
Septembre 2025 - Après bientôt deux ans de guerre et une réduction drastique de l'accès à la nourriture et aux médicaments, les 2,1 millions d'habitants de Gaza ont enduré et continuent d'endurer des souffrances inimaginables - Photo : UNICEF
Par Huda Skaik
Huda Skaik partage son expérience traumatisante de l’invasion israélienne de la ville de Gaza, ainsi que sa crainte d’un éternel exil forcé et de la disparition de son peuple.
Alors qu’Israël poursuit son occupation de la ville de Gaza, où je vis, les habitants qui ont été témoins des invasions passées craignent que le pire soit à venir. Bien qu’ils aient survécu au génocide en cours depuis près de deux ans, le déplacement forcé qui s’annonce semble cette fois-ci définitif.
Je garde encore en mémoire le traumatisme des attaques terrestres menées par Israël dans la ville de Gaza le 29 janvier 2024. Ma famille et moi avons passé neuf jours enfermés dans notre maison, tandis que des chars encerclaient le quartier d’Al-Rimal et la zone d’Al-Jawazat, que des bulldozers détruisaient les rues et que des hélicoptères vrombissaient au-dessus de nos têtes.
Lors de cette agression, des soldats ont fait irruption et ont déshabillé mon père, mon frère, mon oncle et mes cousins, leur ont attaché les mains, leur ont bandé les yeux et nous ont fait sortir. Puis ils ont fait sauter notre maison.

18 septembre 2025 – Un enfant épuisé se repose alors que des Palestiniens déplacés fuient la ville de Gaza avec le peu d’affaires qu’ils peuvent emporter, se dirigeant vers le sud sur la route côtière dans le centre de la bande de Gaza. Israël poursuit son offensive terrestre pour s’emparer de la ville de Gaza et procède à des bombardements massifs, causant des destructions généralisées. Toute la population de la ville de Gaza a reçu l’ordre d’évacuer. Les familles voyagent souvent à pied dans l’obscurité ou s’entassent dans des véhicules surchargés, les femmes, les enfants et les personnes âgées luttant contre l’épuisement et la peur. Elles tentent de rejoindre les zones dites « humanitaires », qui sont également prises pour cible par les forces israéliennes et qui sont surpeuplées et manquent de produits de première nécessité – Photo : Doaa Albaz / Activestills
Je n’oublierai jamais ce que j’ai vu. J’ai vu notre quartier se transformer en ruines, et il me semble que nous revivons une fois de plus ce cauchemar.
Même si l’horreur n’a jamais vraiment cessé.
La disparition de la Palestine et de ses habitants
L’occupation israélienne ne se limite pas à la présence de soldats et de leurs chars, elle consiste à faire disparaître tout un peuple.
Ils veulent effacer toute trace de la ville de Gaza, de nos quartiers, de nos mosquées, de nos hôpitaux, de nos écoles, de nos cafés (ou ce qu’il en reste). Ils veulent nous déraciner de notre terre, nous forcer à vivre comme des vagabonds sans cesse pourchassés à l’intérieur de notre propre patrie.
Ils ont l’intention de transformer Gaza en un terrain vague, cela ressort clairement de leurs précédentes invasions terrestres, au cours desquelles ils ont brûlé des bâtiments, déraciné des arbres et réduit en poussière nos lieux de vie favoris.
En novembre 2023, les forces israéliennes ont mené une invasion terrestre à grande échelle dans le quartier de Rimal, à l’ouest de la ville de Gaza, sans avertissement préalable.
Nous avons fui sous les bombardements incessants. Les chars israéliens n’étaient pas entrés dans la zone depuis de nombreuses années, et c’était la première fois que je me retrouvais face à des soldats israéliens.
Au début du génocide, le camp de réfugiés d’Al-Shati et les zones entourant les hôpitaux Al-Shifa et Al-Quds ont été soumis à des bombardements incessants.
Malgré les ordres répétés de l’armée israélienne d’évacuer les hôpitaux, le personnel médical a refusé d’abandonner ses patients. Les frappes aveugles sur ces zones ont été catastrophiques.
Tout au long du génocide, Israël a émis à plusieurs reprises des ordres d’évacuation à l’intention des habitants de la ville de Gaza et du nord de la bande de Gaza, les forçant à se diriger vers des « zones de sécurité » situées à l’extrême sud.
Pourtant, bon nombre de ceux qui ont obéi ont ensuite été tués par des frappes aériennes, brûlés vifs, ou massacrés.
Il est tout à fait clair que l’occupant n’a aucune intention de préserver ou de protéger la vie des Palestiniens.
Des déplacements forcés et sans retour
Aujourd’hui, Israël veut nous forcer à nous déplacer vers le sud, vers des « abris ». Je sais exactement ce que cela signifie : vivre dans des tentes sans sécurité et sans intimité.
Nous tous, à Gaza, craignons que cette fois-ci, il n’y ait pas de retour. Israël met en œuvre son plan de déplacement définitif.
Nos grands-parents ont déjà vécu dans des tentes après la Nakba de 1948, lorsque plus de 750 000 Palestiniens ont été déracinés de leurs maisons et de leurs terres, croyant que l’exil et le déplacement étaient temporaires. Ils sont morts sans être rentrés chez eux, les clés de leur maison à la main.
La dernière fois que j’ai été déplacée vers le sud, j’ai vécu la pire expérience de ma vie. La vie était si dure, et vivre dans une tente, que ce soit en hiver ou en été, est extrêmement pénible.
Le froid de l’hiver vous transperce les os, et le soleil brûlant de l’été vous brûle la peau.
Ma poitrine se serre à l’idée de devoir vivre à nouveau dans une tente. Cela signifierait que je perdrais le peu de choses familières qui me restent : les murs qui abritent ma famille, nos rires, notre chaleur, et même un illusoire sentiment de sécurité.
Une tente n’a jamais été un foyer, et y retourner me priverait aussi de ma dignité.
Ma maison fait partie de mon identité. C’est là que mes grands-parents et mes parents ont accumulé des souvenirs. Les oliviers et les orangers, l’arôme de la terre, tout cela symbolise l’existence palestinienne.

18 septembre 2025 – Des Palestiniens déplacés fuient la ville de Gaza avec les quelques affaires qu’ils peuvent emporter, se dirigeant vers le sud sur la route côtière dans le centre de la bande de Gaza – Photo : Doaa Albaz / Activestills
Gaza n’est pas seulement un morceau de terre quelconque où les gens vivent pour des raisons pratiques. Ses rues portent nos histoires, nos joies et nos peines, ses mosquées et ses églises renferment l’écho de siècles de foi, et même sa mer est remplie des rêves de son peuple.
Comme l’a dit un jour l’écrivain palestinien Ibrahim Nasrallah : « Qu’est-ce que la patrie ? Ce n’est pas une question à laquelle on répond distraitement, c’est votre vie et votre cause tout à la fois. »
Vivre chaque jour comme si c’était le dernier
Quand j’entends les dirigeants israéliens parler d’occuper la ville de Gaza, je ne peux m’empêcher de me poser une multitude de questions.
Où irons-nous ? Comment pouvons-nous mettre toutes nos affaires et tous nos souvenirs dans un seul sac ? Pourquoi cela nous arrive-t-il sur notre propre terre ?
Tout ce que nous pouvons faire maintenant, c’est vivre chaque jour comme si c’était le dernier. Nous buvons notre café comme si c’était le dernier, nous regardons le coucher de soleil comme si nous ne devions plus jamais en revoir, et nous échangeons des regards d’adieu.
Nous nous regardons les uns les autres pour nous emplir de chaleur humaine, mais l’angoisse des adieux et des déplacements forcés ne nous quitte pas.
Aujourd’hui, nous ne pouvons même plus espérer un cessez-le-feu tant il semble irréel.
Je vous écris ces mots, chers lecteurs, parce que je ne sais pas si je serai encore vivante demain, et encore moins si je pourrai écrire à nouveau. Aucun d’entre nous ne connaît son destin, mais ce qui nous réconforte un peu, c’est que nous sommes tous ensemble ici.
Si nous mourons, nous serons unis dans la mort, tout comme nos maisons qui se dressaient autrefois côte à côte.
N’oubliez pas que nous ne sommes pas en train de « mourir », nous sommes assassinés de manière barbare et tragique. Rappelez-vous que ce qui m’a aidée, moi, Huda Skaik, à survivre si longtemps à l’enfer et au génocide israéliens, c’est la mer et mes reportages qui m’ont permis de documenter la vérité.
N’oubliez pas que chaque recoin, chaque rue et chaque murmure de vie dans la ville de Gaza faisaient autrefois partie de moi.
Malgré toutes ces incertitudes, mon cœur reste inébranlable, je veux que vous le sachiez. Je serai peut-être contrainte de quitter ma maison, je finirai peut-être dans une tente, ou je serai peut-être tuée, mais il restera toujours ces quelques lignes pour porter ma voix : je vis ici, au cœur de la ville de Gaza, dans le quartier d’Al-Rimal.
Quoi qu’il arrive, souvenez-vous que je n’ai pas craint de demeurer fidèle à Gaza jusqu’à la fin.
De fait, la seule chose dont nous sommes certains, c’est que nous resterons dans nos maisons jusqu’à notre dernier souffle. Nous ne quitterons jamais Gaza.
Israël ne parviendra pas à nous en chasser quoiqu’il fasse. Si nous partons, ce sera uniquement pour aller au paradis.
J’espère que la terre de Gaza City accueillera mon corps au plus profond de ses entrailles, car je préfère cela à l’exil forcé.
L’occupant ne se rend pas compte que nous, Gazaouis, quand nous n’avons plus rien à perdre, nous préférons mourir que nous rendre.
Auteur : Huda Skaik
* Huda Saik est étudiante en littérature anglaise à l'université islamique de Gaza. Elle rêve d'un avenir de professeur, de poète et d'écrivain. Elle croit au pouvoir de la narration et des mots qui résonnent avec l'esprit des Palestiniens. Elle cherche à éclairer l'essence de Gaza, en partageant sa signification profonde avec le monde.
Huda contribue également à We Are Not Numbers.
18 septembre 2025 – The New Arab – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet
Soyez le premier à commenter