché de grandes quantités de pétrole tirées de leurs réserves stratégiques et certains de leurs alliés du Golfe, notamment le Koweït et les Émirats Arabes Unis, ont augmenté leur production au maximum, faisant chuter les cours à moins de dix dollars par baril. Cela a conduit à l’effondrement de l’économie irakienne, qui sortait à peine d’une guerre de huit ans avec l’Iran. Cette situation a finalement poussé le président irakien Saddam Hussein à envahir le Koweït à l’été 1990.

Si les dirigeants iraniens étaient confrontés au même scénario, ils pourraient se sentir contraints à contrecœur de mener la “mère de toutes les guerres” plutôt que d’attendre que la bataille soit menée sur son territoire, son front intérieur déstabilisé et une “révolution” être fomentée parmi ses minorités ethniques et religieuses, tandis que ses exportations de pétrole seront presque complètement stoppées.

C’est peut-être ce à quoi Khamenei et Rohani faisaient allusion dans leurs dernières remarques.

L’Iran pourrait ne pas avoir recours à la fermeture du détroit d’Ormuz comme première étape en réponse aux sanctions américaines imminentes. Il pourrait suffire de libérer des mines dans les voies maritimes du Golfe et de la mer Rouge pour perturber la navigation internationale et causer des problèmes aux navires de guerre américains et aux pétroliers. Cela conduirait à une hausse des prix du pétrole et des coûts des assurances, exactement comme cela s’est produit dans les années 1980 au plus fort de la guerre Irak-Iran.

La région oscille actuellement entre la “mère de la paix” et la “mère des guerres” à cause d’un leadership américain déséquilibré et imprévisible qui s’est transformé en un outil ou une marionnette de Netanyahu et du sionisme international. Cela signifie que cette dernière possibilité ne peut pas être exclue.

Mais l’Iran est fort et devient de plus en plus fort. Il s’est montré exceptionnellement doué pour analyser les développements et évaluer les situations. Nous ne pensons pas qu’il offrira volontairement son cou aux nœuds américains et israéliens. Il va manœuvrer et jouer avec le temps. Mais si les choses atteignent le point où son gagne-pain disparaît et où ses habitants en arrivent à vouloir renverser le régime, la réponse peut être différente – très différente en effet.

A1 * Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan

23 juillet 2018 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine