
13 juillet 2025 - Des Palestiniens de la ville d'al-Mazra' al-Sharqiya, en Cisjordanie, suivent les funérailles de Saif al-Din Musalat, 23 ans, et Muhammad Shalabi, 23 ans, deux Palestino-américains tués le vendredi qui précède par des citoyens israéliens. Saif al-Din Musalat est décédé après avoir été littéralement lynché par une foule d'Israéliens, qui ont ensuite bloqué l'ambulance envoyée pour le prendre en charge et l'évacuer. Muhammad Shalabi a disparu pendant l'attaque, et son corps a été retrouvé plus tard, présentant des blessures par balle et des marques de coups au visage. Cette attaque coordonnée par un groupe important d'Israéliens visait des dizaines de Palestiniens qui tentaient d'accéder à leurs terres entre les villages de Sinjil et al-Mazra'a al-Sharqiya, à l'est de Ramallah. Selon des habitants, des témoins directs et des vidéos, l'attaque a eu lieu en présence des forces coloniales israéliennes - Photo : Avishay Mohar / Activestills
Par Ramzy Baroud
Israël suit méticuleusement un modèle éprouvé pour semer son chaos en Cisjordanie occupée. Les dernières provocations en date ont consisté à priver la municipalité palestinienne d’Hébron (Al-Khalil) de ses pouvoirs administratifs sur la vénérable mosquée d’Ibrahim.
Pire encore, selon Israel Hayom, il a attribué ces pouvoirs au conseil religieux de la colonie juive de Kiryat Arba, un organisme de colons extrémistes et fascisants.
Bien que tous les colons juifs de Palestine occupée puissent être qualifiés d’extrémistes, les quelque 7500 habitants de Kiryat Arba représentent une catégorie des plus virulentes.
Cette colonie, créée en 1972, sert de point d’ancrage stratégique pour justifier le contrôle militaire renforcé exercé sur Hébron que sur pratiquement toute autre partie de la Cisjordanie.
Kiryat Arba est tristement célèbre pour ses liens avec Baruch Goldstein, le colon américano-israélien qui, en février 1994, a perpétré un horrible attentat.
Il avait ouvert le feu sur des fidèles musulmans agenouillés pour la prière de l’aube à la mosquée d’Ibrahim, assassinant sans pitié 29 personnes.
Ce bain de sang a été rapidement suivi d’un autre, lorsque l’armée israélienne a brutalement réprimé des manifestants palestiniens à Hébron et dans toute la Cisjordanie, tuant encore 25 Palestiniens.
La Commission Shamgar, chargée d’enquêter sur le massacre, a décidé la même année que la mosquée palestinienne, un site d’une grande importance religieuse, devait être divisée de grotesque manière : 63 % seraient attribués aux juifs et seulement 37 % aux fidèles musulmans palestiniens.
Depuis cette décision désastreuse, des restrictions des plus oppressives ont été systématiquement imposées. Il s’agit notamment d’une surveillance omniprésente et, parfois, de fermetures prolongées et injustifiées du site, alors uniquement à l’usage exclusif des colons.
La dernière décision, qualifiée par Israel Hayom d’« historique et sans précédent », est terriblement dangereuse. Elle place le sort de cette mosquée palestinienne historique directement entre les mains de ceux qui sont fanatiquement déterminés à s’approprier l’intégralité de ce site vénéré.
Mais la mosquée d’Ibrahim n’est que le microcosme d’un phénomène bien plus sinistre qui se déroule actuellement en Cisjordanie. Israël a profité de la guerre à Gaza pour intensifier considérablement ses violences, procéder à des arrestations massives, confisquer de vastes étendues de terres, détruire systématiquement les fermes et les vergers palestiniens et étendre de manière ultra-violente les colonies illégales.
Bien que la Cisjordanie, auparavant largement soumise aux pressions militaires conjointes d’Israël et à la répression de l’Autorité palestinienne, n’ait pas été directement impliquée dans l’attaque du 7 octobre 2023 ni dans le génocide israélien en cours à Gaza, elle est pourtant devenue une cible majeure des mesures militaires israéliennes.
Au cours de la première année du génocide, plus de 10 400 Palestiniens ont été kidnappés lors d’opérations répressives menées par l’armée israélienne, dont des milliers restent sans inculpation.
En outre, des centaines de Palestiniens ont été victimes d’un nettoyage ethnique forcé, principalement dans le nord de la Cisjordanie, où des camps de réfugiés et des villes entières ont été systématiquement détruits lors de campagnes militaires israéliennes discontinues.
L’objectif global d’Israël reste l’étranglement de la Cisjordanie. Pour y parvenir, il divise les communautés à l’aide de checkpoints militaires omniprésents, impose le bouclage total de vastes régions et suspend vicieusement les permis de travail des ouvriers palestiniens, qui dépendent presque entièrement du marché du travail israélien pour survivre.
Ce plan insidieux vise également explicitement tous les lieux saints palestiniens, y compris le complexe vénéré de la mosquée Al-Aqsa dans Jérusalem-Est occupée et la mosquée d’Ibrahim.
Même lorsque ces lieux saints sont en théorie accessibles, les restrictions d’âge et les checkpoints militaires étouffants rendent difficile, voire parfois impossible, l’accès des Palestiniens à ces lieux de prière.
En août 2024, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a affirmé que sa campagne violente et implacable contre la Cisjordanie s’inscrivait dans le cadre de la lutte contre « l’axe terroriste iranien au sens large ». Dans la pratique, cette déclaration a donné le feu vert à l’armée israélienne pour traiter la Cisjordanie comme une extension du génocide israélien en cours à Gaza.
À la mi-juillet 2025 et depuis le 7 octobre 2023, plus de 900 Palestiniens ont été assasinés par l’armée israélienne en Cisjordanie, tandis qu’au moins 15 ont été assassinés par des colons.
Alors que les Palestiniens étaient acculés au pied du mur, sans stratégie coordonnée de la part de leurs dirigeants pour opposer une résistance significative, Israël a démultiplié les constructions de colonies illégales et « légalisé » de façon provocatrice de nombreux avant-postes construits en toute illégalité, même selon les normes de l’occupant.
Les actions des Israéliens en Cisjordanie ne constituent pas une inititiave soudaine, mais s’inscrivent dans un plan vicieux qui remonte à loin.
Cela inclut un projet consolidé par la Knesset israélienne en 2020 qui permettait à Israël d’annexer officiellement la Cisjordanie.
L’objectif ultime d’Israël a toujours été de confiner la majorité des Palestiniens dans des enclaves semblables à des bantoustans, tout en affirmant son contrôle total sur la grande majorité de la région.
En août 2023, le ministre fasciste de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, a exprimé cette vision sinistre : « Mon droit, le droit de ma femme et de mes enfants de circuler en Judée-Samarie (la Cisjordanie occupée) est plus important que la liberté de circulation des Arabes. »
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Des mesures plus coercitives ont rapidement suivi, notamment des lois de la Knesset visant à restreindre considérablement les opérations de l’UNRWA, ainsi que d’autres mesures législatives visant à consolider l’annexion de facto.
En mai dernier, Smotrich a de façon provocatrice annoncé la création de 22 nouvelles colonies. Le 2 juillet, 14 ministres israéliens ont publiquement appelé Netanyahu à annexer immédiatement la Cisjordanie.
En réalité, chaque mesure prise par Israël, en particulier depuis le début du génocide dévastateur à Gaza, a été soigneusement calculée pour aboutir à l’annexion irréversible de la Cisjordanie, un processus qui serait inévitablement suivi de la déclaration des habitants autochtones comme persona non grata dans leur propre patrie.
Ce niveau de pression et d’oppression systémique finira par provoquer une explosion populaire. Bien que réprimée par la brutalité de l’armée israélienne, la terreur des colons armés et les mesures répressives de l’Autorité palestinienne, la rupture est proche.
Ceux qui, en Occident, prônent des appels vides de contenu au calme et à la désescalade, doivent comprendre que la région se précipite vers un gouffre. Ni les platitudes diplomatiques ni les communiqués de presse stériles ne suffiront à éviter la catastrophe.
Ce dont nous avons besoin, c’est d’actions décisives contre les politiques destructrices d’Israël, et dans l’urgence.
Auteur : Ramzy Baroud
* Dr Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle.
Il est l'auteur de six ouvrages. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappé, s'intitule « Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak out » (version française). Parmi ses autres livres figurent « These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons », « My Father was a Freedom Fighter » (version française), « The Last Earth » et « The Second Palestinian Intifada » (version française)
Dr Ramzy Baroud est chercheur principal non résident au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA). Son site web.
25 juillet 2025 – Transmis par l’auteur – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah
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