
Février 2024 - Les Palestiniens et leurs soutiens qui se sont joints aux manifestations contre l'extrême droite ont été accueillis avec hostilité, révélant les limites de l'« antiracisme » allemand - Photo : via The New Arab
Par Timo al-Farooq
Timo Al-Farooq explore le soutien indéfectible de l’Allemagne à « Israël » dans le contexte de la guerre contre Gaza, révélant comment cette position fait écho au militarisme passé et à l’incapacité à tirer les leçons de l’histoire. Le mot « Beratungsresistenz », qui signifie « résistance aux conseils », résume bien l’obstination dangereuse de Berlin.
Il existe un mot allemand qui décrit parfaitement l’arrogance de l’Allemagne et son refus de changer son soutien indéfectible à « Israël » alors que celui-ci intensifie sa campagne de bombardements génocidaires contre la bande de Gaza déjà dévastée, lance une invasion terrestre et affame une population civile : Beratungsresistenz, qui signifie littéralement « résistance aux conseils ».
Ce mot typiquement allemand me revient de plus en plus à l’esprit alors que les gouvernements occidentaux commencent – très tardivement – à réaliser qu’il pourrait être mauvais pour l’image de la prétendue démocratie libérale de trahir ses supposées valeurs fondamentales et de se retrouver du mauvais côté de ce que l’historiographie qualifie déjà de « Vietnam israélien » et de « premier holocauste du XXIe siècle ».
À l’exception de l’Allemagne, bien sûr.
Lorsque les dirigeants du Canada, du Royaume-Uni et de la France ont publié leur déclaration commune inhabituellement conflictuelle sur la situation à Gaza et en Cisjordanie, dans laquelle ils « s’opposent fermement à l’expansion des opérations militaires israéliennes à Gaza », qualifiant « le niveau de souffrance humaine à Gaza » d’« intolérable » et la guerre menée par « Israël » en réaction aux attaques du 7 octobre 2023 menées par le Hamas de « totalement disproportionnée », allant même jusqu’à menacer de « prendre des mesures supplémentaires, y compris des sanctions ciblées », Berlin est resté silencieux.
Les condamnations sans les sanctions ne sont qu’un encouragement à poursuivre le génocide
S’exprimant une semaine plus tard lors du WDR Europaforum à Berlin, le meilleur chancelier allemand, Friedrich Merz, s’est contenté de déclarer qu’il « ne comprenait plus l’objectif » de la stratégie « d’Israël » à Gaza, exhortant le gouvernement israélien « à ne rien faire que même ses meilleurs amis ne soient plus prêts à accepter ».
Une déclaration évasive, alambiquée et tiède qui ne déborde pas vraiment d’indignation ou de condamnation…
Lorsque 17 ministres des Affaires étrangères de l’UE, représentant près des deux tiers des États membres du bloc, ont appelé à une révision de l’accord d’association UE-Israël à la lumière de la situation humanitaire désastreuse à Gaza due au blocage par « Israël » de toute aide dans le territoire assiégé, le chef de la diplomatie allemande n’était pas parmi eux.
Alors que les Palestiniens de Gaza endurent ce que le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a qualifié de « phase la plus cruelle d’un conflit cruel », « Israël », saoulé de pouvoir et d’impunité, a réussi à s’aliéner des alliés clés, dont même le Royaume-Uni qui a suspendu des négociations commerciales et imposé des sanctions à des figures de premier plan du mouvement des colons.
Mais l’Allemagne reste totalement obtue dans son refus de revoir sa politique étrangère pro-génocide, le président allemand Frank-Walter Steinmeier ayant même accueilli son homologue israélien, Isaac Herzog, à Berlin il y a deux semaines.
Peu après le 7 octobre, Herzog a déclaré que « toute une nation » à Gaza était « responsable » de ne pas s’être rebellée contre le Hamas, une déclaration qui peut être interprétée comme rejetant la responsabilité sur les Palestiniens de Gaza pour l’offensive génocidaire d’« Israël » et justifiant leur punition collective.
Le soutien de l’État allemand à la création impériale qu’est « Israël », envisagée par Theodor Herzl, le père du sionisme politique, comme « un rempart de l’Europe contre l’Asie » et « un avant-poste de la civilisation contre la barbarie », a toujours été une position tenue par la minorité de nations qui composent le Nord global, imposée à la majorité du monde par l’hégémonie coercitive de l’Occident.
Au sein de l’Occident admirateur d’Israël, l’Allemagne fait figure d’exception par son soutien extrême à l’oppression systématique et à l’effacement des Palestiniens indigènes de leur propre terre par l’entité d’apartheid.
Le pays utilise commodément son histoire nazie (prétendument expiée) et sa culpabilité bien instrumentaliése face à l’Holocauste comme excuse pour vendre des armes à « Israël ».
Berlin, imperturbable face au carnage orchestré par Israël depuis plus de 19 mois à Gaza, reste le deuxième plus grand fournisseur d’armes meurtrières à Tel-Aviv après les États-Unis.
La Palestine n’est pas la seule question sur laquelle l’Allemagne refuse d’entendre raison et qui révèle l’incapacité du pays à tirer les leçons de ses errements atroces du passé. La montée constante du militarisme allemand au cours de la guerre entre la Russie et l’Ukraine a également brisé un tabou après l’autre.
Au début de la guerre, lorsque le chancelier allemand de l’époque, Olaf Scholz, a annoncé que son gouvernement allait utiliser un fonds hors budget de 100 milliards d’euros pour augmenter les dépenses de défense, cette décision controversée a été considérée comme un changement politique historique.
La dite « gauche allemande » se vautre dans la complicité avec le génocide à Gaza
Trois ans plus tard, sous le nouveau gouvernement de coalition de centre-droit dirigé par le chancelier Friedrich Merz, l’Allemagne s’apprête à stationner de manière permanente des troupes allemandes dans un pays étranger pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale.
Cinq mille soldats et membres du personnel de la Bundeswehr seront stationnés en Lituanie afin de défendre le flanc est de l’OTAN contre « toute agression » de la Russie, a déclaré Merz lors de son voyage à Vilnius, la capitale lituanienne, la semaine dernière, annonçant une « nouvelle ère » pour les forces armées allemandes.
Si la Bundeswehr, héritière de la Wehrmacht de l’époque nazie, a déjà participé à des missions de l’OTAN par le passé, cette escalade sans précédent de la projection de la force militaire allemande est la dernière manifestation en date de la réaction du pays à la très médiatisée « Zeitenwende » (littéralement « changement d’époque »), qui utilise opportunément la guerre entre la Russie et l’Ukraine comme prétexte pour rétablir l’Allemagne en tant que puissance militaire.
Non seulement l’Allemagne n’a pas tiré les leçons de son histoire nazie et belliqueuse, mais elle la falsifie activement en violant des traditions de longue date de la culture mémorielle dans le but de minimiser le rôle de l’Union soviétique dans la défaite du fascisme allemand.
Cette année, à l’occasion du 80e anniversaire du Jour de la Libération, qui marque la capitulation sans condition de la Wehrmacht le 8 mai 1945 et la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe, les responsables russes n’ont une fois de plus pas été invités aux commémorations.
Les autorités de la capitale, Berlin, ont également interdit l’affichage des drapeaux et symboles russes et soviétiques sur les trois sites commémoratifs soviétiques de la ville, une décision condamnée par l’ambassade russe comme une « manifestation de révisionnisme historique ».
Le soutien indéfectible de Berlin à « Israël » alors que ce dernier perpétue librement un génocide, et le flux débridé d’armes fabriquées en Allemagne vers l’Ukraine, désormais renforcé par la présence de troupes au sol en Lituanie voisine, ont un point commun : ils montrent tous deux comment l’Allemagne d’après-guerre, autrefois repentante (du moins en apparence), est redevenue « trop grosse pour ses culottes » et met de plus en plus en danger la paix régionale et mondiale.
Rien n’a été appris, rien n’a été gagné, l’Allemagne reste fidèle à elle-même.
Auteur : Timo al-Farooq
* Timo Al-Farooq est un journaliste indépendant basé à Berlin, en Allemagne.
3 juin 2025 – Al-Mayadeen – Traduction : Chronique de Palestine
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