Les technologies de l’information et de la communication en Palestine : défis et limites

10 novembre 2015 - Des Palestiniens attendent dans les embouteillages pour entrer à Jérusalem au barrage militaire de Qalandia entre Jérusalem et la ville de Ramallah en Cisjordanie occupée. De nouvelles applications mobiles sont supposées aider les Palestiniens à se frayer un chemin dans les encombrements aux barrages israéliens en Cisjordanie, offrant une réponse technique à un problème insoluble : des restrictions constantes, lourdes et souvent aléatoires sur les mouvements - Photo: Majdi Mohammed

Par David Musleh

Au cours des deux dernières décennies, l’Autorité palestinienne a collaboré avec des capitalistes palestiniens expatriés, qui opèrent en tandem avec l’État israélien, pour accélérer le développement des TIC en Palestine. Pourtant, le secteur continue de souffrir. David Musleh, collaborateur invité d’Al-Shabaka, examine cette dynamique de pouvoir et propose des recommandations sur ce que l’Autorité palestinienne devrait faire pour améliorer la vie économique des Palestiniens.

Introduction

Au cours des deux dernières décennies, les parties prenantes en Palestine ont redoublé d’efforts pour promouvoir le déploiement et la diffusion des nouvelles technologies de l’information et de la communication (TIC) afin de générer des opportunités économiques.

Au sens large, les nouvelles TIC font référence à l’utilisation du traitement numérique et des télécommunications – tels que les réseaux de données, l’internet, les ordinateurs, les téléphones intelligents et mobiles, les satellites et autres technologies sans fil – pour collecter, créer, analyser, stocker, manipuler et communiquer des informations.

Dans le contexte de l’occupation israélienne de la Palestine et du dé-développement de l’économie palestinienne, de nombreux Palestiniens sont convaincus que la croissance induite par les TIC est un moyen viable de parvenir à une certaine prospérité économique et, partant, à l’autodétermination nationale.

Pourtant, la dynamique du pouvoir qui façonne ce secteur – à savoir l’État israélien, la communauté internationale des donateurs, l’Autorité palestinienne (AP) et les capitalistes palestiniens expatriés (EPC) – limite sa capacité à se développer et à apporter un changement économique durable dans la vie des Palestiniens.

Cette étude décrit les difficultés rencontrées par les Palestiniens pour développer un secteur TIC robuste en raison de l’occupation militaire et numérique permanente d’Israël.

Bien qu’elle décrive certains des défis auxquels sont confrontés les Palestiniens de Gaza, elle se concentre principalement sur la Cisjordanie dominée par l’AP, où la plupart des initiatives palestiniennes en matière de TIC sont lancées.

Elle explore également la manière dont l’AP a initié et facilité le développement des TIC en Palestine par le biais de sa collaboration avec les EPC comme moyen de surmonter les restrictions paralysantes d’Israël, bien qu’avec des limites.

Alors qu’un secteur palestinien des TIC florissant sera toujours hors de portée tant qu’Israël poursuivra son occupation militaire et numérique des Palestiniens, cette étude fournit des recommandations sur la façon dont l’AP peut néanmoins consolider les gains passés et permettre des investissements stratégiques dans les capacités productives.

Une situation difficile pour le secteur palestinien des TIC

En 2017, la Palestine était classée 123e sur 174 au niveau mondial, et 14e sur 19 au niveau régional, dans l’indice de développement des TIC de l’Union internationale des télécommunications, loin derrière les pays voisins que sont le Liban (64e) et la Jordanie (70e).

En 2018, le Bureau central des statistiques de Palestine (PCBS) a indiqué que le secteur palestinien des TIC était constitué de 677 entreprises enregistrées avec 8815 employés, ce qui représente moins de 1% de la main-d’œuvre et 4% du PIB nominal, tout en ayant également accumulé un déficit commercial de 200 millions de dollars en 2017.

Les progrès réalisés dans le secteur palestinien des TIC sont en grande partie dus à l’infrastructure de télécommunications mise en place depuis les accords d’Oslo de 1993.

En 1997, la Palestine Telecommunications Company P.L.C. (PALTEL), qui fait aujourd’hui partie du Paltel Group, a obtenu des licences exclusives de cinq et dix ans pour construire et exploiter des systèmes de télécommunications et de communications mobiles, qui ont perduré jusqu’à ce que le concurrent Ooredoo Palestine (anciennement connu sous le nom de Wataniya) entre sur le marché cellulaire en 2009.

Aujourd’hui, le groupe Paltel touche plus de 98% des Palestiniens vivant dans les zones A et B par l’intermédiaire de sa filiale Jawwal, un opérateur mobile, alors qu’ils n’étaient que 2% en 1997, au début de ses activités.

Le principal moteur de cette extension a été le téléphone cellulaire, avec plus de quatre millions d’abonnements actifs en 2020, soit une augmentation de 66% par rapport à 2010.

Tableau 1 : Indicateurs 2018 du secteur palestinien des TIC (données basées sur les statistiques du PCBS)

Ce succès dans le déploiement de l’infrastructure TIC de base ne doit cependant pas occulter le fait que les Palestiniens ont été pénalisés par des taux de transmission extrêmement faibles, avec une latence élevée, des prix d’abonnement élevés et une technologie obsolète.

En effet, en 2021, les vitesses de téléchargement en down et en up des téléphones cellulaires ont atteint une moyenne de 7,7 Mbps [mégabits par seconde] et de 2,2 Mbps, respectivement, ce qui les place à l’avant-dernier rang de l’indice mondial Speedtest.

En Jordanie, à titre de comparaison, l’internet mobile atteint respectivement des vitesses de 25,1 Mbps et 17,3 Mbps.

Les performances du haut débit fixe en Palestine se sont classées au 130e rang mondial en 2021, avec des vitesses moyennes de téléchargement et d’envoi de 22 Mbps et 10,4 Mbps, respectivement.

En 2018, 40% des abonnés disposaient à peine d’une vitesse de téléchargement de 8 Mbps, voir moins. En raison de la rigidité des prix et de la faible qualité, les taux de pénétration du haut débit fixe s’élevaient à 6,9% en 2019, tandis que 69% des ménages connectés en Cisjordanie et 12% à Gaza dépendaient des réseaux mobiles.

Le sous-développement de l’infrastructure palestinienne des TIC, malgré les récentes réalisations, est le résultat de l’interdiction israélienne de la fibre optique pour les ménages palestiniens, ainsi que d’aux fréquences cellulaires limitées à 2G à Gaza et 3G en Cisjordanie.

Des rapports faisant état d’un possible déploiement de la 4G en Palestine ont fait surface le 31 août 2021 ; cependant, le processus d’installation prendra jusqu’à un an, et les Palestiniens continueront d’être à la traîne par rapport à Israël, qui offre des fréquences 5G.

Il est certain que des progrès significatifs dans le déploiement et la diffusion des TIC palestiniennes dépendent d’Israël et sont déterminés par lui. En tant que puissance occupante, le gouvernement israélien continue d’exercer un contrôle total sur le champ électromagnétique de la Palestine, bien qu’il ait officiellement reconnu le droit du peuple palestinien à des systèmes de communication indépendants dans l’article 36 de l’annexe III des accords d’Oslo en 1995.

De façon concrète, cela signifie qu’Israël veille à ce que les lignes de transmission palestiniennes nouvellement construites ne fonctionnent que comme des extensions des réseaux dorsaux israéliens, ces derniers traversant déjà la Cisjordanie pour connecter les colonies israéliennes illégales.

Tous les appels par ligne terrestre passés depuis ou à l’intérieur de la Palestine occupée, par exemple, transitent par Israël, alors que les Palestiniens ne possèdent ni commutateur interurbain Internet indépendant, ni passerelle de télécommunications internationales indépendante.

Israël a prétexté des raisons de sécurité pour interdire aux entreprises palestiniennes d’importer des équipements de pointe à des fins commerciales. Parallèlement, il a veillé à ce que les Palestiniens ne puissent acheter du matériel technologique [hardware] qu’auprès de fournisseurs israéliens.

En effet, le ministère israélien des communications (IMC) réglemente les conditions du marché pour le groupe Paltel et Ooredoo Palestine, et ces entreprises palestiniennes doivent quémander auprès de l’IMC l’accès à des largeurs de bande et des fréquences cellulaires plus élevées.

La Banque mondiale estime qu’en conséquence directe de ces restrictions, le marché palestinien de la téléphonie cellulaire a subi à lui seul des pertes de revenus comprises entre 436 et 1150 millions de dollars entre 2013 et 2015.

En outre, la société israélienne de télécommunications et ancienne entreprise d’État Bezeq facture à Hadara, un fournisseur d’accès à Internet appartenant au groupe Paltel, des frais de connexion et de résiliation pour l’utilisation de ses réseaux fédérateurs, tandis que Jawwal et Ooredoo Palestine doivent acheter des fréquences à capacités limitées à leurs homologues israéliens par l’intermédiaire du ministère palestinien des Télécommunications et des Technologies de l’information (MTIT), après approbation par l’IMC.

Jawwal et Ooredoo Palestine souffrent tous deux de la concurrence paralysante des opérateurs israéliens, qui se sont emparés d’au moins 20% des parts de marché en 2020, précisément parce qu’ils peuvent proposer des forfaits moins chers avec une vitesse plus élevée grâce à des tours de transmission illégales en Cisjordanie.

Qui plus est, au moins 40% des Palestiniens détenteurs de permis de travail israéliens paient des abonnements israéliens pour s’assurer une connectivité ininterrompue pendant leurs trajets quotidiens.

Le MTIT, qui est chargé de réguler le marché, ne peut pas exercer les pouvoirs exécutifs et législatifs pour lesquels il a été fondé en 2008 ; il manque cruellement de fonds et de personnel et souffre de la division géographique entre le gouvernement de facto du Hamas à Gaza et celui du Fatah en Cisjordanie.

En conséquence, et contrairement à leurs concurrents régionaux, les entreprises palestiniennes ne reçoivent pas le soutien institutionnel nécessaire pour développer des capacités en organisation et en marketing qui soient compétitives afin de réussir dans un contexte de pression du marché international.

En ce qui concerne l’innovation, le statu quo politique décourage les décideurs palestiniens de lancer des programmes de recherche et de développement qui aideraient à intégrer les capacités palestiniennes en matière de TIC dans les chaînes de valeur numériques. Cela serait crucial pour faire passer l’innovation des besoins locaux aux processus de transformation mondiaux.

Les universités ne sont pas non plus en mesure de préparer leurs diplômés dans les domaines liés aux TIC, car elles ne disposent pas des ressources financières et des techniques d’enseignement nécessaires pour doter les étudiants des compétences recherchées par les entreprises. Ces domaines comprennent l’ingénierie, le codage et les télécommunications, entre autres.

En effet, le chômage parmi ces diplômés – qui étaient au nombre de 2545 en 2021 (à peine 4% du total des diplômés en Palestine) – s’élevait à environ 30% au niveau national en 2020.

En Palestine, les jeunes entreprises qui ont réussi n’ont pu s’appuyer que sur les modèles commerciaux existants en reproduisant ceux du monde arabophone, après quoi les entreprises palestiniennes ont dû chercher des partenaires à l’étranger pour assurer la couverture juridique de leurs activités, ou tout simplement vendre leurs produits.

Collaborer avec les capitalistes palestiniens expatriés [CPE] pour atténuer les effets de l’occupation

Malgré le très faible levier de négociation de l’AP face à Israël, celle-ci a suivi une stratégie de développement au cours des deux dernières décennies pour construire une industrie palestinienne des TIC en initiant une croissance productive et en étendant ses capacités de gestion de la rente.

Ce dernier point est particulièrement important pour la capacité de l’AP à changer la dynamique du pouvoir en faveur d’une plus grande liberté économique.

En effet, des revenus de rente supplémentaires offrent aux dirigeants palestiniens une marge de manœuvre cruciale pour non seulement protéger leur monopole politique en alimentant leurs propres canaux de distribution financiers informels, mais aussi pour mettre en œuvre leur stratégie (voir la figure 1 ci-dessous).

L’AP a activement poussé à la création d’une classe capitaliste nationale qui construirait une industrie des TIC basée sur le principe du marché.

Mais à la fin des années 1990, alors que l’AP n’était pas en mesure de faire respecter les droits de propriété ni d’assurer la stabilité nécessaire à l’afflux de capitaux privés en Palestine, les responsables de l’AP ont répondu à l’appel de Palestiniens du Golfe qui se sont engagés, dans un premier temps, à jouer un rôle actif dans la construction de l’infrastructure palestinienne des TIC.

Au cœur de leur accord, les CPE – qui ont ensuite créé Paltel – se sont vu accorder un accès conditionnel à des rentes de monopole exclusives (c’est-à-dire des licences) en échange d’investissements à long terme dans la croissance des capacités productives. Il s’agissait notamment d’améliorer les processus de prise en main technologique et de créer des opportunités d’emploi significatives.

La monopolisation du segment des télécommunications était, du point de vue du développement, inévitable étant donné la petite taille de l’économie palestinienne et la forte concurrence des entreprises israéliennes.

Une condition, cependant, est essentielle : en l’absence d’institutions formelles solides capables de faire respecter la loi, l’élite au sein de l’AP a construit ses institutions de manière à ce que les capacités de gestion de la rente soient concentrées au plus haut niveau.

De cette façon, les décideurs politiques ont veillé à ce que ces capitalistes ne se détournent pas de leur rôle de partenaire de second rang, par exemple en tentant de forger des alliances alternatives pour rechercher des rentes plus élevées.

Afin que l’AP puisse développer ses capacités institutionnelles, qui comprennent des institutions formelles et informelles, elle a réclamé une fraction de ces rentes de télécommunications.

L’AP détient des parts minoritaires dans le Paltel Group (6,7%) et dans Ooredoo Palestine (34,7%) par le biais du Fonds d’investissement palestinien affilié à l’AP. Elle reçoit également une part de 7% des revenus annuels du Paltel Group dans le cadre de leur accord initial de partage de loyer de 1997, ce qui, avec l’impôt sur le revenu et la TVA, ajoute environ 15,5 millions de dollars de revenus mensuels au budget de l’AP.

Un exemple plus frappant de la capacité de l’AP à maintenir dans le rang ses partenaires subalternes, est que le groupe Paltel a accepté de payer, au-delà des engagements existants, 290 millions de dollars pour une prolongation de 20 ans des licences de téléphonie cellulaire et fixe de l’entreprise lors de leur dernier cycle de négociations en 2016.

De plus, l’AP bénéficie indirectement des investissements des CPE, qui ont créé des opportunités d’emploi, lesquelles au final, réduisent la dépendance vis-à-vis du secteur public.

Les CPE sont donc indispensables à l’élite politique en Palestine, précisément parce qu’elles détiennent les capacités organisationnelles et de développement pour traduire les objectifs politiques en réalités économiques. En d’autres termes, leur accord de partage de la location [de l’espace des communications cellulaires] avec l’AP promet des marges bénéficiaires élevées pour les investissements dans un contexte de renforcement des capacités de télécommunications.

Cependant, contrairement aux réseaux patron-client classiques, les CPE ne souhaitent pas contourner l’AP et ils évitent de s’engager directement avec Israël dans la recherche de rentes plus élevées.

Cela s’explique par le fait que les CPE n’ont pas uniquement une volonté de rentabilité, et beaucoup ont également une vision politique pour la Palestine. Avant tout, ils sont attachés à la survie et au succès du mouvement national palestinien, ce qui garantit le maintien de l’AP et de ses divers accords.

Les CPE ont cherché à éviter les critiques du public pour encourager et s’engager dans une collaboration avec Israël, ce qui a maintenu leurs alliances essentiellement informelles (voir figure 1 ci-dessus).

Cependant, cela a nui au fonctionnement du MTIT, car il reste possible aux CPE de transmettre leurs demandes commerciales directement à Israël, ce qui a un impact négatif sur le rôle du MTIT en tant que point de communication central et unique pour les deux parties.

Pour Israël, la collaboration avec les CPE lui garantit une influence et un contrôle sur le développement des télécommunications palestiniennes, car il contrôle totalement la création et la distribution des dividendes technologiques palestiniens, et assure l’hégémonie de ses réseaux de communication, y compris ses systèmes de surveillance.

Cette situation a des répercussions considérables sur le développement des TIC palestiniennes. Comme l’AP ne veut toujours pas déterminer les conditions d’un cadre réglementaire, elle n’a pas cherché à renforcer le MTIT, qui sert en fin de compte à mettre en œuvre les politiques d’IMC dans le cadre du règlement politique actuel.

Cette réalité signifie également que l’AP n’a pas réussi à promouvoir des politiques entrepreneuriales ; elle n’a donc pu réaliser que des progrès à court et moyen terme dans le développement des télécommunications afin de percevoir des rentes plus élevées.

Il n’est pas non plus surprenant que l’AP hésite à répondre aux appels de la communauté internationale des bailleurs de fonds, ou des organisations de la société civile nationale telles que l’organisme de surveillance de la corruption AMAN, pour faire avancer la mise en œuvre de services d’administration en ligne ou la protection des données qui renforcent la transparence.

En effet, cela limiterait davantage la capacité de l’AP à gérer librement les locations de bandes de fréquence, et donc à appliquer les règles de partage de ces locations. Par conséquent, les services TIC gouvernementaux sont promus de telle manière qu’ils ne constituent pas une menace immédiate pour la mobilité des flux de rente à grande échelle.

Néanmoins, l’AP a réussi à faire quelques progrès. Un indicateur notable de l’efficacité de son accord de partage des locations est que les fruits des locations monopolistiques, dans une certaine mesure, demeurent en Palestine.

Le groupe Paltel et Ooredoo Palestine ont également créé des emplois productifs dans le secteur des télécommunications, avec environ 4500 employés gagnant des salaires plus élevés que dans tout autre secteur, y compris le secteur public.

Cela a allégé la pression exercée sur l’AP pour qu’elle crée des opportunités d’emploi pour une classe salariée en difficulté. En plus d’investir dans les infrastructures, elle a également exigé des CPE qu’ils affectent de plus en plus leurs bénéfices à des capacités d’innovation, notamment à l’enseignement des technologies de l’information et au financement et à l’encadrement de l’esprit entrepreneurial.

Pour cela, le Groupe Paltel, et dans une moindre mesure Ooredoo Palestine, se sont engagés à remodeler les schémas de promotion de l’entrepreneuriat, un domaine qui a été servi presque exclusivement par le capital des donateurs internationaux.

En d’autres termes, d’une part, les donateurs et les CPE se disputent actuellement l’influence dans le secteur des services TIC, et d’autre part, ils collaborent lorsque cela est mutuellement bénéfique.

Le groupe Paltel, par exemple, a lancé en 2018 l’incubateur d’entreprises Fikra, qui aide les entrepreneurs à développer des applications en ligne en leur donnant accès à un mentorat, aux systèmes TIC internes de Jawwal et à un financement sur fonds propres pour les start-ups à fort potentiel.

La mesure dans laquelle les interactions entre les donateurs et les CPE font progresser le développement des TIC dépendra en fin de compte de la poursuite de l’occupation par Israël, mais aussi de leur capacité et de leur volonté d’aligner leurs stratégies.

L’élite politique palestinienne, en particulier en l’absence de financement public, a des intérêts légitimes dans la quête des CPE pour établir un système national d’innovation, car cela réduirait l’interférence des donateurs dans les processus de décision économique cruciaux.

Si, à moyen terme, ces investisseurs peuvent être récompensés – puisqu’ils revendiquent leur part de la rente d’innovation -, tant l’AP que les parties prenantes du secteur privé en profiteraient grandement à long terme.

D’un point de vue politique, un système d’innovation contrôlé par les autorités locales offre une plus grande marge de manœuvre pour mettre en œuvre des stratégies visant à résoudre des problèmes urgents, tels que les conditions de travail défavorables pour les entrepreneurs et les indépendants, et permet une croissance conforme aux paramètres du marché.

Recommandations

Le retour sur deux décennies d’investissements de l’AP dans le développement des TIC permet de tirer des enseignements précieux sur la manière dont elle devrait renforcer le rôle des TIC dans l’économie palestinienne, malgré la poursuite de l’occupation israélienne.

Si les CPE jouent un rôle important dans le développement des TIC en Palestine, ils sont cependant des partenaires de second rang. C’est l’AP, bien qu’il s’agisse d’un quasi gouvernement limité dans sa capacité à consolider et à investir dans des capacités productives, qui a mené la stratégie de développement. En conséquence, elle devrait :

1) Renforcer la pression politique sur Israël pour qu’il assouplisse les restrictions à l’importation, en particulier sur la technologie 4G/5G. L’Autorité palestinienne n’étant pas en mesure d’influencer les réglementations relatives aux TIC, il est important de porter la question à l’attention des parties prenantes nationales et internationales concernées qui peuvent exercer une pression politique et économique sur Israël.

2) Créer une plateforme par laquelle les parties prenantes peuvent communiquer et coordonner leurs efforts en matière de développement des TIC. Cela leur permettrait d’établir une voie claire pour la spécialisation future dans les chaînes de valeur numériques potentielles. Pour ce faire, l’Autorité palestinienne devrait commander des études d’évaluation du marché indépendantes afin de garantir une prise de décision fondée sur des arguments.

3) Renforcer et renouveler les politiques d’éducation pour favoriser les connaissances liées aux TIC. Tant les CPE que la communauté internationale des donateurs sont désireux d’investir dans l’éducation aux TIC, étant donné que leur succès à long terme dans la génération de revenus dépendra d’une plus grande diffusion des connaissances en matière de TIC. L’AP devrait saisir cette opportunité.

4) L’AP doit axer ses politiques de développement sur l’institutionnalisation des canaux de distribution des fonds, afin que les investissements dans les établissements d’enseignement supérieur soient plus efficaces et plus transparents. Elle devrait créer une agence chargée de coordonner ces flux financiers.

5) Renforcer les relations avec les partenaires régionaux et internationaux, tels que la Jordanie et la Tunisie, ainsi que le Nigeria, le Kenya et l’Afrique du Sud, afin d’améliorer les échanges de connaissances et les exportations de services TIC. Des relations plus étroites avec les gouvernements régionaux et mondiaux permettraient à l’Autorité palestinienne d’acquérir une expérience précieuse dans le développement des capacités en matière de TIC, notamment en ce qui concerne des politiques d’éducation efficaces et peu coûteuses, et les moyens innovants de surmonter les déficits de commercialisation.

9 janvier 2022 – Al-Shabaka – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah