
Photo : via The Palestine Studies
Par Sumaya Nasser
Dans le cœur du camp de Jabalia, vibrant et chaleureux, où les ruelles étroites s’entrelacent, où résonnent les voix des marchands ambulants mêlées aux rires des enfants, se trouvent des maisons proches les unes des autres comme le sont les cœurs de leurs habitants.
Je suis née à la fin des années quatre-vingt-dix dans le camp de Jabalia, où il n’y a pas de jardins, mais où les enfants du camp fabriquent leur joie à partir de la terre et des pierres, où ils jouent au ballon dans les ruelles étroites, où chaque pierre du camp porte une histoire, et où leurs rires s’élèvent malgré l’exiguïté du lieu.
La voix de ma mère me réveillait le matin en me tirant avec douceur du sommeil, puis j’allais à l’école, mes pas me portant vers un autre monde ; je volais comme un papillon en pensant à ce monde nouveau dans lequel je vivrai après seize années de sérieux et d’assiduité.
Je rêvais d’un avenir brillant : serai-je médecin, soignant les malades et les blessés de mon pays occupé ? Ou architecte, redonnant à ma ville sa beauté après sa destruction par l’occupation ? Ou bien journaliste, transmettant la souffrance de mon peuple ? Ou encore enseignante, élevant les esprits et construisant la société ? Où serai-je donc après toutes ces années de persévérance et de détermination ?
Chaque nouvelle leçon était pour moi une fenêtre ouverte sur le monde, dévoilant un horizon nouveau vers un avenir meilleur. Chaque lettre que je traçais sur mon cahier était un jalon posé sur le long chemin qu’on appelle « le savoir ». J’écrivais mon rêve d’apprendre sur les murs du camp, et j’ai grandi, tout comme mon rêve, avec l’espoir que l’éducation devienne un pont que je franchirai au-dessus de tous les obstacles.
Les années ont passé, et d’une enfant assise sur un banc en bois dans le camp de Jabalia, je me suis transformée en une jeune femme portant un sac plus grand que son corps et des cahiers trop lourds pour ses mains. Je me suis retrouvée dans ce monde nouveau, où tout était différent : les visages, le lieu, la nature des études, même les responsabilités et les devoirs.
Le chemin vers l’université n’était pas facile ni parsemé de roses ; il était plutôt semé d’examens difficiles, de la pression de la vie quotidienne, des recherches et des devoirs, et parfois des bruits de la guerre qui venaient interrompre mon rêve. Il n’était pas simple de s’habituer à un emploi du temps chargé ni aux longues conférences demandant beaucoup de concentration et d’efforts.
Mon choix à l’université s’est porté sur la faculté des sciences de l’éducation, avec une spécialisation en langue arabe. Ce n’était ni un choix dû au hasard ni une simple coïncidence. Je n’ai pas étudié la langue arabe pour devenir une enseignante qui se tient devant un tableau noir, distribuant des informations de manière directe, et qui, à la fin de l’année, évalue ses élèves uniquement sur la mémorisation, ignorant leurs espoirs et leurs ambitions.
Je voulais plutôt transmettre un message élevé et éduquer des générations capables de bâtir une nation, conscientes que la parole peut frapper comme une balle, et sachant comment défendre leur pays et leurs valeurs sacrées.
La construction de toute société repose sur l’éducation et l’instruction, à travers lesquelles, nous pouvons renforcer l’appartenance et le patriotisme, surtout dans un environnement comme le nôtre, celui de Gaza, marqué par les événements et les conflits. Par conséquent, il m’incombait de relier la vie réelle à ce qui était enseigné à l’école.
Après trois années de fatigue et d’efforts soutenus, je me suis retrouvée vêtue de la toge noire de la remise des diplômes, arborant une écharpe portant l’année de graduation, et tenant un diplôme avec mention très bien. Cette mention n’était pas seulement une reconnaissance académique, mais aussi un témoignage de résilience face à des années de persévérance, de ténacité et de défi aux conditions difficiles de notre vie.
Après mon diplôme, je suis devenue enseignante, tenant parfois un stylo rouge, parfois une craie. À cette époque, j’étais passionnée par le savoir et l’enseignement, j’étais une jeune femme dans la vingtaine, pleine d’énergie et d’enthousiasme. Je souhaitais former une génération consciente de l’importance et de l’impact des mots, qui considère l’éducation comme une arme.
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J’intégrais délibérément les questions nationales dans mes cours en choisissant des textes littéraires palestiniens traitant des problèmes de la Palestine. Mon but était d’aider mes élèves à réaliser leurs rêves et à construire leur identité.
J’ai rencontré de nombreuses étudiantes assidues, parmi lesquelles je me souviens particulièrement de l’exceptionnelle Rahaf Al-Kafarna, originaire de Beit Hanoun, un lieu marqué par l’engagement. Elle se distinguait par son sens aigu de l’observation, sa vivacité d’esprit et ses questions intelligentes qui révélaient la profondeur de sa réflexion.
Je lui prodiguais des conseils précis et pratiques pour développer ses capacités créatives et logiques, voyant pour elle un brillant avenir. Mais malheureusement, à cause d’une guerre féroce, une guerre génocidaire, qui a détruit les arbres, les pierres et les êtres humains, la situation de cette étudiante est devenue celle de nombreux élèves de la ville de Gaza ; elle a été privée de la chance de passer le baccalauréat ; cependant, elle n’a pas perdu sa détermination, elle a gardé sa passion pour le savoir et la connaissance.
La guerre de Gaza a eu un impact cruel et profond sur les élèves du baccalauréat. Leurs journées sont passées de la préparation aux examens à des tentatives quotidiennes de survie. Les cours ont été interrompus, les écoles se sont effondrées sous les bombardements, et les rares établissements encore debout ont été transformés en centres d’hébergement pour les déplacés.
Cela a anéanti tout environnement propice à l’éducation : il n’y avait plus de bancs scolaires, ni de tableaux, ni même d’enseignants capables de remplir leur mission dans un contexte de raids aériens continus et d’absence de sécurité. De plus, les épreuves répétées de déplacement et leur dureté ont conduit les élèves à perdre leurs cahiers, leur concentration et un environnement éducatif adéquat.
Les cœurs des élèves se sont remplis de peur au lieu de concentration, beaucoup ont perdu leurs proches ou leurs maisons. Pourtant, ils ont continué à étudier à la lumière des bougies, dans les centres d’hébergement, au milieu des explosions.
La guerre n’a pas seulement volé leur temps, elle a aussi essayé de voler leurs rêves.
Au lieu de faire la queue à la bibliothèque, cette étudiante talentueuse, Rahaf, faisait la queue aux cuisines populaires. Au lieu de chercher et de naviguer sur Internet pour apprendre, elle cherchait des liens pour s’inscrire à l’aide alimentaire et autres services. Au lieu de se déplacer entre les salles d’examen, elle se déplaçait entre les centres d’hébergement des déplacés.
Ainsi est la guerre à Gaza ; elle ne détruit pas seulement les infrastructures et les biens, mais elle anéantit aussi les rêves d’une jeune enseignante dans la vingtaine, qui portait sur ses épaules la responsabilité de façonner une génération.
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Cette enseignante, qui a toujours rêvé de guider ses élèves et de développer leurs talents, s’est soudainement retrouvée incapable de poursuivre sa noble mission ; les classes sont devenues des centres d’hébergement, les livres ont été déchirés et brûlés pour servir à la cuisson en l’absence de gaz, et les conditions difficiles ainsi que la guerre acharnée ont rendu son rêve de voir génération porteuse de renouveau lointain et difficile à atteindre.
À cela s’ajoute le rêve d’une élève à la volonté forte et aux grandes ambitions, qui a été contrainte d’attendre ou de chercher des moyens alternatifs pour apprendre et s’instruire. C’est la situation de nombreux membres de notre société à Gaza.
La guerre ne touche pas seulement les infrastructures, mais aussi l’avenir et les rêves. Tout cela a conduit à une absence de perspectives claires pour l’avenir, car les élèves ne savent pas quand ils pourront retourner étudier normalement ou même passer leurs examens, ce qui provoque un arrêt dans leur parcours académique, voire l’absence d’une vision claire pour leur avenir.
Nous nous demandons tous désormais : « Quand pourrons-nous reprendre notre vie normale, là où elle s’est arrêtée depuis le 7 octobre ? »
Depuis cette date, nous attendons la fin de ce cauchemar pour continuer à avancer vers la réalisation de nos rêves et bâtir un pont vers le futur. Et malgré toute la destruction causée par cette guerre féroce, les habitants de Gaza restent accrochés à l’espoir de la fin du conflit et du retour à la vie normale, où les écoles rouvriront leurs portes pour accueillir les élèves, où l’électricité illuminera de nouveau leurs maisons, où les marchés seront animés, et où les rues vibreront des rires des enfants.
L’espoir dans leurs yeux n’est pas un luxe, mais une nécessité pour survivre, elle les pousse à s’y accrocher et à rêver d’un lendemain meilleur, un lendemain de paix, où Gaza sera reconstruite sur des bases de dignité et de liberté.
Auteur : Sumaya Nasser
23 septembre 2025 – The Palestine Studies – Traduction : Chronique de Palestine – Fadhma N’Soumer
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