Le cessez-le-feu : l’autre nom du génocide et de l’occupation

2 octobre 2025 - Hhôpital Al-Aqsa Martyrs de Deir al-Balah, à Gaza - Mera Hatim Abu Verde, une enfant palestinienne âgée de quatre ans, est dans un état critique en raison de la malnutrition Alaa - Photo : Y. M. Abumohsen / AA

Par Marie Schwab

« Ce qui se passe à Gaza est une honte pour l’humanité. Les crimes continuent et le monde se tait. C’est un échec moral et humain impardonnable », déplore Mahmoud Basal, porte-parole de la Défense civile de Gaza. [1]

Ils ont ennobli un génocide de pleine intensité en l’appelant guerre. A présent ils euphémisent un génocide d’intensité moindre en l’appelant cessez-le-feu.

Ainsi en plein cessez-le-feu, un premier ministre recherché par la Cour pénale internationale peut se vanter, en toute impunité, d’avoir largué plus de 150 tonnes de bombes sur Gaza en un seul jour. (le 19 octobre)

Nos chefs d’État continuent de laisser faire, comme si, par un transfert magique de responsabilité, chaque enfant palestinien déchiqueté, chaque enfant palestinien réduit à l’état de squelette vivant nous permettait, à nous Européens, de nous sentir un peu moins coupables d’avoir fait monter des enfants juifs dans des trains.

Ils ont justifié la destruction complète de Gaza en arguant la légitime défense. A présent ils appellent paix le siège illégal et l’occupation militaire.

Où et quand a-t-on vu une guerre dévaster 90 % des habitations et des infrastructures, déplacer 100 % de la population ? Où et quand 50 % des victimes d’une guerre étaient-elles des enfants ?

Les Etats-Unis et Israël cherchent par le biais d’un cessez-le-feu fictif, d’une diplomatie manipulée, en cooptant des Etats arabes et en les intégrant dans l’agenda sioniste, à obtenir ce contre quoi les Palestiniens luttent depuis 77 ans : leur reddition.

Or comme le souligne l’analyste palestinien Mohammed Shehada, « traditionnellement, dans tout accord de paix, s’il comprend le désarmement d’une partie ou d’un groupe, il s’agit de l’aboutissement de l’accord, et non d’un pré-requis. (…) Ici, la communauté internationale et Israël disent aux Palestiniens : ‘Déposez les armes et prouvez que vous êtes de gentilles victimes, ensuite nous verrons si vous pouvez prétendre à des droits basiques’. »

A Gaza, une génération grandit dans la peur et les gravats. Le corps des enfants est un cri, le témoignage vivant de la terreur : cheveux gris, tremblements, hypertension, insomnie, maux de tête, douleurs osseuses, dépigmentation de la peau, problèmes de reins. Ils ont vécu cent fois ce que personne ne devrait jamais vivre, et sont hantés par des angoisses que personne ne devrait jamais connaître.

En 2021, 91 % des enfants de Gaza souffraient déjà de stress post traumatique. Aujourd’hui, ils n’ont même pas la chance d’entrer dans une phase « post ».

Depuis deux ans, les Palestiniens de Gaza sont condamnés à mourir ou à voir les autres mourir et être mutilés.

Comment peut-on avoir l’idée d’appeler cessez-le-feu une situation où en un jour, 109 personnes, pour moitié des enfants, sont délibérément assassinées ? (le 28 octobre) [2]

« Voici la stratégie d’Israël pour continuer la guerre : trouver un prétexte, n’importe lequel, peu importe s’il est infondé, tuer des dizaines de civils et de combattants, affirmer respecter le cessez-le-feu, et recommencer », écrit le journaliste palestinien Tareq S. Hajjaj.

Le Dr. Ahmad al-Fara, à l’hôpital Nasser, alerte sur l’état de santé des Palestiniens de Gaza : « La situation s’est aggravée malgré l’entrée en vigueur du cessez-le-feu », dénonce-t-il. [3]

Le Dr. Ahmed Mokhallalati, à al-Shifa, fait le même constat : « Nous sommes toujours en pleine famine. Nous n’avons ni électricité, ni eau, ni fuel, ni nourriture, ni biens médicaux. Israël continue de contrôler les frontières et très peu de camions entrent à Gaza. Ce qui se passe, c’est la poursuite du nettoyage ethnique et du génocide. Des milliers de malades ont besoin d’une intervention immédiate et de traitements. Et 15 000 à 20 000 patients attendent leur évacuation car notre système de soins en ruines ne nous permet pas de les soigner. » [4]

A Gaza, l’occupant oblige les Palestiniens à acheter à prix d’or des denrées qui les tuent. Les aliments vitaux pour guérir et sortir de la famine sont inaccessibles. L’occupant bloque des centaines de camions humanitaires et laisse entrer une poignée de chargements commerciaux. On trouve à Gaza du chocolat mais pas d’antibiotiques ; des chips et des sodas mais ni protéines, ni eau potable, ni légumes. « Laisser entrer de telles denrées contraint les gens à y avoir recours comme source de nourriture principale. Cela force également les organisations humanitaires à les acheter et à les distribuer, puisque ce sont les seules disponibles », expose Abdallah Sharshara, chercheur en droit à Gaza.

A Gaza, les familles tentent désespérément de reconnaître leurs proches parmi les corps suppliciés restitués en vrac par l’occupant – des corps défigurés par la torture au point de les rendre méconnaissables.

« Je ne pouvais pas croire que j’en étais arrivée à ce point de ma vie où il me faudrait chercher parmi les morts mon mari et mon frère pour pouvoir leur donner une sépulture », témoigne Israa. « Ce sont les moments les plus durs de ma vie. J’avais le souffle coupé d’horreur devant ce qu’ils ont fait à ces hommes. J’ai vu des corps la bouche remplie de cailloux, de sable, de clous. Certains les yeux bandés, les mains ligotées. Certains les ongles ou les doigts arrachés. Certains avec des membres manquants. D’autres manifestement passés sous les chenilles des tanks. »

Israël un des rares pays au monde à avoir légalisé la torture – en violation des lois impératives du droit international (jus cogens).

Pendant des mois les mères ont attendu le moment où elles embrasseraient leurs fils, à présent elles espèrent pouvoir enterrer un jour leur corps.

Dans le même temps, en Cisjordanie, l’occupant continue de semer la terreur, menant des pogroms quotidiens. L’armée d’occupation expulse les Palestiniens, détruit les maisons, déracine les arbres, pendant que les colons agressent les familles, assèchent et empoisonnent les sources, détruisent les citernes, volent et tuent les troupeaux, pillent les récoltes, mettent le feu aux propriétés, aux engins, aux vergers palestiniens.

Durant le seul mois d’octobre, les Palestiniens ont subi plus de 2350 assauts menés par l’armée d’occupation et les colons, et plus de 440 Palestiniens, dont 33 enfants, ont été arrêtés. [5]

Ubai al-Aboudi, chercheur palestinien : « La politique d’arrestation menée par Israël fait partie intégrante de l’occupation et de l’apartheid. L’occupant vous arrache à votre famille, à votre ville, vous colle l’étiquette ‘terroriste’ et vous inflige des traitements dégradants. Les Palestiniens vivent avec cette épée de Damoclès au-dessus d’eux : à tout moment, n’importe quel officier israélien peut décider de vous arrêter, de vous placer en détention administrative, et vous n’aurez aucun moyen de vous défendre. »

« Mon frère est enfin libre », se réjouit Ibrahim al-Khalili, journaliste à Gaza. « Mais les visages marqués par la souffrance des prisonniers libérés ne me quittent pas. (…) La détention n’est pas seulement un crime à l’encontre du détenu mais une blessure pour toute la famille. »

Israël est le seul pays au monde à poursuivre les enfants de manière systématique devant des tribunaux militaires – pratique prohibée par le droit international, mais inscrite dans la loi israélienne, qui autorise la condamnation d’un enfant de 12 ans à une peine longue. 500 à 700 enfants palestiniens sont emprisonnés chaque année depuis des décennies, et nombre d’entre eux ont moins de 12 ans.

« 99 % des enfants palestiniens sont victimes de harcèlement et d’agressions de la part des soldats israéliens, mais ce qui les transforme à vie, c’est la détention », explique Ashira Darwish, journaliste et thérapeute palestinienne. « Cela les coupe de leur attachement à leurs parents. A partir du moment où les soldats les prennent et les séparent de leur famille, ils prennent conscience que leur famille ne peut pas les aider. Et toute leur vie, ils vont essayer de réparer cette cassure de l’attachement. »

Le DCIP (Defense for Children International Palestine) documente des faits de torture (20) et de viols sur les enfants depuis des années.

« Si vous vous coupez de vos émotions, vous serez peut-être capable de vivre en Palestine sans vous battre », remarque Ashira Darwish. « Mais quiconque n’accepte pas de verrouiller son coeur va lutter, avec toute la passion et l’amour qui l’habitent. »

Ce qui est systémique depuis 77 ans, l’apartheid, l’oppression, le droit de vie ou de mort sur une population captive, la torture, l’enlèvement des enfants, les déplacements massifs et répétés, ne prendra pas fin avec tous les cessez-le-feu du monde.

Ces pratiques sont institutionnalisées, garanties par l’appareil politique israélien, la législation, et chantées dans les comptines des enfants.

Dans un monde où un enfant palestinien de 12 ans est condamné pour terrorisme parce qu’il a lancé une pierre sur un véhicule blindé, l’occupation est appelée processus de paix.

Mais dans n’importe quel monde où il y aurait un semblant de justice, l’urgence aurait pour nom procès, abolition, démantèlement, réparation.

Une trêve ne suffira pas à mettre fin au colonialisme et à l’occupation, pas plus qu’elle ne suffira à lever un blocus de plus de trente ans et à traduire en justice les criminels de guerre. Mais de la même manière, le cessez-le-feu ne suffira pas à exonérer les coupables de leur responsabilité.

L’occupant a accepté le cessez-le-feu dans l’espoir de couper court à toute velléité de sanctions, de stopper le mouvement international de solidarité. Et parce qu’il sait que le cessez-le-feu sera ce qu’il en fera : si l’Occident n’a pas jugé utile d’intervenir en plein génocide, l’occupant sait qu’il a le champ libre pour l’« après ».

Cependant nous continuerons de porter plainte contre les individus, les Etats, les entreprises et les médias ayant permis le génocide et l’oppression depuis 77 ans. [6]

Nous continuerons de nous mobiliser pour les Palestiniens, pour faire valoir leurs droits : le droit de résister, jusqu’au jour du retour ; le droit de vivre libres sur la terre de Palestine. Cette terre à laquelle ils appartiennent. Cette terre qui les connaît.

Je voudrais terminer par une pensée pour Hamed et Rida, qui ont adopté leurs 36 petits-enfants orphelins.

Pour Kanan, qui fait ses premiers pas tout en apprenant à vivre sans mère, sans père, sans ses frères et soeurs Abdallah, Jehad et Joury, assassinés dans leur sommeil pendant le cessez-le-feu. « Quand nous sommes arrivés, nous avons trouvé ce petit garçon essayant de réveiller son père et sa mère qui étaient en train de se vider de leur sang », raconte Sabriyah, sa grand-mère.

Les derniers mots reviennent à Nader Sadaqa, membre du FPLP, libéré après 22 ans de prison, déporté en Egypte le 13 octobre : « Trois charges ont été retenues contre moi : la première, je suis humain. Depuis que nous sommes sous le contrôle d’une autorité fasciste, être humain est un crime. La deuxième, je suis libre. Etre libre sous une autorité fasciste est un crime encore plus grave que d’être humain. La troisième, je suis Palestinien. Un aspect mineur de mon identité est que je suis Samaritain [Palestinien juif de Naplouse]. (…) Je suis Arabe. Je suis Palestinien. (…) Après octobre 2023, l’occupant a révélé son vrai visage de fasciste, de Nazi. Toutes leurs actions sont devenues des actes de violence sans limite. Tout était intentionnel, calculé, planifié pour détruire entièrement la personnalité du prisonnier. Pour détruire sa psyché, pour le vider de tout esprit de résistance. Imaginez que vous êtes battu et écrasé, que vous saignez, que vos côtes sont cassées, que vous êtes blessé à des organes très sensibles et à des organes vitaux, que vous êtes abandonné à votre sort dans votre cellule sans aucun soin. Imaginez que les infirmiers arrivent dans votre cellule avec des bâtons et vous disent ‘je vais te tuer parce que tu es Arabe et méprisable’. Et pire que tout cela, le traitement infligé aux corps des martyrs, charriés hors des cellules et exhibés aux yeux de tous pendant des heures dans la cour. »

Notes :

  • [1] « Disgrace to humanity » : Rescuers still trying to reach people under rubble, Al Jazeera, 29.10.2025, 13h GMT
  • [2] 52 enfants, 23 femmes, 4 personnes âgées et 7 handicapés, cf. Death toll rises in Gaza after Israeli attacks to 109, including 52 children, Al Jazeera, 29.10.2025, 18h GMT
  • [3] Al Jazeera, 22 .10.2025
  • [4] Israel continues to block doctors entering Gaza, surgeon says, Al Jazeera, 15.10.2025, 2h GMT
  • [5] Israeli forces arrest 442 Palestinians in October, including 33 children : Rights groups, Al Jazeera, 9.11.2025, 15h GMT
    Le 11 septembre, les soldats de l’occupation avaient pris 1.500 Palestiniens en otage à Tulkarem, dont 400 enfants, cf. Israeli forces arrest Palestinians en masse, laying siege to Tulkarem (vidéo), NewsFeed, Al Jazeera, 12.11.2025
  • [6] La Fondation Hind Rajab vient de déposer une plainte contre Ehud Olmert, responsable des massacres de décembre 2008-janvier 2009.

11 novembre 2025 – Transmis par l’auteure.

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