L’occupation aggrave l’impact du changement climatique sur la Palestine occupée

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Par Al-Haq

Les communautés du territoire palestinien occupé (TPO), en particulier dans la zone C de la Cisjordanie, subissent les effets amplifiés du changement climatique en raison des politiques et des pratiques discriminatoires d’Israël.

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Tout en s’adaptant au changement climatique, les Palestiniens endurent simultanément des environnements extrêmement contraingnats imposés par Israël pour provoquer des déplacements et des transferts forcés de Palestiniens.

Les projections du changement climatique pour le TPO prévoient une augmentation des températures en moyenne annuelle et une diminution des précipitations. Par conséquent, le besoin urgent d’une adaptation adéquate au changement climatique continuera d’augmenter.

Les pratiques israéliennes de déplacement et de dépossession de la population palestinienne sous occupation sont démontrées par sa pratique consistant à cibler systématiquement les ressources nécessaires au maintien des moyens de subsistance des Palestiniens. L’exploitation et le contrôle des ressources naturelles ont été essentiels pour construire, soutenir et développer l’entreprise illégale de colonisation d’Israël.

Ces ressources comprennent celles qui sont pertinentes pour l’adaptation au changement climatique, à savoir la terre et l’eau. Le ciblage des ressources naturelles comprend l’obstruction par Israël du développement des secteurs de l’eau et de l’agriculture, y compris la production de bétail.

Le rapport intitulé « Adaptation Under Occupation : Climate Change Vulnerability in the Occupied Palestinian Territory » examine l’applicabilité des mesures communautaires d’adaptation au changement climatique dans la région des collines du sud d’Hébron, notamment à Masafer Yatta dans le gouvernorat d’Hébron, l’une des zones les plus vulnérables du point de vue climatique dans le territoire palestinien occupé.

Le rapport évalue la capacité de la population palestinienne vivant sous occupation, à s’adapter au changement climatique dans le contexte de l’occupation prolongée du territoire palestinien par Israël depuis 1967.

Le rapport souligne également comment les politiques et pratiques discriminatoires imposées par Israël à la Cisjordanie occupée, en particulier dans la zone C, empêchent les Palestiniens de s’adapter efficacement au changement climatique.

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En étudiant la pertinence du droit international, y compris le droit international de l’environnement, au contexte des collines du sud d’Hébron et au territoire palestinien dans son ensemble, le rapport conclut que les Palestiniens résidant dans des zones climatiquement vulnérables ne pourront appliquer des options d’adaptation communautaires de base, sans une véritable mise en oeuvre du droit collectif du peuple palestinien à l’autodétermination, y compris la souveraineté permanente sur ses richesses et ressources naturelles dans le TPO.

Introduction

Dans le contexte de l’occupation prolongée par Israël du territoire palestinien (la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et la bande de Gaza) à partir de 1967, Israël a causé une dégradation environnementale considérable, aggravant et exacerbant les vulnérabilités environnementales parmi les Palestiniens, et en particulier les communautés pastorales, d’éleveurs et d’autres agriculteurs.

Dans le cadre général du changement climatique mondial, la relation complexe entre les menaces liées au climat et les conflits armés, qui se recoupent souvent avec des déterminants sociopolitiques et économiques, est de plus en plus évidente et reconnue.

On se rend également de plus en plus compte que les conflits armés, y compris les situations d’occupation, contribuent à une dégradation substantielle de l’environnement, ce qui accentue la marginalisation déjà répandue des communautés qui dépendent principalement des richesses et des ressources naturelles, en particulier les communautés autochtones des régions marquées par les pouvoirs impériaux et coloniaux [2].

Parallèlement, l’impact du changement climatique sur la détérioration des ressources naturelles, en particulier lorsqu’il conduit à la détérioration des moyens de subsistance des populations, a été considéré comme un catalyseur majeur des situations de conflit dans le monde entier.

En particulier, le changement climatique est de plus en plus reconnu aujourd’hui comme un « multiplicateur de menace » concret pour la paix et la sécurité internationales [3].

Dans le contexte palestinien, les liens entre les conflits armés, l’occupation prolongée et la justice environnementale, y compris l’adaptation au changement climatique, ont été articulés et traités par diverses études [4].

Alors que la recherche mondiale sur les conflits climatiques s’est principalement concentrée sur la dynamique des conflits violents, moins d’attention a été accordée à la mesure dans laquelle les populations dans des situations de conflit armé ou, dans le cas du territoire palestinien occupé (TPO), d’occupation militaire prolongée, sont en mesure de s’adapter au changement climatique dans le cadre du statu quo politique.

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A Beit Lahya le 6 février 2018. Au loin la centrale électrique de Rutenberg, en Israël. L’unique centrale de Gaza est régulièrement à l’arrêt faute de carburant – Photo : archives

Ce rapport s’appuie sur les travaux universitaires existants qui attribuent les vulnérabilités climatiques et environnementales aux vulnérabilités politiques dans de tels contextes.

Il démontre ainsi les limites auxquelles se heurte la mise en œuvre d’options d’adaptation au changement climatique à petite échelle et au niveau communautaire [5] par les communautés palestiniennes d’éleveurs, de bergers et d’autres agriculteurs dans le TPO, en raison des mesures discriminatoires imposées par Israël.

Ces mesures sont conçues pour faciliter l’annexion du territoire occupé, le transfert forcé de la population sous contrôle, l’expansion des colonies israéliennes illégales [6] et le contrôle permanent du territoire et des ressources palestiniennes.

Ces mesures privent les Palestiniens de leurs droits humains fondamentaux et contribuent à la création d’environnements coercitifs, [7] entraînant le déplacement et la dépossession des Palestiniens.

Depuis 1967, les autorités d’occupation israéliennes se sont systématiquement et illégalement appropriées les terres palestiniennes publiques et privées, exploitant les ressources naturelles palestiniennes au profit de l’économie nationale israélienne et de l’économie des colons.

L’exploitation systématique des ressources naturelles palestiniennes, y compris la terre, l’eau8, les réserves de gaz et de pétrole9, les minéraux de la mer Morte [10] et les réserves de minerais [11], constitue une violation des obligations d’Israël en vertu du droit international, notamment de l’article 55 du règlement de La Haye, qui interdit à Israël d’endommager ou de détruire les ressources naturelles du territoire palestinien occupé d’une manière qui porte atteinte à leur capital ou qui entraîne des avantages économiques pour l’économie nationale d’Israël.

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La disposition considère la puissance occupante comme l’administrateur temporaire et l’usufruitier des ressources naturelles du territoire occupé [12].

L’exploitation des ressources naturelles palestiniennes est également une composante de la politique plus large d’Israël visant à déplacer par la force et à transférer la population palestinienne occupée, dans le but d’annexer de manière permanente le territoire palestinien et d’étendre et de soutenir l’entreprise de colonisation illégale d’Israël, ainsi que les colonies résidentielles, industrielles et agricoles qu’elle englobe [13].

En conséquence, les Palestiniens ont été empêchés d’accéder à leurs propres richesses naturelles, de les utiliser et d’en tirer profit, et ont été relégués à un marché captif [14].

Abondante en ressources naturelles, la zone C représente environ 63 % de la Cisjordanie occupée, telle que délimitée par les accords d’Oslo, et reste sous le contrôle total de l’armée israélienne.

La grande majorité des terres de la zone C continue d’être soit fortement restreinte, soit totalement inaccessible aux communautés palestiniennes en raison des diverses mesures discriminatoires imposées par les autorités d’occupation israéliennes.

Celles-ci sont illustrées par des barrières physiques et des restrictions d’accès qui entravent la liberté de mouvement des Palestiniens, ainsi que par le régime discriminatoire de planification et de zonage d’Israël dans la zone C [15].

Désignées en fin de compte pour la construction et l’expansion des colonies, les autorités d’occupation israéliennes ont utilisé divers prétextes pour s’approprier les terres palestiniennes, notamment en les reclassant en tant que terres abandonnées, « terres d’État », zones militaires fermées, zones de tir ou soi-disant réserves naturelles [16].

À leur tour, les produits agricoles et les exportations des colonies israéliennes illégales, ainsi que les services et les produits industriels vendus en Israël et dans le monde entier, continuent de générer des revenus et des profits vitaux qui soutiennent la présence illégale et la croissance de la population de colons israéliens dans le TPO [17].

En ce qui concerne le changement climatique et les vulnérabilités associées à ses impacts, la lutte pour la survie dans les zones identifiées comme les plus vulnérables est amplifiée par le ciblage stratégique par Israël des ressources nécessaires à une adaptation efficace et positive.

Les effets conjugués de l’occupation israélienne et des risques liés au changement climatique augmentent la vulnérabilité de la population civile palestinienne, notamment des communautés qui subissent des menaces systématiques et à long terme de déplacement forcé.

Ce double impact rend extrêmement difficile, voire impossible, la mise en place d’une résilience efficace pour les communautés touchées, en particulier si l’on considère les pratiques israéliennes qui sont largement caractérisées par l’appropriation et l’exploitation illégales des ressources naturelles du territoire occupé, qui sont des sources vitales de moyens de subsistance, de durabilité et de résilience.

L’accès et l’autodétermination des communautés palestiniennes sur les richesses et les ressources naturelles, y compris la terre et l’eau, sont des conditions préalables à la mise en œuvre de toute possibilité d’adaptation au changement climatique.

Dans sa stratégie d’adaptation au changement climatique et son programme d’action de 2011 [18], l’Autorité palestinienne identifie la région de Masafer Yatta du gouvernorat d’Hébron, située dans la zone C du sud de la Cisjordanie, comme l’une des trois zones les plus vulnérables au changement climatique dans le TPO, aux côtés de la vallée du Jourdain et de la bande de Gaza.

En prenant Masafer Yatta comme étude de cas principale, ce rapport examine les capacités d’adaptation [19] des communautés palestiniennes au changement climatique, en tenant compte des limites imposées par l’occupation israélienne.

L’étendue des obligations d’Israël en tant que puissance occupante et principal responsable de la garantie des droits à la santé, au bien-être et à la dignité des communautés palestiniennes dans le TPO sera également examinée.

Les informations de terrain présentées dans ce rapport ont été recueillies lors d’une série de visites de terrain menées par Al-Haq à Masafer Yatta et dans les villages environnants, dans le sud des collines d’Hébron, tout au long de l’année 2018.

Les visites de terrain visaient à évaluer la capacité de la population à mettre en œuvre des options d’adaptation au changement climatique à petite échelle et au niveau communautaire, à la lumière des restrictions imposées par Israël qui ont un impact sur la vie quotidienne des Palestiniens.

Le rapport adopte une approche de justice environnementale [20] qui attire l’attention sur les liens entre l’adaptation au changement climatique, les ramifications d’une occupation prolongée et les injustices géopolitiques dans le TPO.

Israa, 13 ans, vient de remplir un seau d’eau à un poste public d’approvisionnement en eau installé à Khan Younès, une ville située dans la bande de Gaza, dans l’État de Palestine. « Nous avons à la fois des problèmes d’eau potable et des problèmes d’eau non potable. Nous sommes parfois privés d’eau pendant trois jours, cela nuit énormément à notre vie quotidienne », indique-t-elle – Photo: UNICEF/El Baba

Notes :

[2] « Les peuples autochtones sont parmi les premiers à faire face aux conséquences directes du changement climatique, en raison de leur dépendance et de leur relation étroite avec l’environnement et ses ressources. Le changement climatique exacerbe les difficultés déjà rencontrées par les communautés autochtones vulnérables, notamment la marginalisation politique et économique, la perte de terres et de ressources, les violations des droits de l’homme, la discrimination et le chômage”. Forum permanent des Nations unies sur les questions autochtones, Climate Change and Indigenous Peoples, p. 1, disponible ici.

[3] Ces dernières années, de nombreuses études ont mis en évidence la relation entre les droits autochtones et les droits environnementaux, ainsi que les effets disproportionnés des dommages environnementaux et du changement climatique sur les peuples et communautés autochtones qui sont les moins préparés et les moins capables de s’adapter aux effets néfastes du changement climatique. Voir, par exemple, UN News, Climate Change recognized as ‘threat multiplier’, UN Security Council debates its impact on peace, 25 janvier 2019, disponible ici. Voir également, CICR, CICR au Conseil de sécurité de l’ONU : Le double impact du changement climatique et des conflits armés nuit à la capacité des populations à faire face, 25 janvier 2019, disponible ici.

[4] De multiples universitaires, auteurs et experts dans le domaine du changement climatique et des droits environnementaux ont beaucoup écrit sur la relation entre l’occupation israélienne et la dégradation de l’environnement dans le territoire palestinien, ainsi que sur les vulnérabilités environnementales des communautés palestiniennes causées, amplifiées et exacerbées par les politiques et les pratiques de l’occupation israélienne. Il s’agit notamment de Ziad Mimi, Jan Selby et Clemens Messerschmid.

[5] Voir la définition des options d’adaptation du GIEC dans le glossaire.

[6] Voir, par exemple, Conseil de sécurité des Nations unies, Résolution 2334 (2016), 23 décembre 2016, UN Doc. S/RES/2334 (2016).

[7] Les environnements coercitifs font référence à la création de conditions de vie inhabitables, résultant souvent d’un transfert forcé direct ou indirect. Ces environnements coercitifs créés par Israël dans le TPO portent atteinte aux droits des Palestiniens à un logement adéquat, à une alimentation suffisante, à l’eau et à l’assainissement, parmi de nombreux autres droits. Pour plus d’informations, voir Al-Haq, Unpacking Gender in Coercive Environments : The Case of the Jordan Valley, 2018, disponible ici. Voir également BADIL, Coercive Environments : Israel’s Forcible Transfer of Palestinians in the Occupied Territory, 2017, disponible ici.

[8] Voir Al-Haq, Water for One People Only : Discriminatory Access and ‘Water Apartheid’ in the Occupied Palestinian Territory, 2013, disponible ici.

[9] Voir Al-Haq, Annexing Energy : Exploiting and Preventing the Development of Oil and Gas in the Occupied Palestinian Territory, 2015, disponible ici.

[10] Voir Al-Haq, Pillage of the Dead Sea : Israel’s Unlawful Exploitation of Natural Resources in the Occupied Palestinian Territory, 2012, disponible ici.

[11] Voir Environmental Justice Atlas, Israeli stone quarrying in the Occupied Palestinian Territory, disponible ici.

[12] Article 55, Règlement de La Haye (1955).

[13] Selon l’approche de la Commission du droit international (CDI), l’entreprise de colonisation israélienne comprend toutes les entités et tous les acteurs publics et privés impliqués dans l’établissement et le maintien des colonies israéliennes dans le TPO depuis 1967, y compris les lois, les politiques et les pratiques israéliennes ainsi que les acteurs, les entités et les activités attribuables à l’appropriation illégale par Israël de terres et de biens palestiniens, y compris l’appropriation ayant un impact négatif sur les ressources naturelles palestiniennes. Une définition juridique complète de l’entreprise de colonisation israélienne est fournie dans le mémorandum juridique d’Al-Haq intitulé : State Responsibility in Connection with Israel’s Illegal Settlement Enterprise in the Occupied Palestinian Territory, 2012, disponible ici. Une explication détaillée de l’entreprise de colonisation israélienne est également fournie dans le glossaire d’Al-Haq, Settling Area C : The Jordan Valley Exposed, 2018, disponible ici.

[14] Voir, par exemple, Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Mission internationale indépendante d’établissement des faits concernant les conséquences des colonies de peuplement israéliennes sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels du peuple palestinien dans l’ensemble du territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, 7 février 2013, Doc. ONU A/HRC/22/63.

[15] En 2018, Al-Haq a publié un rapport détaillé sur les mesures, politiques et pratiques discriminatoires imposées par Israël, la puissance occupante, dans la zone C de la Cisjordanie occupée. Le rapport présente le cas de la vallée du Jourdain comme un exemple principal, alors que des mesures et des politiques similaires sont imposées sur toutes les terres classées en zone C dans l’ensemble du TPO, y compris Masafer Yatta dans les collines du sud d’Hébron, en particulier en ce qui concerne les terres catégorisées comme zones de tir. Voir Al-Haq, Settling Area C : the Jordan Valley Exposed, 2018, disponible ici.

[16] Les pratiques israéliennes telles que l’expansion des colonies autour des zones déclarées par Israël comme « réserves naturelles », ainsi que la déclaration des « réserves naturelles » comme zones de tir et zones militaires fermées, sont en contradiction avec l’objectif proclamé d’Israël de préserver la nature et de protéger la faune et la flore. Voir, par exemple, UN OCHA, Settlement expansion around an Israeli-declared « nature reserve x, 31 octobre 2014, disponible ici.

[17] Voir Who Profits, Made in Israel : Agricultural Export from Occupied Territories, 2014, disponible ici.

[18] PNUD-PAPP, Stratégie d’adaptation au changement climatique et programme d’action pour l’Autorité palestinienne, 9 juin 2011, disponible ici.

[19] Voir la définition de la capacité d’adaptation du GIEC dans le glossaire.

[20] Voir également Al-Haq, An Environmental Approach : The Protection of Natural Resources in the Occupied Palestinian Territoire palestinien occupé, 2017, disponible ici.

2 octobre 2019 – Al-Haq – Traduction : Chronique de Palestine