Génocide à Gaza : un crime parmi tant d’autres

Novembre 2025 - Nibal al-Hissi et sa fille, Rita - Photo : Saja Nael Al-Louh / Mondoweiss

Par Noor Alyacoubi

Une attaque israélienne contre son refuge a entraîné l’amputation des deux mains de Nibal, la privant ainsi de ce qui lui était le plus cher : la possibilité de tenir sa petite fille dans ses bras. Son histoire est celle de centaines de femmes amputées à Gaza.

Lorsque Rita, âgée de deux ans, pleure la nuit, sa mère, Nibal al-Hissi, ne peut que l’appeler depuis son matelas. Sans mains, elle ne peut ni soulever sa fille, ni la réconforter, ni lui donner à boire.

« Mes bras me font très mal chaque fois que j’essaie de la porter ou de la serrer dans mes bras », explique la jeune femme, âgée de 27 ans, d’une voix tremblante. « Je prends des analgésiques, mais ils ne me soulagent presque pas. »

La vie de Nibal a basculé le 7 octobre 2024, premier anniversaire du début du génocide, lorsque les tirs d’artillerie israéliens ont frappé son abri dans le camp de Nuseirat, dans le centre de Gaza.

La zone avait été désignée « zone de sécurité » dans le cadre des directives d’évacuation israéliennes. L’explosion lui a sectionné les deux mains. « Mes avant-bras ont été coupés immédiatement », se souvient-elle. « J’ai vu le sang couler de mes bras sous mes yeux. »

Le ministère palestinien de la Santé a signalé six mille cas d’amputation depuis le début de la guerre israélienne contre Gaza. Les enfants représentent 25 % de toutes les amputations, et les femmes 12,7 %.

Avec les hôpitaux détruits par les bombardements, les équipes médicales tuées ou déplacées et les fournitures essentielles bloquées, les médecins ont été contraints de procéder à des amputations même dans des cas qui auraient pu être traités sans amputation dans des circonstances normales.

De nombreuses interventions ont été pratiquées sans anesthésie et dans des conditions inhumaines, ce qui a entraîné de graves complications qui ont rendu par la suite l’ajustement des prothèses beaucoup plus difficile.

Une maternité brisée

À l’hôpital, immédiatement après l’explosion, enveloppée dans des bandages et des draps d’hôpital, Nibal a supplié les infirmières de lui amener sa petite fille. Elle se souvient que Rita l’a regardée et s’est mise à pleurer, sans pouvoir s’arrêter. « Elle a refusé de s’approcher. Ce moment m’a détruit… »

Avant la guerre, Rita n’avait que quelques semaines. Nibal savourait ses premiers mois de maternité. « Je construisais une petite famille avec mon mari dans notre jolie maison », dit-elle. « J’aimais tout dans le fait d’être mère. La changer, la nourrir, la serrer dans mes bras. Maintenant, je ne peux plus rien faire pour elle. »

Novembre 2025 – Nibal al-Hissi et sa fille, Rita – Photo : Saja Nael Al-Louh / Mondoweiss

Même à son âge, Rita a senti le changement. « Elle sait que je ne peux plus faire certaines choses pour elle », explique Nibal. « Elle se met en colère, elle est inquiète et parfois, elle m’évite. »

Pourtant, Nibal essaie de s’accrocher à ce qui reste. « J’essaie de compenser en restant à ses côtés toute la journée », dit-elle d’une voix douce. « Je la laisse jouer autour de moi. Je lui procure des jouets. Je lui raconte des histoires. Je lui parle comme si elle était plus âgée et comprenait tout. »

Malgré tous les efforts de Nibal, l’attention physique dont Rita avait besoin reste hors de portée. Nibal a finalement engagé quelqu’un pour l’aider dans les soins quotidiens. Le choc est survenu lorsque Rita a commencé à appeler cette assistante « maman ».

« À ce moment-là, j’ai perdu la tête », dit Nibal doucement. « J’ai réalisé tout ce que mon accident m’avait enlevé. Mon droit de jouir de ma maternité. » « J’ai réalisé que la perte de mes mains affectait tous les aspects de ma vie. »

Dépendance, divorce et difficultés quotidiennes

Avant l’attaque, Nibal était forte, active et totalement indépendante. Elle cuisinait, s’habillait, se coiffait et s’occupait de sa maison sans difficulté. Tout cela a disparu en un instant. Aujourd’hui, elle dépend de la disponibilité et de l’empathie des autres.

« Ce qui rend les choses plus difficiles, c’est que j’ai besoin de quelqu’un pour m’aider et aider ma fille », dit-elle. « J’ai besoin de quelqu’un pour porter Rita quand elle pleure, la nourrir quand elle a faim, changer ses couches, l’habiller, la coiffer. Tout. »

« Je ne peux pas solliciter qui que ce soit », ajoute-t-elle. « Je dois attendre que quelqu’un soit disponible. »

Le poids émotionnel de cette dépendance l’écrase. « Le sentiment le plus difficile que j’ai éprouvé depuis l’amputation est ce sentiment écrasant d’invalidité », dit-elle.

« Je me sens comme un fardeau pour tous ceux qui m’entourent. Je ne leur en veux pas. Tout le monde a des responsabilités. Personne ne peut consacrer sa vie à veiller sur mes propres besoins. »

Elle marque une pause. « Je ressens même de la pitié pour moi-même, parce que je suis devenue un fardeau. Les gens vous aiment quand vous êtes fort. Quand vous êtes faible et que vous avez besoin d’aide, personne n’est là pour vous. »

Les gens la décrivent souvent comme une personne forte et résiliente. Mais à l’intérieur, dit-elle, « je suis brisée, vaincue et seule ».

Chaque aspect de sa vie lui rappelle constamment sa perte. Elle a besoin d’aide même pour les tâches les plus intimes. « C’est le moment le plus difficile de ma journée », dit-elle. « Je dois attendre que quelqu’un se réveille dans la maison pour m’aider à aller aux toilettes. Qui pourrait supporter cela ? »

Son sentiment d’être indésirable s’est développé après son amputation, surtout lorsque son mari a décidé de divorcer. « Je ne peux même pas blâmer qui que ce soit », soupire-t-elle. « Mon ex-mari a été le premier à m’abandonner parce que je n’étais plus en mesure d’assumer mes responsabilités. »

Pendant ce temps, Rita continue de lutter avec la blessure de sa mère. « Elle pleure chaque fois qu’elle me demande quelque chose et que je ne peux pas répondre », explique Nibal. « Ne pas pouvoir m’occuper de ma fille me brise le cœur chaque jour. »

Pourtant, Nibal refuse d’abandonner. « Rita est toute ma vie », affirme-t-elle avec fermeté. « Elle est la seule raison pour laquelle je continue à vivre. »

Novembre 2025 – Nibal al-Hissi et sa fille, Rita – Photo : Saja Nael Al-Louh / Mondoweiss

Nibal s’efforce de combler ce vide par une grande proximité affective. « Je lui rappelle chaque jour que je suis sa mère. Je lui raconte des histoires. Je la garde près de moi. Certains jours, elle s’adapte. D’autres jours, elle refuse l’aide de quiconque sauf la mienne. Dans ces moments-là, je fonds en larmes. »

Aujourd’hui, le plus grand souhait de Nibal est de se rendre à l’étranger pour se faire soigner et recevoir des prothèses de mains qui pourraient lui redonner une certaine indépendance et lui permettre de retrouver une partie de son identité et de sa maternité.

« Je veux juste pouvoir à nouveau prendre soin de moi et de ma fille », dit-elle.

En octobre 2025, peu après l’annonce d’un cessez-le-feu, le ministère de la Santé a informée Nibal qu’elle avait été autorisée à être évacuée pour raisons médicales via le passage de Rafah. L’espoir renaissait. Elle s’est permis d’imaginer pouvoir à nouveau soulever Rita.

Mais le passage n’a jamais été ouvert. Les responsables palestiniens et les organisations humanitaires ont rapporté qu’Israël refusait d’autoriser les transferts médicaux, ce qu’ils ont qualifié de nouvelle violation de l’accord de cessez-le-feu.

La guerre menée par Israël contre Gaza a fait plus de 70 000 morts et plus de 170 000 blessés. Parmi les blessés, au moins 16 000 patients doivent être évacués immédiatement pour être soignés à l’étranger.

L’histoire de Nibal n’est qu’une parmi des milliers d’autres.

1er décembre 2025 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine

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