Gaza : les Israéliens veulent effacer la vérité en massacrant les journalistes

26 décembre 2024 - devant l'hôpital baptiste Al Ahli de Gaza, des journalistes rendent hommage en tenant leurs portraits, à cinq de leurs collègues qui ont été tués dans les attaques israéliennes sur Gaza - Photo : Dawoud Abo Alkas – AA

Par Ramzy Baroud

L’assassinat de sept journalistes et professionnels des médias palestiniens à Gaza le 10 août a suscité des condamnations verbales, mais n’a pas été suivi d’actions concrètes. Cette réaction est désormais la réaction habituelle et effroyable de la communauté internationale au génocide israélien en cours.

En éliminant des journalistes palestiniens comme Anas al-Sharif et Mohammed Qraiqeh, Israël a clairement signifié que le génocide n’épargnera personne. Selon le site web de surveillance Shireen.ps, Israël a tué près de 270 journalistes depuis octobre 2023.

D’autres journalistes risquent de mourir en couvrant le génocide de leur propre peuple à Gaza, d’autant plus qu’Israël a mis au point un discours avantageux et facile à diffuser selon lequel tous les journalistes gazaouis sont tout simplement des « terroristes ».

Le même sophisme monstrueux a été utilisé par de nombreux responsables israéliens par le passé, notamment le président israélien Isaac Herzog, qui a dit que « toute la nation » à Gaza « est responsable », car elle ne s’est pas rebellée contre le Hamas, signifiant par là même qu’il n’y a pas d’innocents à Gaza.

Ce discours israélien, qui déshumanise des populations entières sur la base d’une logique perverse, est fréquemment repris par des responsables assurés de l’impunité. Même les diplomates israéliens, dont le travail consiste en théorie à améliorer l’image de leur pays à l’échelle internationale, se livrent éhontément à ces cyniques accusations rituelles.

Dans des commentaires de janvier 2024, l’ambassadrice israélienne au Royaume-Uni, Tzipi Hotovely, a froidement affirmé que « Toutes les écoles, toutes les mosquées et une maison sur deux ont accès à des tunnels », ce qui fait de Gaza tout entier une cible militaire valide.

Ce langage brutal pourrait facilement être considéré comme de la simple rhétorique, si ce n’est qu’Israël a, en fait, selon les rapports de l’Euro-Med Human Rights Monitor, détruit plus de 70 % des infrastructures de Gaza.

Si les excès de langage sont courants chez les politiciens du monde entier, il est rare qu’ils soient confirmés par des actions tout aussi extrêmes. Cela rend le discours politique israélien particulièrement dangereux et menaçant.

Il ne peut y avoir aucune justification militaire à l’anéantissement total d’une région entière. Pourtant, cela n’empêche pas les Israéliens de claironner éhontément le but abject de ces destructions sans précédent. L’ancien membre de la Knesset Moshe Feiglin a osé dire, en mai dernier, que « chaque enfant, chaque bébé à Gaza est un ennemi… Il ne restera pas un seul enfant gazaoui là-bas ».

Mais pour réussir à détruire entièrement toute une nation, il faut éliminer ses scientifiques, médecins, intellectuels, journalistes, artistes et poètes. Si les enfants et les femmes sont les victimes les plus nombreuses, beaucoup de personnes semblent avoir été tuées dans le cadre d’assassinats ciblés, afin de désorienter la société palestinienne, de la priver de ses dirigeants et de rendre impossible le processus de reconstruction de Gaza.

Les chiffres illustrent clairement ce point : selon un rapport publié par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies, sur la base de la dernière évaluation des dégâts par satellite réalisée en juillet, 97 % des établissements scolaires de Gaza ont été bombardés, et 91 % d’entre eux nécessitent des réparations importantes ou une reconstruction complète. En outre, des centaines d’enseignants et des milliers d’élèves ont été tués.

Mais pourquoi Israël est-il si déterminé à tuer les intellectuels et les enseignants ? La réponse est double : l’une est propre à Gaza, l’autre à la nature même de l’idéologie fondatrice d’Israël, le sionisme.

Tout d’abord, en ce qui concerne Gaza : depuis la Nakba en 1948, la société palestinienne de Gaza a investi massivement dans l’éducation, qu’elle considère comme un outil essentiel pour la libération et l’autodétermination.

Dès le début du génocide, on a vu circuler des images de salles de classe installées dans des tentes et des espaces ouverts, qui témoignaient de la quête insatiable de connaissances de cette communauté. Ce focus sur l’éducation a transformé la bande de Gaza en un centre régional de production intellectuelle et culturelle, malgré le manque de financement des écoles de l’UNRWA.

La campagne de destruction menée par Israël est une tentative délibérée d’effacer cette réussite générationnelle, une pratique connue sous le nom de « scholasticide », et Gaza est la victime la plus indéniable de ce crime monstrueux.

Deuxièmement, en ce qui concerne le sionisme : pendant de nombreuses années, on nous a fait croire que le sionisme était en train de gagner la guerre intellectuelle grâce à l’intelligence et au raffinement de la propagande israélienne, ou hasbara. Le discours dominant, en particulier dans le monde arabe, était que les Palestiniens et les Arabes n’étaient tout simplement pas à la hauteur de l’invincible machine de relations publiques israélienne et pro-israélienne qui opérait dans les médias occidentaux.

Cela a créé un sentiment d’infériorité intellectuelle, qui a masqué la véritable raison du déséquilibre.

En fait, si Israël a pu « gagner » la guerre de l’information et imposer sa rhétorique dans le discours des médias grand public, c’est grâce à la marginalisation et à la diabolisation incessantes des voix palestiniennes et pro-palestiniennes.

Les Palestiniens et leurs soutiens n’avaient aucune chance de contrecarrer la propagande israélienne, tout simplement parce que l’accès aux médias leur était interdit et qu’ils étaient qualifiés de « sympathisants terroristes » ou autres.

Même le regretté Edward Said, universitaire palestinien de renommée mondiale, a été traité de « nazi » par la Ligue de défense juive, une organisation extrémiste aujourd’hui interdite, qui est allée jusqu’à incendier le bureau universitaire de cet estimable professeur.

Gaza, cependant, représentait un problème majeur. Israël a interdit l’accès de la bande de Gaza aux médias étrangers, mais les intellectuels gazaouis se sont mobilisés et ils ont réussi, en l’espace de deux ans, à renverser la situation et à annuler tous les progrès réalisés par la propagande sioniste au cours du siècle dernier.

Cela a contraint Israël à se lancer dans une course désespérée contre la montre pour éliminer au plus vite le plus grand nombre possible de journalistes, d’intellectuels, d’universitaires et même d’influenceurs palestiniens.

Malgré cela, Israël n’a aucune chance de gagner la guerre culturelle, car les idées ne sont pas liées à des individus spécifiques, ni à des métiers ou des titres, et la résilience et la résistance font partie de la culture palestinienne.

Gaza renaîtra une fois de plus, non seulement comme le lieu de grande richesse culturelle qu’il a toujours été, mais comme la pierre angulaire d’un nouveau discours de libération qui inspirera le monde entier en montrant le pouvoir de l’intellect qui donne la force de persévérer dans la lutte pour la justice et de consacrer sa vie à une cause supérieure.

22 août 2025 – Middle-East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet

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