Quel est l’avenir de Gaza ?… (Seconde partie)

Photo: Ashraf Amra
Attaqués par les forces israéliennes d'occupation, des manifestants palestiniens se rassemblent pour réclament le droit de retourner dans leur patrie, à l'occasion du 70e anniversaire de la "Nakba" et pour protester contre le transfert de l'ambassade américaine à Jérusalem - Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza, le 15 mai 2018 - Photo: Ashraf Amra
Cihan Aksan & Jon BailesÉtat de la nature – “One Question” est une série mensuelle dans laquelle nous demandons à des intellectuels de donner une brève réponse à une seule question. Ce mois-ci, nous demandons : Quel est l’avenir de Gaza ?

Lisez la première, troisième et quatrième parties.

Atef Alshaer

Atef Alshaer est Professeur d’études arabes à l’Université de Westminster. Il a écrit plusieurs articles de recherche et monographies, dont Poetry and Politics in the Modern Arab World (Poésie et politique dans le monde arabe moderne) (Hurst, 2016) ; Language and National Identity in Palestine: Representations of Power and Resistance in Gaza (Langue et identité nationale en Palestine : Représentations du pouvoir et de la résistance à Gaza) (IB Taurus, 2018). Il a co-écrit The Hezbollah Phenomenon : Politics and Communication (Le phénomène Hezbollah : politique et communication), avec Dina Matar et Lina Khatib (Hurst, 2014) ; et est responsable de publication de Love and Poetry in the Middle East (Amour et poésie au Moyen-Orient) (Hurst, 2018).

L’avenir de Gaza, connue comme étant la plus grande prison à ciel ouvert, réside dans sa libération totale. Assiégée et démolie par trois guerres dévastatrices et les attaques incessantes d’Israël, gouvernée par le Hamas sans aucun régime à proximité pour coopérer avec son pouvoir partisan, Gaza est abandonnée à son sort face à un monde qui semble satisfait de la considérer comme un abîme, l’ultime création d’Israël et de son idéologie sioniste raciste, soutenu par le parrainage irresponsable et irrationnelle de l’Amérique.

On a beaucoup écrit sur Gaza, mais peu fait pour soulager sa souffrance, celle de ses deux millions d’habitants piégés depuis plus d’une décennie dans 365 km². Elle est surpeuplée ainsi qu’accablée par la pauvreté, et dépourvue d’opportunités pour sa jeunesse dynamique et souvent instruite. Elle souffre d’un déficit de perspectives humaines pour l’avenir, et pourtant les Gazaouis continuent de résister et d’innover dans leur résistance ; et la Grande Marche du Retour, organisée pour commémorer le 70ième anniversaire de la Nakba palestinienne, qui les a dépossédés de la Palestine historique en est la dernière expression.

Le passé de Gaza n’a été que tragédie et résistance, tout comme son présent, et comme le sera son avenir. Le seul avenir qui ait un sens pour Gaza c’est qu’elle soit réunifiée à la Palestine historique dans le cadre d’un seul État démocratique, où tous les citoyens entre le Jourdain et la Méditerranée jouissent de droits humains et politiques égaux. Hormis cela, Gaza restera dans une impasse coincée entre l’Égypte indifférente d’une part et Israël meurtrier d’autre part. Elle va, hélas, rester privée de frontière ouverte pour la relier au monde extérieur, et sans infrastructures viables renforcées par des solutions politiques justes qui s’attaquent à la cause première de son état misérable. La libération de la Palestine tout entière de l’occupation israélienne et de sa mentalité d’apartheid invétérée est la clef de voûte.

Il est extrêmement triste que Gaza n’ait pas d’avenir digne de son peuple extraordinairement chaleureux, émouvant et inébranlable malgré la souffrance. Gaza faisait autrefois partie du tissu du monde méditerranéen. Arrachée à son giron naturel, Gaza va très malheureusement ne rester que l’ombre douloureuse de celle, prospère, qu’elle était autrefois.

Hagar Kotef

Hagar Kotef est Maître de conférences en théorie politique et politique comparée à la SOAS, Université de Londres. Son livre Movement and the Ordering of Freedom (Duke University Press, 2015) étudie les rôles de la mobilité et de l’immobilité dans l’histoire de la pensée politique et la structuration des espaces politiques.

Tandis que j’écris ces mots l’avenir de Gaza semble osciller, une fois de plus entre un brillant (?) avenir économique que lui promet la nouvelle initiative de paix américaine, et une nouvelle séries de ces “cycles d’affrontement”, comme on les appelle officiellement, récurrents. Récemment, nous avons vu une augmentation des attaques contre “les infrastructures du Hamas” (ce qui à Gaza signifie souvent “infrastructure” au singulier), des représailles de la part du Hamas, et entendu des déclarations exagérées auxquelles les séries précédentes nous ont habitués. (Existe-t-il un avenir pour un lieu qui semble se situer dans une temporalité cyclique ?)

Tenter de prédire l’avenir serait par conséqu target=”_blank”ent insensé, mais je ne suis pas non plus sûre de vouloir utiliser cette question comme une occasion d’imaginer. En qualité d’Israélienne juive, il ne m’appartient pas d’exercer mon imagination, ni d’occuper l’espace. Le point de départ devrait par conséquent être l’imagination des habitants de Gaza, et les manifestations récentes le long de la zone tampon avec Israël donne l’occasion de les écouter. Ces manifestations impliquaient l’exigence d’un avenir : l’exigence d’être libéré du siège qui dure (tout dépend de comment l’on compte et de ce que l’on compte) depuis au moins 11 ans, mais également, comme l’indique le nom “Grande Marche du Retour”, l’exigence de modifier la façon d’appréhender cette liberté.

Il ne s’agit pas seulement de réclamer des conditions de vie humaines élémentaires: plus de quatre heures d’électricité par jour, de l’eau potable (96% de l’eau à Gaza n’est pas potable), le droit de pêcher, de travailler, de reconstruire les maisons démolies, le droit de se déplacer, de voir les membres de sa famille, de recevoir une instruction, des traitements médicaux ; c’est également la revendication d’un langage politique, d’un espace, où les habitants de Gaza ont leur place, pas seulement comme sujets humanitaires mais comme acteurs politiques. Cette exigence, nous invite je crois, à remettre en cause des initiatives comme la nouvelle entreprise américaine, mais aussi à réfléchir aux termes de la question elle-même. En tant que question sur l’avenir de Gaza, à mon avis, elle sape précisément cette revendication d’un avenir politique.

L’avenir de Gaza devrait faire partie intégrante de l’avenir de la Palestine, et tout effort de séparer les deux questions est déjà une soumission aux conditions qu’Israël s’est donné beaucoup de peine à créer. Depuis 1967, et de plus en plus depuis le désengagement de 2005, et l’avènement du Hamas et la division de l’Autorité Palestinienne (AP) en 2007, Israël fait tout ce qui est en son pouvoir – politique et militaire – pour séparer l’avenir de Gaza de celui de la Cisjordanie.

Les attaques récentes de l’AP contre les manifestants soutenant Gaza montrent que l’AP, elle-même, a accepté cette division (ne serait-ce que pour reprendre le contrôle de Gaza). L’entreprise américaine semble déjà considérer l’isolement de Gaza presque comme allant de soi. Quand nous nous interrogeons sur l’avenir de Gaza nous avons déjà abandonné la question de l’avenir de la Palestine ou nous avons exclu les Gazaouis de cette question. Il nous faut alors poser une autre question, ou la poser différemment.

Norman Finkelstein

Norman Finkelstein a reçu son doctorat du département de politique de l’Université de Princeton. Il a écrit de nombreux livres, dont L’Industrie de l’Holocauste : réflexions sur l’exploitation de la souffrance des juifs, La Fabrique) , et plus récemment, Gaza : An Inquest into its Martyrdom (Université de Californie, 2018).

L’histoire moderne de Gaza commence en 1948 avec l’afflux massif d’expulsés de l’État d’Israël nouvellement créé. En 1967, Gaza s’est retrouvée sous une occupation israélienne brutale. Israël prétend s’être retiré de Gaza en 2005, mais ce qui fait consensus chez les juristes – y compris Yoram Dinstein, autorité israélienne – c’est qu’Israël demeure la puissance occupante. En 2006, après que le Hamas eut remporté “des élections totalement honnêtes et justes” (Jimmy Carter), Israël imposa à Gaza un blocus de type médiéval. Entre temps, Israël a lancé pas moins de huit “opérations” sur Gaza depuis 2004. Après le dernier massacre, dénommé Opération Bordure Protectrice (2014), le président du Comité international de la croix rouge, Peter Maurer, s’est rendu à Gaza et a fait la remarque suivante: “Jamais auparavant je n’ai vu une telle destruction massive“.

Des agences onusiennes ont déclaré Gaza “invivable“. “Je vois ce processus extraordinairement inhumain et injuste progressivement étrangler deux millions de civils qui ne posent réellement aucun danger pour personne”, a fait remarquer l’an dernier le Coordonnateur humanitaire des Nations Unies pour Gaza, Robert Piper. Lui faisant écho, le chef des Droits de l’homme de l’ONU, Zeid Ra’ad al-Hussein, a récemment déploré le fait que les Gazaouis sont “incarcérés dans un bidonville toxique de la naissance à la mort”.

Le 30 mars, le peuple de Gaza a débuté une série de manifestations hebdomadaires de masse pour briser le siège illégal. Des groupes de défense des droits de l’homme rapportent que les manifestations ont été très largement pacifiques. Mais plus de 120 Gazaouis ont été tués et plus de 3700 autres ont été blessés (un grand nombre de façon permanente) à balles réelles par des tireurs d’élite israéliens. Human Rights Watch qui a mené une grande enquête est arrivé à la conclusion que l’utilisation par les “forces israéliennes” d’une force meurtrière dans la Bande de Gaza depuis le 30 mars 2018 – contre des manifestants palestiniens qui ne posaient aucune menace imminente pour la vie de quiconque – “pourrait être qualifiée de crime de guerre”.

Quel avenir pour Gaza ?

Sara Roy du Centre d’Études du Moyen-Orient de l’Université de Harvard a fait remarquer que “des êtres humains innocents, jeunes pour la plupart, sont progressivement empoisonnés par l’eau qu’ils boivent, et probablement par la terre qu’ils cultivent”. Des spécialistes disent que d’ici peu Gaza sera ravagée par des épidémies de typhoïde et de choléra. Il est impossible de prédire l‘avenir, si ce n’est de dire que si la communauté internationale n’agit pas, Gaza n’en aura pas.

Un rapport de 2015 des Nations Unies de la juge de l’état de New York, Mary McGowan Davis, a exhorté Israël à lever le blocus “immédiatement et sans condition”, tandis que le parlement européen a demandé en 2018 “la fin immédiate et inconditionnelle du blocus”. Si Israël n’est pas contraint à mettre fin au siège illégal et inhumain, le jugement de l’histoire ne sera pas tendre. Demandera-t-on un jour, pourquoi le monde est resté silencieux pendant que l’on crucifiait Gaza ?

28 juin 2018 – Palestine Chronicle – Traduction : Chronique de Palestine – MJB