Le déni de famine par Israël est une farce orwellienne.

Depuis le 7 octobre 2023, 147 personnes, dont 88 enfants, sont mortes de faim dans la bande de Gaza, où Israël a imposé la famine. Les enfants de tous âges qui souffrent de problèmes de malnutrition sont traités avec des possibilités limitées en raison du manque de nourriture et de médicaments à l'hôpital Nasser de Khan Yunis, Gaza - Photo : Abdallah Alattar / AA

Par Daoud Kuttab

La « hasbara » israélienne ne peut pas réfuter l’évidence, mais elle peut brouiller les pistes et finir par lasser de vouloir s’informer.

Pendant plus de 21 mois, la plupart des médias internationaux ont éludé la vérité sur la guerre menée par Israël contre Gaza. Le vieux cliché des salles de rédaction – « si ça saigne, ça fait la une » – semblait s’appliquer davantage à l’Ukraine qu’à Gaza pour les médias occidentaux.

Lorsque des civils palestiniens ont été bombardés dans leurs maisons, lorsque des familles entières ont été ensevelies sous les décombres, la couverture médiatique s’est faite au ralenti, prudente et souvent noyée dans une présentation « des deux côtés ».

Mais lorsque les images d’enfants palestiniens affamés ont commencé à apparaître – visages obsédants, membres squelettiques, regards vides – quelque chose a changé. Les photographies étaient trop viscérales, trop indéniables…

Le public occidental a été confronté à la réalité du siège de Gaza. Et pour une fois, les chiens de gardiens des médias n’ont pas pu complètement détourner le regard.

L’attention mondiale a toutefois mis en état d’alerte Israël, qui a alors lancé une nouvelle opération de « hasbara ». Hasbara signifie « expliquer », mais dans la pratique, il s’agit plutôt de faire disparaître du champ de vision. Sous la houlette de Tel-Aviv, les médias pro-israéliens se sont mis en tête de « démystifier » les preuves de la famine.

La méthode était tout à fait orwellienne : ne pas se contenter de contester les faits, mais contester les yeux qui les voient.

On nous a dit qu’il n’y avait pas de famine à Gaza… Peu importe que les ministres israéliens aient publiquement promis de bloquer l’approvisionnement en nourriture, en carburant et en médicaments. Peu importe que les camions aient été arrêtés pendant des mois, parfois vandalisés par des colons israéliens en plein jour.

Les responsables israéliens, s’exprimant dans un anglais pompeux devant les médias occidentaux, ont assuré au public que tout cela était une invention du Hamas, comme si celui-ci avait réussi à manipuler les agences humanitaires, les médecins étrangers et tous les journalistes à Gaza pour qu’ils mettent en scène une famine.

La machine de propagande pensait avoir trouvé la perle rare avec une seule photo. Une image publiée dans le New York Times montrait un garçon squelettique, Mohammad Zakariya Ayyoub al-Matouq. Des sources des services de renseignement israéliens ont susurré à des médias complices : « Il ne meurt pas de faim. Il souffre d’un problème médical. » Comme si cela rendait son horrible état acceptable.

Le Times a ajouté une note de la rédaction pour « corriger » l’information.

C’est ainsi que fonctionne la hasbara : non pas en persuadant les gens, mais en les épuisant. En transformant chaque fait en controverse, chaque image en polémique. En poussant les rédacteurs à « contrebalancer » la photo d’un enfant émacié par un communiqué du gouvernement niant qu’il souffre de la faim.

Imaginez un bulletin météo où une source dit : « Il pleut », et une autre insiste : « Non, il fait beau », alors que tout le monde se tient dehors, trempé par l’averse. Gaza est cette vérité trempée, et pourtant, la plupart des médias occidentaux se sentent encore obligés de citer le météorologue de Tel Aviv.

Chaque reportage honnête est accueilli par un déluge d’e-mails, d’appels téléphoniques et de propos diffamatoires sur les réseaux sociaux, tous destinés à créer juste assez de doute pour que les rédacteurs en chef se rétractent.

Mais l’affirmation « Il ne meurt pas de faim. Il est simplement malade » n’est pas une exonération. C’est un aveu.

Un enfant souffrant d’une maladie préexistante qui en arrive à ressembler à un squelette signifie qu’il a été privé non seulement des aliments dont il a besoin, mais aussi des soins médicaux. Il s’agit là à la fois de famine forcée et de medicide.

Les journalistes palestiniens à Gaza, les seuls à pouvoir encore informer depuis qu’Israël a interdit tous les médias étrangers et tué plus de 200 journalistes palestiniens, meurent de faim aux côtés des personnes sur lesquelles ils font des reportages. Dans une rare déclaration commune, la BBC, l’AFP et l’Associated Press ont averti que leurs propres employés étaient confrontés « aux mêmes conditions désastreuses que celles qu’ils couvrent ».

Au plus fort de l’indignation suscitée par ces photos la semaine dernière, Israël a autorisé l’acheminement d’une aide au compte-gouttes : quelques largages aériens et 30 à 50 camions par jour, alors que les Nations unies estiment qu’il en faudrait 500 à 600.

Certains camions ne sont jamais arrivés, bloqués par des extrémistes juifs.

Parallèlement, un mécanisme parallèle de distribution de l’aide a été mis en place par des entrepreneurs américains approuvés par Israël, qui créent délibérément des conditions dangereuses et chaotiques qui entraînent chaque jour la mort de personnes venues chercher de l’aide.

Des foules de Palestiniens affamés se rassemblent, pour se faire tirer dessus par les soldats israéliens. Et pourtant, les dénégations persistent. La version officielle est qu’il ne s’agit pas de famine.

C’est autre chose, indéfinissable, mais certainement pas un crime de guerre.

Le monde a déjà connu la famine – en Éthiopie, en Somalie, au Yémen, au Soudan du Sud. Les photographies de Gaza appartiennent à la même catégorie. La différence est qu’ici, un État puissant qui provoque la famine tente fébrilement de nous convaincre que nos propres yeux nous mentent.

L’objectif n’est pas de convaincre le public qu’il n’y a pas de famine, mais de semer suffisamment de doute pour paralyser l’indignation. Si les faits peuvent être rendus obscurs, la pression sur Israël diminue.

C’est pourquoi chaque rédaction qui évite le mot « famine » devient complice, même involontairement.

La famine à Gaza n’est pas un dommage collatéral. C’est un instrument de guerre, mesurable en calories refusées, en camions bloqués et en champs détruits.

La stratégie d’Israël repose sur le contrôle des images. Elle va jusqu’à interdire aux journalistes autorisés à monter à bord des avions qui larguent des vivres, de filmer les ravages en dessous.

Pendant un bref instant, la publication de ces photos de Palestiniens affamés a brisé le mur de la propagande, entraînant des concessions minimes. Mais le siège se poursuit, la famine s’aggrave et les massacres se multiplient.

Aujourd’hui, le gouvernement israélien a décidé de lancer une nouvelle offensive terrestre pour occuper la ville de Gaza, ce qui ne fera qu’aggraver le génocide.

L’histoire retiendra la famine à Gaza. Elle se souviendra du prix de la farine et du sucre, des noms des enfants et des camions d’aide humanitaire refoulés. Et elle se souviendra comment le monde s’est laissé convaincre, sous une pluie battante, que le ciel était dégagé.

9 août 2025 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine

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