Israël franchit une nouvelle ligne rouge en massacrant des manifestants désarmés dans le ghetto de Gaza

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Un Palestinien transporte un ami blessé par les tirs des soldats israéliens - Photo : réseaux sociaux
Dave LindorffHong Kong. S’asseoir dans cette paisible cité de l’autre bout du monde, pour un américain des États-Unis, peut mettre certaines choses en perspective.

Les journaux locaux, aussi bien en chinois qu’en anglais, comme le South China Morning Post, ont publié en première page les images des manifestants palestiniens étendus morts sur le sol à Gaza. Accompagnant ces unes, les articles se sont concentrés sur le dernier massacre de plus de 50 Palestiniens (ayant atteint plus tard le nombre de 60) sans armes et sur les mutilations délibérées de 1000 autres victimes, y compris des enfants, souvent par l’utilisation de balles à fragmentation, à grande vitesse, qui brisent les os et déchirent les victimes en leur infligeant d’énormes trous.

Pendant ce temps, l’édition du New York Times, deux jours après les fusillades, n’a toujours pas publié de photo ni aucun éditorial sur le massacre que commet l’IDF à Gaza. Au lieu de cela, sa première page était consacrée aux risques qu’encourrait Israël suite à l’ouverture de l’ambassade étasunienne dans la prétendue cité internationale de Jérusalem.

Le carnage des manifestants à Gaza était un fait mineur dans cet article.

En attendant, les lecteurs de Hong Kong voient et lisent ailleurs la véritable horreur de ce qui se passe à Gaza.

Les tueurs et les mutilateurs sont les soldats de l’armée israélienne, installés en toute sécurité sur des bermes en terre, derrière trois rangées de barrières de sécurité à l’intérieur du territoire de Gaza, tenant à distance les « détenus » gazaouis, trop éloignés pour constituer la moindre menace par même un jet de pierre. Pourtant les snipers de l’IDF continuent de tuer et de mutiler ; souvent, comme le montre la vidéo virale ci-dessous, en riant du résultat ou de leurs tirs à la cible.

Cette violence unilatérale n’est nullement un cas d’autodéfense, bien que le gouvernement israélien tente, de façon ridicule, d’affirmer que les Palestiniens constituent une sérieuse menace, parce qu’ils lancent des pierres ou tentent comme David d’utiliser des frondes pour les envoyer plus loin, et qu’ils font voler des cerfs-volants embrasés au dessus de la barrière dans l’espoir d’enflammer les champs des colons israéliens. Il ne s’agit pas non plus d’un cas de dissuasion, car les Gazaouis ne peuvent en aucun cas passer à travers les murs, qui les maintiennent confinés, pour pénétrer dans le territoire occupé par l’entité israélienne. Il s’agit d’un pur cas d’affirmation de l’autorité et d’une tentative d’intimidation d’une population captive – car Gaza est en réalité le camp de prisonniers le plus grand du monde, un endroit où la nourriture, les médicaments, le carburant et même l’eau sont strictement contrôlés et limités par le propriétaire et exploitant israélien de ce camp de prisonniers.

Près de deux millions de Gazaouis ne peuvent quitter ce ghetto sans une autorisation israélienne sinon de façon clandestine – la première possibilité est rarement satisfaite et la seconde est un projet mortel.

Récemment l’IDF a même bombardé un tunnel utilisé par quelques Gazaouis pour se glisser en Égypte, et permettre le passage de petites quantités de produits rares dans ce trou de l’enfer créé par l’entité israélienne.

Durant ce mois, les habitants de Gaza se sont engagés dans une manifestation continue et délibérément non armée près du mur qui les empêche de quitter leur prison. Ils ont poursuivi leur action même si les soldats de l’IDF continuent de les abattre en toute impunité en utilisant de puissants fusils et en tirant des balles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes sur eux.

Soyons clairs : ce en quoi est engagée l’IDF est exactement ce que les troupes nazies ont perpétré les premiers jours dans le célèbre Ghetto de Varsovie. Quand les juifs, dans la Pologne sous occupation, ont été rassemblés dans une zone de la ville, fermée par un mur d’enceinte et abandonnés pour y mourir de faim. Si les juifs captifs de ce ghetto avaient choisi, dans les premiers jours de son existence, de protester en masse contre son mur, ils auraient été fauchés de la même manière que l’IDF massacre les manifestants palestiniens. Au lieu de cela, ils ont essayé de survivre du mieux qu’ils pouvaient en payant pour laisser passer de la nourriture de contrebande. Ce n’est que plus tard, lorsque leur captivité a trop duré et quand la campagne nazie d’extermination de masse a débuté, que quelques uns ont organisé une héroïque résistance armée contre leurs geôliers.

Il est vrai que l’entité israélienne n’extermine pas activement les Palestiniens (bien que des voix dans cet État de plus en plus religio-fasciste, appellent à le faire en utilisant contre les Palestiniens les mêmes termes déshumanisants – serpents et vermine – que les Nazis ont employés contre les juifs, et en appelant à leur expulsion et à leur mort). Pire encore, elle leur inflige une lente famine et la destruction de la volonté.

Ce que font Israéliens, y compris les massacres, est pareil à ce que les Nazis ont fait aux juifs d’Europe qui étaient sous leur contrôle : les parquer dans des ghettos puis les affamer en niant leurs besoins les plus essentiels pour vivre… et en tuant ceux qui protestent. C’est notamment le cas à Gaza, où l’État israélien a un contrôle total sur toutes les entrées et sorties de la plus petite parcelle du territoire.

L’entité israélienne qui possède, au moins aux USA, des lobbyistes et des partisans qui la vantent sans vergogne et malhonnêtement comme la « seule démocratie » du Moyen-Orient, n’est absolument pas une démocratie. C’est un État d’apartheid dans lequel les personnes définies comme juives (pas un terme religieux dans ce cas mais un terme tribal) sont les dirigeants, quant aux personnes dont les racines sont profondément enfouies dans cette même terre aussi loin que certains Israéliens et qui dans de nombreux cas remontant à de nombreuses générations plus anciennes encore que celles des Israéliens qui règnent sur cette terre, ont peu sinon aucun pouvoir.

Les Gazaouis par exemple, ne sont pas considérés comme des citoyens. Ce sont des apatrides – des gens qui habitaient la Palestine avant la création de l’entité israélienne, ou dont les parents et grand-parents y vivaient avant cette création et qui ont été chassés de leurs foyers lors de la Nakba, il y a 70 ans par les nouveaux arrivants sionistes, puis qui ont été parqués dans le ghetto de Gaza, où ils restent piégés avec leurs enfants.

Les Israéliens sont lourdement coupables de cette horreur, mais les États-Unis ont également une grande part de responsabilité. Ce n’est pas seulement l’administration Trump, qui a fait sans honte de la lèche au gouvernement de la droite apartheid israélienne, et plus récemment en décidant de déménager l’ambassade étasunienne de Tel Aviv vers Jérusalem. Les États-Unis souscrivent à cette épouvantable situation, en fournissant à l’État israélien, assez riche et développé pour s’autofinancer, grâce à l’argent du contribuable un don de 3 milliards de dollars par an pour acheter des armes et autres équipements militaires, le transformant en la plus grande puissance militaire du Moyen-Orient et le plus grand bénéficiaire dans le monde de l’aide militaire américaine.

L’État israélien, aux frais du contribuable américain, se glorifie de posséder la plus grande flotte de bombardiers F-16 en dehors de l’US Air Force. Il dispose aussi d’équipements militaires haut de gamme, et non pas de l’équipement « rudimentaire » fournis aux autres pays par les États-Unis.

Quand les Israéliens commettent des crimes de guerre et des atrocités, qu’il s’agisse de l’assaut contre une flottille de navires civils pour la paix, partant de Turquie vers Gaza en 2010, durant lequel un jeune turco-américain non armé (un citoyen étasunien) a été assassiné, ou le bombardement d’écoles et d’hôpitaux à Gaza en 2014 ou encore d’autres attentats, les États-Unis restent silencieux, et lorsqu’il y a un effort pour adopter une résolution par le conseil de sécurité des Nations-Unies afin de condamner Israël, les États-Unis y opposent leur veto.

Fidèle à ses habitudes, le gouvernement étasunien n’a pas condamné les atrocités commises récemment à Gaza – le massacre de plus de cent Gazaouis non armés et le ciblage délibéré de journalistes palestiniens.

Le silence sur ces crimes au Congrès, dans les médias et parmi le public des États-Unis est assourdissant – en effet, il y a bien plus de protestations chez les Israéliens et plus de critiques dans leurs médias qu’aux États-Unis – rappelant, désolé de le dire, le silence étasunien accompagnant les féroces attaques contre les juifs européens par les nazis durant les années qui précédèrent le début de la Deuxième Guerre mondiale, sans parler du refus du gouvernement étasunien d’accepter les réfugiés juifs de l’holocauste même en temps de guerre.

Aujourd’hui, ce ne sont pas les juifs qui sont les victimes. C’est l’autoproclamé État juif d’Israël qui est le bourreau, avec les Palestiniens dans la position des juifs d’Europe vers la fin des années trente et le début des années quarante.

Je conclurai avec les commentaires du rabbin Arthur Waskow, un militant vétéran pour la paix et défenseur des droits des Palestiniens qui dirige le centre Shalom à Philadelphie. Je ne sais pas comment le rabbin Waskow réagirait à mes propos qualifiant l’actuel gouvernement israélien et son armée d’une sorte de réincarnation des Nazis allemands, mais sa propre description de la détresse des Palestiniens à Gaza n’en est pas loin :

« Alors qu’à Jérusalem, le gouvernement de Netanyahu et la Fille Attitrée de son frère en tyrannie Trump boivent du champagne pour y célébrer la nouvelle ambassade étasunienne, à Gaza, le gouvernement Netanyahu s’enivre de sang.

« Et empoisonnant la sève de la Thora comme si, Dieu nous en garde, son enseignement était empli de haine et de mépris.

« Pourquoi des milliers de Palestiniens sont-ils prêts à risquer la mort ? Parce que, surtout à Gaza, la mort est préférable au désespoir. Le désespoir face au blocus empêchant les Palestiniens de vendre leurs produits à l’étranger ; le blocus empêchant les pêcheurs palestiniens d’attraper les sardines qui pullulent juste en dehors de cette ligne tracée en Méditerranée, où les Israéliens coulent les bateaux de pêche des Gazaouis ; le blocus qui empêche l’importation des produits ; le blocus qui a conduit à la dévastation du réseau d’alimentation électrique, le blocus qui cause un taux de chômage de 40 %, le plus élevé au monde. »

Quant à nous aux États-Unis, engageons-nous brièvement dans l’un de ces exercices mentaux de Chomsky/Herman. Imaginez ce que serait la réaction du gouvernement, des médias institutionnels et du public étasuniens si les soldats chinois de l’Armée de Libération Populaire devaient, la semaine prochaine, faucher des centaines de manifestants tibétains, en tuant des centaines et mutilant des milliers ? Imaginez quelle serait cette réaction si les troupes de l’Armée Rouge, plutôt que la police de Moscou, au lieu de simplement arrêter les manifestants sur la Place Rouge, en massacraient des centaines d’entre eux et en mutilaient des milliers. D’ailleurs, imaginez que les gendarmes français, au lieu de détruire un camp de réfugiés dans le port de Calais, fusillaient et tuaient des centaines de personnes et mutilaient des milliers d’autres.

Alors, même s’il s’agit d’un allié des États-Unis, le tollé serait énorme, et pourtant dans le cas de la violente et meurtrière répression des manifestants de Gaza par l’État israélien, nous n’avons que le silence ou un léger claquement de langue de désapprobation.

Ce n’est pas suffisant surtout quand les États-Unis financent la répression armée israélienne avec autant de prodigalité.

Les États-Unis, à coup sûr, ont beaucoup à répondre sur leur propre histoire, et même aujourd’hui, alors que l’oppression raciale, manifeste et endémique, se poursuit contre les noirs. Mais ce que font les États-Unis en soutenant servilement la brutale répression des Palestiniens par l’État israélien est au delà la répréhension. Même d’un point de vue égocentrique. En soutenant le comportement obscène et criminel des Israéliens envers leur captive population palestinienne, les États-Unis appellent la crainte et la haine justifiées d’une grande partie du monde. Comment pourrait-on considérer que ce soutien à distance est dans l’intérêt des États-Unis ?

Il est temps d’appeler Israël par son nom – un État répressif religio-fasciste, aussi malsain et violateur des lois internationales que l’était le régime blanc de l’apartheid sud-africain.

Les Israéliens qui soutiennent un comportement aussi fasciste n’auront qu’eux-mêmes à blâmer lorsque viendra l’inévitable jour du règlement de comptes, qui assurément arrivera un jour. Quant aux États-Unis, en tant que principal soutien d’Israël, la seule réponse possible est de cesser d’être son acolyte en annulant toute l’aide militaire, et en exigeant la fin de la répression.

* {{Dave Lindorff}} est membre fondateur de ThisCantBeHappening!, un journal collectif en ligne, et il a contribué à Hopeless: Barack Obama and the Politics of Illusion (AK Press).

18 mai 2018 – CounterPunch – Traduction : Chronique de Palestine – Fadhma N’sumer