Les Palestiniens du Liban : “C’est comme vivre dans une prison”

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Hassan Salem, 12 ans, travaille dans un atelier de mécanique sept jours par semaine, 10 heures par jour, pour aider sa famille à survivre - Photo : Al-Jazeera/Lisa Khoury
Lisa KhouryMahmoud Mashwra avait 12 ans lorsqu’il a quitté l’école pour aller vendre des friandises dans la rue.

Beddawi, Liban – Mashwra, dont la famille a fui l’oppression israélienne dans les territoires palestiniens il y a des années dans l’espoir d’une vie meilleure au Liban, vit aujourd’hui dans un contexte économique des plus difficiles, avec des pénuries dans l’aide internationale et de la discrimination contre les Palestiniens. Il a commencé à travailler à temps plein pour aider sa famille à survivre.

“Je pensais que je retournerai à l’école quand je retournerai en Palestine”, raconte Mashwra, âgé de 16 ans, à Al Jazeera.

Mais cet espoir s’est estompé à la suite de la déclaration du président américain Donald Trump ce mois-ci déclarant Jérusalem comme la capitale d’Israël. Les Palestiniens considèrent Jérusalem-Est comme la capitale de leur futur État, et la proclamation des États-Unis – bien que condamnée par la communauté internationale – a porté un rude coup aux quelque 280 000 réfugiés palestiniens vivant au Liban, dont beaucoup espèrent retourner un jour chez eux.

Lutter pour survivre

Les réfugiés palestiniens au Liban sont traités comme des résidents de seconde zone. Ils sont interdits de travailler dans la plupart des secteurs, interdits de posséder des biens, contraints de vivre dans des camps délabrés et exclus du système éducatif d’État.

Mohamad Jabbar gagne 10 dollars par jour dans sa boucherie, soit un dixième de ce qu’il pourrait gagner si les autorités libanaises l’autorisaient à opérer en dehors du camp militairement gardé de Beddawi.

“C’est comme vivre dans une prison”, nous dit Jabbar. “Le gouvernement contrôle où je vis et où je travaille.”

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Mohamad Jabbar gagne aussi peu que 10 dollars par jour dans sa boucherie, seulement un dixième de ce qu’il pourrait gagner si les leurPalestiniens étaient autorisés à ouvrir des commerces en dehors des camps – Photo : Al-Jazeera/Lisa Khoury

Les Palestiniens ne peuvent pas être propriétaires d’une entreprise au Liban et sont exclus de la plupart des professions salariées, y compris dans les domaines médicaux et juridiques. On estime que les deux tiers d’entre eux vivent en état de pauvreté. Le gouvernement refuse d’accorder les droits de citoyenneté aux réfugiés palestiniens, de peur que ceux-ci ne restent alors pour toujours.

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“C’est une hypothèse cruelle et erronée”, déclare à Al Jazeera Bassam Khawaja, un porte-parole basé à Beyrouth pour l’organisation Human Rights Watch. “Rien n’empêche le Liban de respecter les droits fondamentaux pour les Palestiniens tout en refusant la résidence permanente ou la citoyenneté. Le résultat est que les générations ont grandi dans une situation sans réel statut, sans protection de base.”

Aujourd’hui, pour l’emploi et les aides, les Palestiniens sont en concurrence avec près de deux millions de réfugiés syriens arrivés au Liban.

“La grande majorité de l’aide humanitaire internationale au Liban est centrée sur la crise des réfugiés syriens, ce qui signifie que nous négligeons les violations des droits de l’homme auxquelles les Palestiniens sont confrontés depuis des décennies”, nous dit Bassam Khawaja.

L’Office de secours et de travaux des Nations Unies (UNRWA) s’occupe de l’aide aux Palestiniens, tandis que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) s’occupe des Syriens – et la différence dans l’aide fournie est frappante. Le HCR attribue à 150 000 Syriens réfugiés au Liban 175 dollars par mois par famille, tandis que l’UNRWA ne peut attribuer tous les trois mois que 10 dollars par membre de la famille à 61 000 Palestiniens, ont déclaré des porte-parole à Al Jazeera. Les deux organismes disent qu’ils s’occupent en priorité de ceux qui sont considérés comme les plus vulnérables.

Contrairement aux citoyens libanais, les Palestiniens ne peuvent pas bénéficier de soins gratuits dans les hôpitaux. Ils sont également interdits dans la plupart des écoles publiques. L’UNRWA a ouvert 67 écoles et 27 cliniques au Liban, mais les cliniques sont réservées aux examens généraux, tandis que les réfugiés atteints de maladies graves, comme le cancer, doivent demander l’aide d’autres ONG.

Privé de l’enfance

Hassan Salem, âgé 12 ans, est couvert de graisse après avoir passé 10 heures dans un atelier de mécanique, comme il le fait tous les jours. À la fin de la semaine, il recevra 3,33 dollars, qui iront à sa famille.

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Ali et ses amis prévoient de participer à plus de manifestations contre la déclaration de Trump sur Jérusalem – Photo : Al-Jazeera/Lisa Khoury

“Bien sûr, je voudrais envoyer mon fils à l’école”, déclare sa mère, Lena Deeb, à Al Jazeera. “Mais je ne peux pas, s’il ne travaille pas, nous ne mangerons pas.”

Près de 20% des Palestiniens âgés de 6 à 15 ans – et 30% de ceux âgés de 16 à 18 ans – ne sont pas scolarisés au Liban, souvent parce qu’ils sont forcés de travailler alors que leurs parents ne le peuvent plus. Plus de 30% des Palestiniens quittent l’école en raison de leurs faibles résultats scolaires.

“Les écoles sont tellement mauvaises, je ne voyais plus le besoin d’y aller”, a déclaré Ali, un réfugié palestinien de 17 ans qui a demandé que son nom de famille ne soit pas divulgué. “J’avais 14 ans quand j’ai quitté l’école, et je pouvais à peine lire ou écrire.”

Mahmoud Mustafa, âgé de dix-neuf ans, a abandonné il y a trois ans. Quand on lui demande quel est son métier de rêve, il rit: “Nous sommes des réfugiés, nous ne pouvons pas rêver ici, nous avons seulement le souci de survivre chaque jour ici.”

“Mort à l’Amérique”

Rami Saaf est toujours anxieux quand il est au travail – non pas parce qu’il peut devoir emprunter à nouveau à ses voisins de quoi manger pour nourrir sa famille, mais parce que ses enfants risquent l’électrocution à la maison.

L’homme de 34 ans vit dans le camp de Beddawi, où les eaux d’égout et l’eau de pluie coulent sur des câbles devant sa porte d’entrée. La dernière fois que son fils de neuf ans a touché un fil, il a fini à l’hôpital.

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Le Liban a 12 camps de réfugiés pour abriter les générations de Palestiniens chassés de leurs foyers après la fondation d’Israël en 1948. Beaucoup sont privés des services de base, tels que les réseaux d’électricité, d’égouts et le ramassage des ordures. Soixante-dix-huit pour cent des ménages se plaignent de l’humidité, 62% souffrent de fuites d’eau et 52% disposent d’une mauvaise ventilation, selon une étude de l’UNRWA.

Mais ce camp est tout ce que Saaf connait. Devenu grand, son père avait vendu des friandises dans la rue, et Saaf n’est jamais allé à l’école. Au lieu de cela, il a erré dans le camp à la recherche de travail, ce qu’il fait encore aujourd’hui.

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Rami Saaf et son fils de neuf ans, Jihad, se tiennent à l’extérieur de leur domicile, toujours à la limite du délabrement – Photo : Al-Jazeera/Lisa Khoury

Il a toujours rêvé qu’un jour, il serait capable de donner une vie meilleure à ses enfants en Palestine.

“Après ce que Trump a dit, c’est comme si nous étions morts”, a déclaré Saaf. “Nous avons perdu tout espoir, je suis triste pour l’avenir de mes enfants, je ne veux plus avoir d’enfants, parce que je n’ai aucun avenir à leur donner.”

Des milliers de Palestiniens ont organisé des manifestations à travers le Liban au cours de la dernière semaine, dont une dimanche à Beyrouth qui ont dégénéré en violence. Les manifestants ont lancé des pierres et mis le feu à des containers à ordures à l’extérieur de l’ambassade américaine, tandis que les forces de sécurité libanaises ont tiré des gaz lacrymogènes et utilisé des canons à eau contre la foule.

Lors d’une autre manifestation dans la capitale lundi, les manifestants ont scandé: “Mort à l’Amérique! Mort à Israël!”

“Nous n’acceptons pas la décision de Trump”, a déclaré Ali. “Alors nous allons nous battre.”

16 décembre 2017 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine