Trafiquants d’armes israéliens : la mort est leur métier

Photo : Archives/Marco Longari
Des Palestiniens emmènent le corps d’une fillette de 8 ans retiré des décombres d’une maison bombardée par l’aviation israélienne dans le camp de Shati à Gaza Ville le 4 août 2014. Cette frappe a également blessé 30 personnes, quelques minutes après qu’Israël eut déclaré une trêve, disent les soignants - Photo : Archives/Marco Longari

Par Ramzy Baroud

La région du Moyen-Orient, frappée par des guerres et des crises humanitaires – qui ont fait de millions de personnes, des apatrides, des affamées et des malades – a un besoin urgent de paix, de sécurité et de reconstruction.

Cependant, grâce aux fabricants d’armes américains, russes, français, israéliens et autres, cette région du monde est désormais devenue un dépotoir de matériel militaire, un signe inquiétant pour les années à venir.

Les données publiées par l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI) le 9 mars brossent un sombre tableau du monde en général et du Moyen-Orient en particulier. Selon le rapport, la demande d’armes dans la région en guerre a augmenté de 61% entre 2015 et 2019.

La corrélation entre le nombre d’armes, la guerre et le nombre de victimes n’a besoin d’aucun algorithme compliqué pour être décryptée, comme le démontrent amplement les faits sur le terrain. La Syrie reste l’épicentre du conflit au Moyen-Orient, suivie de la Libye, du Yémen,de l’Irak, de la Palestine et du Sud Soudan en fin de liste, mais pas très éloigné.

Selon le SIPRI, les cinq premiers marchands de mort sont les États-Unis, la Russie, la France, l’Allemagne et la Chine. Fait intéressant, alors que les exportations d’armes américaines ont augmenté de façon magistrale de 76% au cours des cinq dernières années, les exportations d’armes de la Russie ont chuté de 18%.

Le marché américain est en constante expansion et il comprend désormais 96 pays clients, tandis que la Russie a perdu – ce qui explique la régression dans les ventes – l’un de ses plus importants clients qu’était l’Inde.

Dirigée par un gouvernement nationaliste hindou d’extrême-droite, Delhi a trouvé à Tel Aviv un fournisseur plus proche de son idéologie. L’amitié spéciale entre Narendra Modi en Inde et Benjamin Netanyahu en Israël a fait de l’Inde le plus grand marché d’armes pour Israël.

En 2017, les exportations d’armes israéliennes ont atteint un niveau record de 9 milliards de dollars, suite à la signature d’un accord de 2 milliards de dollars avec l’Inde. Les contrats attribués à Israel Aerospace Industries (IAI) étaient considérés comme “le plus gros accord jamais signé par l’industrie israélienne de l’armement”.

L’Inde devenant le plus grand importateur d’armes israéliennes dans le monde, Israël est désormais un partenaire qui compte dans le conflit historique entre l’Inde et le Pakistan. Les deux pays dotés d’armes nucléaires se sont rapprochés de l’abîme d’une guerre totale en mars 2019. Naturellement, les armes israéliennes, qui figurent désormais en bonne place dans l’arsenal militaire de l’Inde, joueront un rôle majeur dans tout conflit à venir.

Selon les données récemment publiées, Israël est deuxième derrière la Corée du Sud en termes d’augmentation des exportations d’armes, car l’industrie de fabrication d’armes d’Israël a connu un boom sans précédent ces dernières années. Le SIPRI place cette augmentation à 77%.

L’année dernière, la Direction de la coopération internationale en matière de défense du ministère israélien de la Défense (SIBAT), qui est la pierre angulaire de la fabrication, des tests et des exportations d’armes d’Israël, a publié un plan global visant à l’expansion du marché mondial pour les armes israéliennes, en mettant l’accent sur les États-Unis, la Finlande et l’Inde.

Ce qui rend les armes israéliennes plus attractives que les autres, c’est qu’elles ne sont assorties d’aucune condition politique. En d’autres termes, Israël est prêt à vendre des armes à n’importe quel pays, ou même à des “acteurs non étatiques”, ouvertement ou secrètement, indépendamment de la façon dont ces armes sont utilisées et si leur utilisation viole ou non les droits de l’homme.

En mai 2019, la section israélienne d’Amnesty International a publié un rapport détaillé qui examinait les marchés d’exportation d’armes d’Israël. Contrairement à l’affirmation de Rachel Chen, chef de l’Agence israélienne de contrôle des exportations de défense, selon laquelle “nous examinerons attentivement la situation des droits de l’homme dans chaque pays avant d’approuver des licences d’exportation pour leur vendre des armes”, Israël est connu pour écouler ses armes dans les pays où les violations des droits de l’homme sont les plus notoires. La liste comprend le Myanmar, les Philippines, le Sud Soudan et le Sri Lanka.

Une preuve accablante de l’affirmation ci-dessus est une déclaration faite par le président des Philippines, Rodrigo Duterte, qui est connu pour son sinistre bilan en matière de droits de l’homme, le 4 septembre 2018, lors de sa visite marquante en Israël. Duterte a déclaré au président israélien, Reuven Rivlin, que les Philippines “achèteraient désormais des armes qu’à Israël en raison de l’absence de conditions restrictives”, a rapporté le Times of Israel.

Les États-Unis sont “un bon ami”, a déclaré Duterte, mais comme l’Allemagne et la Chine, les armes américaines comportent certaines “limitations”.

Étant donné que Washington fournit chaque année à Israël plus de 3 milliards de dollars d’armes qui sont utilisées librement contre les Palestiniens sous occupation et contre d’autres pays arabes, sans égard pour le droit international ou humanitaire, on peut être surpris de la déclaration de Duterte.

Il est logique de supposer qu’un pays qui vend des armes au Sud Soudan déchiré par la guerre civile et extrêmement pauvre, n’a pas un iota de réglementations, encore moins de normes morales.

La particularité de l’exportation d’armes israéliennes et des soi-disant “technologies de sécurité” vers le reste du monde, c’est qu’elles apparaissent souvent dans des régions où les peuples sont les plus opprimés et les plus vulnérables. Par exemple, les entreprises israéliennes sont depuis des années à l’avant-garde de la guerre ininterrompue des administrations américaines contre les sans-papiers.

En outre, ces dernières années ont vu la pénétration de tactiques militaires israéliennes brutales dans de nombreux aspects de la société américaine, y compris la militarisation de la police américaine dont des milliers de membres ont reçu une formation en Israël.

De même, en 2018, la technologie de guerre israélienne a été intégrée à l’appareil de sécurité de l’Union européenne. Un des contrats a été attribué à la société israélienne Elbit, estimé à 68 millions de dollars, pour fournir des services de systèmes d’aéronefs sans pilote (UAS) maritimes. Cette technologie, qui repose sur le système Hermes 900 Maritime Patrol, permet à Frontex – l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes – d’intercepter les réfugiés quittant des zones de guerre et les migrants dans leurs tentatives d’atteindre des territoires européens plus sûrs.

Il est intéressant de noter que l’UE a acheté à Israël la même technologie mortelle que celle que l’armée israélienne a utilisée contre les Palestiniens dans la bande de Gaza assiégée lors de la soi-disant guerre israélienne de “bordure protectrice” de 2014.

Cette technologie constitue l’épine dorsale de la stratégie commerciale d’Israël. Labellisant ses produits militaires comme “éprouvés au combat”, Tel Aviv est en mesure d’obtenir le meilleur prix pour sa technologie sanglante car il est en mesure de démontrer, en utilisant des images réelles, comment ses drones armés – un exemple parmi d’autres – peuvent raser des quartiers palestiniens entiers en quelques secondes et retourner en toute sécurité dans leurs bases à l’intérieur d’Israël.

Il convient de se concentrer beaucoup plus sur le fait qu’Israël est lui-même un violateur notoire des droits de l’homme qui devrait être tenu responsable de ses crimes contre les Palestiniens, souvent utilisés comme cobayes au stade de l’expérimentation de la technologie israélienne mortifère.

Ramzy Baroud * Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Son dernier livre est «These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons”» (Clarity Press). Baroud a un doctorat en études de la Palestine de l’Université d’Exeter et est chercheur associé au Centre Orfalea d’études mondiales et internationales, Université de Californie. Visitez son site web: www.ramzybaroud.net.

25 mars 2020 – RamzyBaroud.net – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah