
19 juillet 2025 - Le complexe médical Nasser de Khan Yunis a annoncé le décès de Fadi al-Najjar, âgé de 3 mois, des suites de malnutrition; le ministère de la Santé de Gaza confirme le décès de 72 enfants depuis le début de la guerre à Gaza, des suites de malnutrition - Photo : Doaa Albaz / Activestills
Par Abdel Qadder Sabbah, Sharif Abdel Kouddous
Un reportage sur le terrain consacré à un peuple contraint de faire face à la mort par famine ou par balle, dans une quête des plus dangereuses pour obtenir de maigres rations alimentaires.
GAZA — La guerre d’extermination menée par Israël à Gaza continue de sombrer dans l’horreur.
Affamés, les Palestiniens commencent à s’effondrer dans les rues et à mourir de faim à cause du siège. Ceux qui tentent de se procurer de la nourriture sont abattus lors de massacres toujours plus meurtriers.
L’armée israélienne ordonne fréquemment des expulsions massives et étend ses opérations terrestres, morcelant l’enclave et déplaçant de force les Palestiniens vers des zones plus concentrées. Pendant ce temps, les frappes aériennes et les attaques terrestres se poursuivent sans relâche.
Au cours des cinq derniers jours seulement, plus de 550 Palestiniens ont été tués à Gaza, selon les chiffres du ministère de la Santé.
Le nombre de morts confirmés depuis le début de la guerre a dépassé les 59 000 lundi, un chiffre largement sous-estimé selon les observateurs.
Au cours des deux derniers mois, plus de 1000 Palestiniens ont été tués alors qu’ils étaient contraints de chercher de l’aide dans des zones militarisées, dans le cadre d’un système principalement supervisé par la Gaza Humanitarian Foundation (GHF), un groupe criminel soutenu par les États-Unis et Israël.
22 mars 2024 – Une vidéo publiée par la photographe Doaa Albaz montre des Palestiniens, dont des enfants, ramassant des restes de nourriture éparpillés à l’intérieur d’un bâtiment à Gaza, dispersés après un bombardement israélien.
L’une des journées les plus meurtrières pour les personnes en quête d’aide a été dimanche, où plus de 70 personnes ont été tuées, dont au moins 67 dans le nord de Gaza, où les troupes israéliennes ont ouvert le feu sur des foules qui tentaient de se procurer de la nourriture auprès d’un convoi du Programme alimentaire mondial entrant par le passage de Zikim.
« Le char est arrivé, nous a bloqués et a commencé à tirer sur nous alors que nous levions les mains », a raconté Ibrahim Hamada, blessé à la jambe, à Drop Site alors qu’il gisait sur un brancard d’hôpital, grimaçant de douleur.
« Il y avait beaucoup de martyrs, personne n’a pu les récupérer. J’ai rampé sur le ventre pour atteindre une voiture qui m’a emmené à l’hôpital », a-t-il déclaré. « Je suis allé là-bas pour manger, car il n’y avait rien à manger à la maison. »
Plus de 150 personnes ont été blessées lors de l’attaque. L’hôpital Al-Shifa de Gaza City était submergé par les morts et les blessés, pour la plupart des jeunes hommes et des garçons.
Des visages émaciés et mal nourris dépassaient des linceuls blancs qui recouvraient leurs corps gisant sur le sol. À la clinique Sheikh Radwan, située à proximité, plus d’une douzaine de cadavres dans des sacs mortuaires blancs étaient alignés dans la cour.
Les proches à la recherche de leurs êtres chers sont venus et ont délicatement soulevé une partie des sacs mortuaires pour voir s’ils reconnaissaient quelqu’un.
« La situation est des plus douloureuses. Nous avons transporté les martyrs, comme vous pouvez le voir, et évacué les blessés d’un endroit proche de la zone qui a été prise pour cible par des bombes lancées depuis des drones quadricoptères, des tirs d’armes à feu ou depuis la nouvelle grue [militarisée] située sur le site de distribution de l’aide », a déclaré Mohammed al-Hout, un secouriste du Croissant-Rouge.
« Les gens ont été touchés à la tête ou aux pieds… Certains martyrs ont le crâne fracassé. »
Le Programme alimentaire mondial des Nations unies a déclaré dans un communiqué que 25 camions transportant des denrées alimentaires sont entrés dimanche à Gaza par le point de passage de Zikim « à destination des communautés affamées du nord de Gaza ».
« Peu après avoir passé le dernier poste de contrôle au-delà du point de passage de Zikim vers Gaza, le convoi a été accueilli par une foule importante de civils qui attendaient avec impatience de pouvoir accéder à des vivres dont ils avaient désespérément besoin », a déclaré le PAM.
« À l’approche du convoi, la foule qui l’entourait a été prise sous le feu de chars, de snipers et d’autres tirs israéliens. » Le communiqué ajoute : « Ces personnes essayaient simplement d’accéder à de la nourriture pour se nourrir et nourrir leurs familles au bord de la famine. »
Dimanche également, neuf Palestiniens ont été tués près d’un centre de « distribution d’aide » à Rafah géré par le GHF. Les meurtres ont eu lieu au même endroit où, quelques jours plus tôt, plus de 20 personnes avaient été tuées lorsque des gardes du GHF avaient gazé des Palestiniens affamés enfermés dans le centre, provoquant la mort par suffocation et une bousculade.
Ces meurtres quotidiens de Palestiniens désespérés, affamés et menacés par une famine imminente, ont créé une situation d’urgence sans précédent à Gaza.
Le blocus total imposé par Israël le 2 mars a été nominalement levé le 27 mai, lorsque de maigres quantités d’aide ont commencé à être distribuées à quatre centres militarisés du GHF, dont trois sont situés à l’extrémité sud de Gaza et un à Wadi Gaza.
Avec l’ensemble de la population au bord de la famine, les Palestiniens n’ont d’autre choix que de mourir de faim ou de risquer leur vie dans les centres dits de distribution d’aide.
« Les gens ont faim. Ils n’ont pas d’autre choix que de se diriger vers les lieux de la mort. Dans tous les cas, ils vont mourir », a déclaré à Drop Site Abu Maher Al-Masry, qui a été témoin des meurtres commis dimanche près du passage de Zikim.
« Je suis un homme adulte qui ne peut même plus marcher à cause de la faim. Cela fait plus d’un jour que je n’ai rien mangé. »
Dimanche, le ministère de la Santé a déclaré que 18 personnes étaient mortes de faim au cours de la journée précédente. La veille, le ministère avait publié un bulletin urgent indiquant qu’« un nombre sans précédent de personnes affamées de tous âges arrivaient aux urgences dans un état d’épuisement et de fatigue extrêmes. Nous avertissons que des centaines de personnes dont le corps est émacié risquent de mourir de faim et que leur corps ne pourra pas résister à cette épreuve ».
De nombreux rapports font état de Palestiniens fouillant les poubelles, raclant la nourriture tombée par terre et mangeant dans les ordures dans les rues. L’ONU estime que près d’une personne sur trois ne mange pas depuis plusieurs jours.
La journaliste Nahed Hajjaj a publié sur les réseaux sociaux : « Ne soyez pas surpris lorsque nous, les journalistes, cesserons de couvrir l’actualité ici. Je jure devant Dieu qu’aujourd’hui, je n’ai pas pu me lever à cause de la faim. Il n’y a rien à manger. Même si quelqu’un a de l’argent, il n’y a rien à acheter au marché. »
Pendant ce temps, le correspondant d’Al Jazeera Anas al-Sharif a fondu en larmes lors d’une émission en direct devant l’hôpital Al-Shifa, alors qu’une femme s’effondrait de faim à proximité.
« Les gens s’effondrent dans les rues de faim, ils tombent raides morts d’extrême famine », a-t-il déclaré.
En réponse, un porte-parole de l’armée israélienne s’est moqué d’Al-Sharif sur les réseaux sociaux, affirmant qu’il ne s’agissait que de « larmes de crocodile qui font partie d’une mise en scène trompeuse du Hamas ».
Au total, 86 Palestiniens, dont 76 enfants, sont morts de faim et de malnutrition depuis le début de la guerre, dans ce que le ministère de la Santé a qualifié dimanche de « massacre silencieux ».
Philippe Lazzarini, directeur général de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA) – qui aidait à superviser la distribution de l’aide à Gaza avant qu’Israël n’impose son blocus et n’interdise l’accès aux organisations indépendantes – a déclaré sur les réseaux sociaux que la crise était « entièrement le fait de l’homme, dans une impunité totale ».
« La nourriture n’est disponible qu’à quelques kilomètres de là », a écrit M. Lazzarini dimanche sur X. « À elle seule, l’UNRWA dispose de stocks suffisants à l’extérieur de #Gaza pour nourrir toute la population pendant les trois prochains mois. Mais nous ne sommes pas autorisés à acheminer l’aide depuis le 2 mars. »
La famine et la malnutrition s’aggravent alors que l’armée israélienne poursuit son offensive terrestre et multiplie les ordres d’évacuation. Plus de 86 % de Gaza se trouve désormais dans une « zone rouge », soit sous le coup d’un ordre d’évacuation, soit dans une zone de « combat ».
Pour la première fois depuis le début de la guerre, l’armée israélienne a émis samedi des ordres d’évacuation dans une zone de Deir al-Balah, dans le centre de Gaza, qui s’étend jusqu’au littoral, le long du « corridor de Kissufim ».
Deir al-Balah est l’une des rares zones où les troupes terrestres israéliennes ont rarement opéré et où sont basés les sièges de plusieurs agences des Nations unies et d’ONG médicales.
L’ordre d’expulsion coupe effectivement l’accès entre Deir al-Balah et les villes du sud de Khan Younis et Rafah. L’armée israélienne a ordonné aux habitants de se diriger vers le sud, vers al-Mawasi, un camp de tentes situé sur la côte sud qui a été désigné « zone humanitaire », mais que Israël bombarde régulièrement.
Dimanche, une frappe aérienne a tué plus de 20 personnes, dont des enfants, qui s’étaient réfugiés dans des tentes.
Des ordres d’expulsion ont également été réitérés pour le nord de Gaza, toute la zone située au nord de la rue al-Quds et de la rue Salah Khalaf étant désignée « zone de combat » interdite d’accès.
La semaine dernière, l’armée israélienne a annoncé avoir achevé le nivellement d’un passage de 15 kilomètres (9,3 miles) à travers Khan Younis, établissant ce qu’elle a appelé le corridor « Magen Oz », qui coupe l’est de Khan Younis de l’ouest.
Ce corridor est le dernier d’une série de zones que l’armée israélienne a creusées à travers Gaza à l’aide de démolitions à grande échelle afin de diviser la bande de Gaza en plusieurs régions distinctes : le corridor Morag, qui jouxte Magen Oz et coupe Rafah de Khan Younis ; le corridor Mefalsim, qui sépare le nord de Gaza de la ville de Gaza ; et le corridor Netzarim, qui longe le Wadi Gaza, coupant le nord du sud.
Rien n’indique que l’offensive israélienne va s’atténuer dans un avenir proche et la dite communauté internationale n’a pris aucune mesure pour contraindre Israël à mettre fin à ses attaques et à autoriser l’acheminement de l’aide massive nécessaire pour éviter une famine généralisée.
« Maudit soit ce silence. Maudite soit cette famine », a déclaré Eyad Amawi, représentant du Comité de secours de Gaza et coordinateur des ONG locales.
« Maudit soit tout cela, l’humanité s’est effondrée. »
* Abdel Qadder Sabbah est journaliste et vidéographe dans le nord de la bande de Gaza.Auteur : Sharif Abdel Kouddous
* Sharif Abdel Kouddous est un journaliste indépendant qui a réalisé des reportages dans le monde arabe, aux États-Unis et à l'international. Il a reçu un prix George Polk pour son enquête sur l'assassinat de la journaliste palestinienne Shireen Abu Akleh, un Emmy Award pour sa couverture de l'interdiction de voyager pour les musulmans décrétée par l'administration Trump, et un Izzy Award pour sa couverture de la révolution égyptienne de 2011. Son travail a été publié et présenté dans The Nation, Washington Post, Los Angeles Times, Foreign Policy et Democracy Now.
Auteur : Abdel Qadder Sabbah
21 juillet 2025 – Drop Site News – Traduction : Chronique de Palestine
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