Cour Pénale Internationale : il est plus que temps de passer aux actes

Les suites d'un bombardement israélien sur des zones d'habitation dans Gaza -Des Palestinienne pleurent sur les dépouilles de leurs proches assassinés - Photo : via al-Qods News network

Par Qamar Taleb

Le procureur général de la CPI ne cesse de demander des preuves concernant le génocide israélien à Gaza, voici donc la partie émergée de l’iceberg…

Le 30 octobre 2023, Karim Khan, procureur général de la Cour pénale internationale (CPI), a fait une déclaration d’intention sur la guerre israélienne contre Gaza : « Les lois qui nous régissent, le Statut de Rome qui encadre notre activité, exigent que les vies innocentes soient particulièrement protégées. Et ce qui est le plus important, c’est que l’application de la loi n’est pas théorique. Les gens entendent des promesses depuis longtemps. Il y a eu suffisamment de mots pour remplir des bibliothèques. À mon avis, les protections offertes par la loi doivent s’appliquer de la même manière, indépendamment de la race, de la religion, de la nationalité ou du sexe de la personne ».

Et il a tout à fait raison, mais sa dernière phrase s’ajoutera à toutes celles qui remplissent déjà les bibliothèques, si la Cour qu’il préside ne prend pas de mesures concrètes.

Les Palestiniens ont entendu beaucoup de vaines promesses depuis la Nakba, pendant qu’ils étaient brutalement assassinés jour après jour sous les yeux du monde entier. Les hommes politiques, les militants et les organisations de défense des droits de l’homme ont tous regardé en silence, et c’est le silence de la Cour pénale internationale qui a été le plus bruyant.

Dix ans se sont écoulés depuis que la Palestine a accepté la compétence de la CPI en vertu de l’Article 12(3) du Statut de Rome, y compris pour le territoire occupé de la partie orientale d’al-Quds.

Le 16 janvier 2015, le procureur a annoncé l’ouverture d’un examen préliminaire sur la guerre contre la Palestine afin de déterminer si les critères d’enquête étaient remplis. Il a fallu près de cinq ans à la Cour pour se prononcer sur ces critères.

Entre-temps, Fatou Bensouda a été nommée procureur général de la Cour, et elle a annoncé que les critères de l’enquête avaient été remplis, mais les États-Unis l’ont sanctionnée pour avoir fait cette annonce.

Et comme rien n’est jamais autorisé à bien se passer pour les Palestiniens, Bensouda a elle-même demandé à la Chambre préliminaire I de clarifier la portée territoriale de la juridiction de la Cour, ce qui a pris une autre année, elle-même suivie d’un silence bruyant et d’une complète inaction, contrairement à la guerre en Ukraine qui n’a pas nécessité le moindre délai de réflexion de la Cour, puisqu’il n’a fallu que 24 heures à cette même Cour pour ouvrir une enquête.

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Le 17 novembre 2023, en réponse à l’inique génocide israélien perpétré à Gaza à partir du 7 octobre 2023, l’Afrique du Sud, le Bangladesh, la Bolivie, les Comores et Djibouti ont soumis une requête à la Cour concernant la guerre contre Gaza, sur laquelle le procureur a confirmé qu’il « enquêtait ». La République du Chili et les États-Unis du Mexique ont également saisi la Cour le 18 janvier.

Miroir, mon beau miroir, qui est le plus coupable de tous ?

L’Article 25(1), du Statut de Rome stipule que la Cour est compétente pour juger les personnes physiques. Une partie de ces personnes sont des commandants et d’autres responsables qui sont souvent amenés devant la Cour en raison du rôle crucial et prépondérant qu’ils jouent dans les guerres.

L’Article 28(a) du Statut traite de la responsabilité de ces commandants et responsables en stipulant que le commandant militaire ou la personne agissant effectivement en tant que tel est pénalement responsable pour les crimes relevant de la compétence de la Cour commis par tout subordonné placé sous leur commandement et leur contrôle effectifs ou leur autorité effective.

Cependant, deux conditions doivent être remplies, la première étant qu’ils savaient ou, en raison du contexte de l’époque, auraient dû savoir que leurs forces commettaient de tels crimes, et la deuxième condition est que le commandant ou la personne agissant effectivement en tant que tel n’ait pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables en son pouvoir pour empêcher ces crimes, y compris en en référant aux autorités compétentes.

La question se pose donc de savoir qui est le commandant militaire ou la personne agissant effectivement en tant que tel en « Israël » ? En essayant de construire « son propre pays » sur le sang des Palestiniens et les ruines de leurs maisons, l’occupation a créé un système juridique et un gouvernement que de nombreux pays dans le monde réprouvent profondément.

Selon l’Institut israélien de la démocratie, la Loi fondamentale [1] donne à « l’autorité politique l’autorité sur les forces armées », précisant qu’en l’espèce, l’institution politique chargée de contrôler les forces d’occupation est le gouvernement d’occupation.

Le ministre chargé de ces forces par le gouvernement d’occupation est le ministre de la sécurité. Cela signifie que le ministre de la sécurité n’est responsable que de la gestion des opérations quotidiennes, mais que le gouvernement d’occupation est responsable des décisions stratégiques plus larges des forces d’occupation.

Ceci est confirmé par l’article 40 de la loi fondamentale de l’occupation, qui stipule que le gouvernement d’occupation doit décider quand « Israël » entre en guerre ou lance « une opération militaire significative, qui est susceptible de conduire, à un niveau de probabilité proche de la certitude, à la guerre ».

Historiquement, les gouvernements d’occupation israéliens ont autorisé explicitement ou implicitement le premier ministre, agissant conjointement avec le ministre de la sécurité (et parfois avec le ministre des affaires étrangères), à approuver des opérations militaires en-deçà de la guerre ou des actions susceptibles de conduire à la guerre.

Cela fait donc de Benjamin Netanyahu, l’actuel Premier ministre du gouvernement d’occupation, la personne qui agit effectivement en tant que commandant militaire.

Quant aux conditions fixées à l’Article 28(a) du Statut de Rome, concernant la question de savoir si Netanyahu savait ou, en raison des circonstances depuis le 7 octobre, aurait dû savoir que les forces commettaient un génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, c’est un fait acquis maintenant que c’est le cas puisque les crimes israéliens sont documentés partout sur les médias sociaux et des preuves ont même été présentées devant le monde entier à la Cour internationale de justice dans l’affaire qui oppose l’Afrique du Sud à « Israël ».

Non seulement cela, mais Netanyahu s’est également incriminé lui-même dans plusieurs déclarations et a insisté sur le fait qu’il fera de son mieux pour qu’il n’y ait qu’un seul « État », c’est-à-dire « l’État d’Israël ».

Il refuse tout appel à un cessez-le-feu malgré les pressions exercées sur lui par les colons pour la libération des captifs.

Cela confirme également que la deuxième condition, celle qui concerne la mise en place des mesures nécessaires et raisonnables par le commandant pour empêcher ces crimes, s’applique sans aucun doute, puisque Netanyahu a tout pouvoir pour mettre fin à la guerre génocidaire contre les Palestiniens ; ce que même ses plus proches alliés, l’Occident, le supplient de faire, en appelant à une « solution à deux États » et à un cessez-le-feu.

Si Netanyahu tente de trouver une échappatoire en essayant de pointer du doigt le ministre de la sécurité ou tout autre de ses subordonnés, l’Article 28(b) se mettra en travers de sa route. Il stipule qu’un supérieur est pénalement responsable des crimes commis par des subordonnés placés sous son autorité et son contrôle effectifs à trois conditions :

  • La première est que le supérieur détenait et/ou a ignoré les informations qui lui étaient clairement communiquées concernant lesdits crimes,
  • la deuxième est que les crimes concernés relevaient de la responsabilité et du contrôle effectifs du supérieur,
  • et la troisième est que le supérieur n’a pas pris toutes les mesures nécessaires.

Et nous avons prouvé ci-dessus que toutes ces conditions sont remplies.

« Israël » se moque du droit international humanitaire

L’un des grands principes du droit international humanitaire (droit de la guerre) est le principe de distinction, qui stipule que toutes les parties à un conflit doivent en tout temps faire la distinction entre les civils et les combattants, entre les biens de caractère civil et les objectifs militaires, et doivent diriger leurs opérations uniquement sur des objectifs militaires.

Depuis le 7 octobre, les forces d’occupation israéliennes utilisent des armes telles que le phosphore blanc, qui non seulement viole le critère de distinction, mais porte également gravement atteinte aux civils et est soumis à des restrictions en vertu du droit international humanitaire.

Lorsqu’il est exposé à l’air, le phosphore blanc brûle à des températures extrêmement élevées et déclenche des incendies dans les zones où il se répand, causant de graves dommages à l’environnement et entraînant des lésions respiratoires, des défaillances d’organes et des brûlures extrêmes.

Une autre arme utilisée est « Habsora » (en hébreu, « l’Évangile »), qui repose sur l’intelligence artificielle et peut proposer automatiquement des cibles militaires à une vitesse sans précédent.

Cette arme électronique permet à l’armée israélienne de suivre les positions du Hamas et peut même calculer une estimation du nombre de morts avant l’attaque. Elle permet donc un ciblage à la fois large et précis. Cependant, les forces d’occupation israéliennes ne l’utilisent que pour cibler des maisons d’habitation, selon de nombreux témoignages.

Lire également : Gaza : une « usine d’assassinats en masse » où chaque massacre est automatisé par Yuval Abraham

Le témoignage d’un fonctionnaire israélien a confirmé que l’occupation avait utilisé des munitions inappropriées lors de son attaque contre le camp de réfugiés d’al-Maghazi. Des recherches menées par le bureau du directeur du renseignement national des États-Unis ont confirmé ce dernier point, affirmant que 40 à 50 % des bombes utilisées à Gaza ne sont pas guidées et tombent de manière aléatoire sur une large surface.

L’occupation a également utilisé des bombes anti-bunker, dont l’ogive pèse plus de 900 kg, ainsi que des JDAM, des bombes guidées par GPS dont la précision ne s’améliore que lorsqu’elles sont bien guidées.

Cependant, une enquête d’Amnesty International a confirmé que des JDAM de fabrication américaine ont été utilisés par les forces d’occupation israéliennes pour bombarder des maisons à Gaza, tuant 43 membres de deux familles en un seul incident.

Alors pourquoi les forces d’occupation israéliennes utilisent-elles de telles armes alors que le monde entier a pu constater, lors de l’assassinat du martyr Saleh al-Arouri à Beyrouth, qu’elles disposent d’armes de haute précision ?

Elles ont réussi à cibler le martyr dans un seul appartement dans un quartier très peuplé, causant des pertes minimes, ne tuant que ceux qui se trouvaient à proximité directe d’al-Arouri, et ce au vu et au su de tous. Avez-vous entendu parler de l’adage suivant : « Si tu veux, tu peux » ? Eh bien, si les Israéliens avaient voulu limiter les pertes civiles, ils auraient pu facilement le faire.

Un autre principe très important du droit international humanitaire est le principe de proportionnalité, qui interdit les attaques contre des objectifs militaires susceptibles de causer « des pertes accidentelles en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil ou une combinaison de ces pertes et dommages, qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire direct attendu ».

Depuis le 7 octobre, les Forces d’occupation ont bombardé plus de 14 hôpitaux à Gaza, dont le complexe médical Al-Nasser, l’hôpital indonésien, l’hôpital Kamal Adwan et l’hôpital Al-Amal, pour n’en citer que quelques-uns.

Au début de ces attaques, ils ont prétendu que ces hôpitaux « cachaient des militants du Hamas », ce qui est un argument absurde, car même si c’était le cas, les dommages causés aux civils dépassent de loin tout avantage militaire, en particulier dans le contexte du siège de Gaza et de l’effondrement du secteur de la santé.

On pourrait parler pendant des jours de toutes les violations du droit international humanitaire et des crimes contre l’humanité commis par « Israël » depuis le 7 octobre.

Ses forces d’occupation prennent délibérément et perpétuellement pour cible des abris qu’elles prétendent être des « zones de sécurité », qu’il s’agisse d’écoles, d’universités ou même de sites des Nations unies.

Elles utilisent la famine comme méthode de guerre et ouvrent le feu à partir de quadricoptères sur tous les Palestiniens qui tentent d’obtenir de l’aide, tout en ciblant simultanément les travailleurs humanitaires. Elles ont coupé toutes les formes de communication à Gaza pendant plus de huit jours consécutifs, empêchant les ambulances et les agents de la défense civile de circuler.

Les corps de milliers de martyrs sont toujours sous les décombres, les hôpitaux se sont transformés en morgues, des maladies dangereuses comme l’hépatite A se propagent, plus de 11 000 enfants ont été tués, les femmes enceintes n’ont aucun moyen de mener une grossesse en toute sécurité ni même de se nourrir suffisamment, et les détenus sont torturés.

Tous ces crimes horribles sont documentés par des organisations internationales jouissant d’une grande crédibilité auprès de la communauté internationale.

L’Observatoire euro-méditerranéen des droits de l’homme, Amnesty International, l’UNRWA, l’OMS, l’OCHA et bien d’autres ont condamné ces crimes et apporté des preuves.

Aujourd’hui marque le 111e jour du génocide israélien à Gaza, plus de 25 900 Palestiniens sont morts en martyrs et plus de 64 000 autres ont été blessés.

Pourtant, M. Khan demande toujours plus de preuves. De quelles « preuves » supplémentaires a-t-on besoin en plein milieu de ce qui est officiellement qualifié de « guerre la plus meurtrière de l’histoire » ?

On est bien tenté M. Khan, de vous retourner vos propres paroles : les Palestiniens sont abreuvés depuis longtemps de vaines promesses, et vos paroles ne semblent pas faire exception à la règle.

Note :

[1] Les lois fondamentales d’Israël sont quatorze lois quasi-constitutionnelles de l’État d’Israël. Elles devaient à l’origine constituer des projets de chapitres d’une future constitution israélienne, qui a été indéfiniment reportée depuis 1950.

25 janvier 2024 – Al-Mayadeen – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet