Israël rejette l’enquête de la Cour pénale internationale : les scénarios possibles

Photo : Nations Unies/Shareef Sarhan

13 juillet 2014 - Des enfants palestiniens se dirigent vers une école de l'UNRWA pour fuir les bombardements israéliens et chercher refuge après avoir abandonné leur maison dans la ville de Gaza - Photo : Nations Unies/Shareef Sarhan

Par Romana Rubeo, Ramzy Baroud

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a enfin exprimé la position du gouvernement israélien concernant l’enquête imminente de la Cour pénale internationale sur les crimes de guerre présumés commis en Palestine occupée.

“Nous attesterons qu’Israël est un pays de droit qui sait enquêter sur lui-même”, a déclaré Netanyahou le 8 avril. Par conséquent, Israël “rejette complètement” toute accusation selon laquelle il aurait commis des crimes de guerre.

Mais Tel Aviv ne s’en tirera pas aussi facilement cette fois-ci. Il est vrai qu’Israël n’a pas signé le Traité de Rome qui a donné le jour à la CPI, mais il peut tout de même avoir à rendre des comptes car l’État de Palestine est membre de la CPI.

La Palestine a rejoint la CPI en 2015, et les crimes de guerre qui feraient l’objet d’une enquête, ont eu lieu sur le sol palestinien. Cela confère à la CPI une compétence directe, même si les crimes de guerre ont été commis par un acteur qui n’est pas membre de la CPI. Il n’est pourtant pas certain qu’il soit possible d’établir la responsabilité d’Israël. Quels sont donc les scénarios envisageables ?

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Mais d’abord, revenons au contexte…

Impunité flagrante

Le 22 mars, l’ambassadeur palestinien auprès des Nations unies, Riyad Mansour, a déclaré : “Le temps est venu de mettre fin à l’impunité flagrante d’Israël”. Ses remarques ont été incluses dans une lettre envoyée au Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, et à d’autres hauts responsables de l’organisation internationale.

Les Palestiniens pensent avec un optimisme mesuré que, cette fois-ci, les responsables israéliens pourraient être tenus pour responsables de crimes de guerre et autres violations des droits de l’homme en Palestine. La raison de cet optimisme est la décision récente de la CPI de poursuivre son enquête sur les crimes de guerre présumés commis dans les territoires palestiniens occupés.

La lettre de Mansour a été rédigée en tenant compte de ce contexte. D’autres responsables palestiniens, comme le ministre des affaires étrangères, Riyad al-Maliki, poussent également dans cette direction. Il souhaite lui aussi que l’impunité d’Israël prenne fin.

Les réactions israéliennes qui ont précédé la déclaration officielle de Netanyahu ont été des plus prévisibles. Le 20 mars, les autorités israéliennes ont décidé de révoquer le permis de voyage spécial d’Al-Maliki afin d’interrompre les efforts diplomatiques palestiniens pour garantir la poursuite de l’enquête de la CPI.

Al-Maliki revenait justement d’un voyage à La Haye, où se trouve le siège de la CPI.

En outre, Israël tente ouvertement d’intimider l’Autorité palestinienne de Ramallah pour qu’elle cesse de coopérer avec la CPI. “Les dirigeants palestiniens doivent savoir que leurs actions auront des conséquences”, a déclaré officiellement un responsable israélien au Jerusalem Post le 21 mars.

Malgré des années de marchandage juridique et d’intenses pressions exercées sur la procureure générale sortante de la CPI, Fatou Bensouda, pour qu’elle abandonne complètement l’enquête, les procédures judiciaires se poursuivent.

La pression israélienne a pris diverses formes : diffamation directe de la CPI avec des accusations d’antisémitisme ; sanctions américaines sans précédent contre des fonctionnaires de la CPI et ingérence et intervention constantes, au nom d’Israël, par les États membres qui font partie de la CPI, et qui font office d’amici curiae (*).

Ils n’ont pas réussi. Le 30 avril 2020, Bensouda a consulté la Chambre préliminaire de la Cour pour savoir si la CPI était compétente en la matière. Dix mois plus tard, la Chambre a répondu par l’affirmative. Alors la Procureure a décidé d’ouvrir officiellement l’enquête.

Le 9 mars, un porte-parole de la Cour a révélé que, conformément à l’article 18 du Statut de Rome, des lettres de notification avaient été envoyées par le bureau de la Procureure à “toutes les parties concernées”, y compris le gouvernement israélien et les dirigeants palestiniens, les informant de l’enquête sur les crimes de guerre et leur accordant un mois seulement pour demander le report de l’enquête.

Comme on pouvait s’y attendre, Israël reste défiant. Cependant, contrairement à son obstination face aux précédentes tentatives internationales d’enquête sur les allégations de crimes de guerre en Palestine, la réponse israélienne, cette fois, semble confuse et incertaine.

Les médias israéliens ont révélé en juillet dernier que le gouvernement de Netanyahou a préparé une longue liste de potentiels suspects israéliens, dont la conduite pourrait faire l’objet d’une enquête de la CPI. Mais la réponse officielle d’Israël est un rejet total de la question, jugée superfétatoire, et un refus absolu de coopérer avec les enquêteurs de la CPI.

Bien que le gouvernement israélien maintienne sa position officielle selon laquelle la CPI n’a aucune compétence sur Israël et la Palestine occupée, les hauts responsables et diplomates israéliens agissent rapidement pour bloquer ce qui semble être une enquête imminente. Par exemple, le président israélien, Reuven Rivlin, a fait une visite officielle en Allemagne pour rencontrer, le 18 mars, son homologue allemand Frank-Walter Steinmeier, et le remercier au nom d’Israël de s’opposer à l’enquête de la CPI sur des officiels israéliens.

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Après avoir fustigé les dirigeants palestiniens qui tentent de “judiciariser” le conflit par le biais d’une enquête internationale, Rivlin a réaffirmé la “confiance d’Israël dans le fait que nos amis européens seront à nos côtés dans l’important combat contre l’utilisation abusive de la Cour pénale internationale contre nos soldats et nos civils”.

Mais l’enquête à venir de la CPI est différente des précédentes tentatives d’enquête sur les crimes de guerre israéliens, comme le massacre de Jénine en Cisjordanie en 2002, et des enquêtes sur plusieurs guerres israéliennes contre Gaza à partir de 2008-09. Notamment parce que l’enquête de la CPI vise des individus, et non des États, et peut émettre des mandats d’arrêt qui contraignent légalement tous les autres membres de la CPI à appliquer les décisions de la Cour.

Maintenant que toutes les tentatives visant à dissuader la Cour de poursuivre l’affaire ont échoué, la question doit être posée : Quels sont les scénarios possibles pour la suite ?

L’étape suivante

Si l’enquête se poursuit comme prévu, la prochaine étape pour la Procureure sera d’identifier les suspects et les auteurs présumés de crimes de guerre. Le Dr Triestino Mariniello, membre de l’équipe juridique qui représente les victimes de Gaza, m’a dit qu’une fois ces suspects identifiés, “le Procureur en place (**) demandera à la Chambre préliminaire de délivrer soit des mandats d’arrêt, soit des citations à comparaître, au moins en ce qui concerne les crimes déjà inclus dans l’enquête jusqu’à présent”.

Ces crimes de guerre présumés incluent déjà les colonies juives illégales d’Israël, la guerre israélienne contre Gaza en 2014 et le ciblage par Israël de manifestants civils non armés lors de la Grande Marche du retour de Gaza, à partir de 2018.

La Cour pourrait même, idéalement, élargir le champ de l’enquête, comme le souhaitent les représentants des victimes palestiniennes.

“Nous souhaiterions que davantage de crimes soient inclus : en particulier, l’apartheid en tant que crime contre l’humanité et les crimes contre les prisonniers palestiniens par les autorités israéliennes, notamment la torture”, selon le Dr Mariniello.

En substance, cela signifie que, même après l’ouverture officielle de l’enquête, l’équipe juridique de la Palestine pourra continuer son plaidoyer pour élargir la portée de l’enquête et couvrir autant de terrain juridique que possible.

Un « champ d’application étroit »

Cependant, à en juger par les expériences précédentes, les scénarios optimistes concernant d’éventuelles enquêtes sur les crimes de guerre israéliens se sont rarement concrétisés. Il est donc plus probable que l’enquête ne sera pas élargie.

Lors d’un récent entretien avec l’ancien rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés, le professeur Richard Falk, ce dernier m’a dit que même si le champ d’application de l’enquête n’était pas élargi – ce qui réduirait la possibilité que toutes les victimes obtiennent justice – l’enquête resterait une “avancée”.

La raison pour laquelle l’enquête ne sera sans doute pas élargie a moins à voir avec la justice qu’avec la politique. “La portée de l’enquête est quelque chose de mal défini, c’est donc une question politique”, a déclaré le professeur Falk.

En d’autres termes, “la Cour préfère adopter une position prudente quant à la délimitation de sa juridiction et réduire la portée de ce sur quoi elle est prête à enquêter.”

Le professeur Falk n’est pas d’accord avec la position de la Cour. Pour l’expert chevronné en droit international “cela signifie que la CPI, comme l’ONU elle-même, est soumise à une immense pression géopolitique.”

Mais il n’en reste pas moins que le simple fait “d’envisager l’enquête est déjà une percée, sans parler de l’inculpation et de la poursuite d’Israéliens ou d’Américains qui a été mise à l’ordre du jour de la CPI, ce qui a suscité l’opposition de ces gouvernements.”

L’occasion manquée par Israël

Si les deux scénarios ci-dessus correspondent aux souhaits des Palestiniens, ils sont absolument rejetés par le gouvernement israélien, comme l’indique la récente déclaration de Netanyaou. Selon certains experts pro-israéliens en droit international, ce rejet serait une erreur.

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Dans le journal israélien Haaretz, Nick Kaufman, expert en droit international, conseille à Israël de coopérer dans le seul but d’obtenir un “sursis” de la Cour et d’utiliser le délai ainsi obtenu pour se livrer à des manœuvres politiques.

“Il serait dommage qu’Israël rate l’occasion d’obtenir un report qui serait un prétexte idéal pour relancer les pourparlers de paix avec les Palestiniens”, écrivait-il, avertissant que “si Israël gaspille une telle occasion, il ne faudra pas s’étonner si, à une date ultérieure, la Cour laisse entendre que le gouvernement n’a personne d’autre à blâmer que lui-même pour le transfert du processus judiciaire à La Haye.”

Il existe d’autres scénarios, tels que des pressions encore plus intenses sur la Cour en raison des discussions en cours entre Israël et ses bienfaiteurs, que ce soit à Washington ou parmi les amici curiae de la Cour elle-même.

Les Palestiniens restent prudents quant à l’avenir de l’enquête, mais l’espoir renaît lentement. Peut-être que, cette fois-ci, les choses seront différentes et que les criminels de guerre israéliens auront à répondre de leurs crimes. C’est l’avenir qui nous le dira.

Notes :

* L’amicus curiae était à l’origine une procédure exceptionnelle mise à la disposition des tribunaux dans le monde anglo-saxon, pour éviter les erreurs et pallier les insuffisances de procédure. Mais il est désormais utilisé de manière systématique par des groupements d’intérêts pour tenter d’instrumentaliser la Cour à leur profit ou au profit d’une des parties.

** L’actuelle procureure, Fatou Bensouda, sera remplacée par Karim Khan le 16 juin prochain.

2 mars 2021 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet