Il faut sauver le système de santé de Gaza!

Des Palestiniens se rassemblent autour de l'hôpital al-Shifa incendié et détruit après le retrait des forces israéliennes d'occupation - Photo : Osama Rabii via Al-Jazeera

Par Hadeel Awad

Le système de santé s’effondre à Gaza. La seule chose qui le maintient encore en vie, c’est le sens du devoir moral des professionnels de santé qui ont survécu.

Je commence mon service aux urgences de l’hôpital al-Shifa à 7h30 du matin et j’y reste pendant 24 heures. Pendant ce temps, les patients affluent sans discontinuer, souffrant de crises cardiaques, d’hypothermie ou de maladies chroniques qui se sont soudainement aggravées faute de traitement pour les blessures traumatiques causées par les attaques israéliennes.

Lors d’un service normal, nous sommes quatre à six infirmières et jusqu’à trois médecins, soit environ un tiers du personnel que comptait le service des urgences avant la guerre.

Comme beaucoup d’autres membres du personnel médical, je ne suis pas rémunérée pour ce travail. L’hôpital n’a pas les moyens de nous payer ; certains collègues reçoivent parfois une rémunération symbolique de la part d’organisations de soutien. Plus personne n’a de salaire fixe.

Sur les 29 départements existants, seuls trois sont partiellement opérationnels à al-Shifa. La plupart des bâtiments de ce complexe médical autrefois tentaculaire sont détruits ou incendiés.

Nous travaillons dans trois d’entre eux qui ont été partiellement restaurés.

Une fois mon service terminé, je retourne dans ma maison bombardée, dont les murs ont été remplacés par des bâches. Nous n’avons ni chauffage, ni électricité, ni eau courante, et nous avons du mal à nous nourrir correctement car je n’ai aucun revenu.

Telle est la réalité à laquelle sont confrontés les travailleurs médicaux dans toute la bande de Gaza. Cela fait plus de deux mois que le cessez-le-feu est entré en vigueur, mais les hôpitaux de Gaza ressemblent toujours à des champs de bataille.

Le secteur de la santé est au bord de l’effondrement ; il fonctionne à peine grâce au travail bénévole d’innombrables professionnels de la santé et à leur sens du devoir moral.

Partout dans la bande de Gaza, les médecins travaillent sous une pression énorme, les infirmières accomplissent des tâches qui dépassent leurs capacités et les patients font la queue pendant des heures pour tenter d’obtenir des médicaments indisponibles ou subir des opérations reportées en raison du manque d’équipement.

Le taux d’occupation des hôpitaux a atteint des niveaux records et, dans certains services, la capacité d’accueil a été dépassée de plusieurs fois.

Les équipes médicales travaillent dans un environnement où presque tout manque : médicaments essentiels, respirateurs, salles d’opération fonctionnelles et même lits.

À cela s’ajoute une grave pénurie de pièces de rechange pour les équipements médicaux défectueux, ce qui signifie que même un dysfonctionnement mineur peut interrompre le traitement de dizaines de patients.

Il y a à Gaza 350 000 personnes atteintes de maladies chroniques, dont la majorité ne peut pas recevoir leurs traitements réguliers.

Il y a 42 000 personnes souffrant de blessures qui changent leur vie et qui ont besoin de multiples interventions chirurgicales et/ou d’une rééducation à long terme, ce qui est inaccessible à Gaza.

Plus de 16 000 patients ont besoin d’une évacuation médicale urgente ; près de 1100 sont morts en attendant d’être autorisés à quitter l’enclave assiégée pour se faire soigner.

Pendant ce temps, Israël continue de bombarder des civils et de bloquer la livraison de médicaments essentiels et vitaux, notamment des médicaments contre le cancer, des fournitures pour la dialyse, des médicaments pour le cœur, des antibiotiques, de l’insuline et des solutions intraveineuses pour les soins d’urgence.

Au moins 411 personnes ont été tuées et 1112 blessées par les attaques israéliennes depuis l’entrée en vigueur de la trêve le 10 octobre.

Nous ne pouvons que deviner le nombre de personnes qui sont mortes à cause de la décision d’Israël de bloquer les médicaments.

Toutes ces pressions – le nombre élevé de patients, les infrastructures médicales détruites et le manque de médicaments – pèsent sur les épaules des travailleurs médicaux qui ont déjà vécu l’enfer.

Selon Medical Aid for Palestinians, au moins 1722 de nos collègues ont été tués pendant le génocide. Certains ont fui Gaza dès qu’ils en ont eu l’occasion.

Au moins 80 de nos collègues sont toujours détenus dans des prisons israéliennes, dont le Dr Hussam Abu Safia, directeur de l’hôpital Kamal Adwan.

Ceux d’entre nous qui sont encore sur le terrain, au travail, sont épuisés. Les images des horreurs du génocide continuent de nous hanter : des bébés et des enfants qui ont perdu plusieurs membres, des personnes âgées souffrant de graves blessures internes qui ne peuvent être opérées, des jeunes souffrant de blessures à la colonne vertébrale ou à la tête dont la vie dépend désormais entièrement d’un soignant et d’équipements ou de médicaments indisponibles.

« Je porte mon chagrin dans ma poche, parmi les instruments et les bandages. Parfois, je soigne un enfant qui ressemble à mon propre fils, et je dois cacher mes larmes », m’a récemment confié un collègue de l’hôpital al-Shifa qui a perdu un enfant.

Un autre collègue m’a dit : « Nous ne travaillons pas dans un hôpital ; nous sommes sur un champ de bataille, où nous luttons contre le temps et la mort. »

Nous, les travailleurs médicaux de Gaza, ne sommes pas simplement des soignants ou des employés. Nous sommes les témoins d’une tragédie, des héros sans armure, des soldats dans une guerre d’un autre genre.

Certains d’entre nous ont perdu des êtres chers, d’autres ont perdu leur maison, et pourtant nous retournons au travail, mettant de côté notre douleur personnelle. Non pas parce que nous sommes intrépides, mais parce que nous ne pouvons pas nous permettre d’abandonner nos patients.

Malgré l’épuisement, la peur et le chagrin, il y a une volonté inébranlable, il y a des cœurs qui battent avec le sens du devoir et de l’humanité.

Nous continuerons, mais nous ne pouvons pas le faire seuls. Nous avons besoin d’une aide urgente pour restaurer le secteur de la santé à Gaza, rééquiper les salles d’opération et reconstituer les stocks de fournitures médicales.

Gaza n’a pas besoin de nouvelles déclarations, mais de médicaments, d’équipements, de personnel et d’une garantie du droit fondamental à des soins médicaux.

Que cet article soit un appel à l’aide, un appel à une action urgente. Il faut sauver le système de santé de Gaza afin qu’il puisse à nouveau sauver des vies. La vie des Palestiniens compte.

29 décembre 2025 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine

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