
24 mars 2025 - Khan Younis - Photo : Doaa Albaz / Activestills
Par Marie Schwab
« Israël est, par essence, un Etat exterminateur. Il a été créé dans la violence, s’est étendu par la violence, fonctionne par la violence et (…) ne conçoit de sécurité que militarisée. L’histoire d’Israël est entièrement définie par la militarisation, la conquête, l’expansion et l’agression. » Craig Mokhiber, directeur démissionnaire du bureau new-yorkais du Haut-commissariat aux Droits de l’Homme des Nations Unies.
Israël est un Etat serial criminel.
En 2011, une étude faisait état que seuls 1,3 % des enfants de Gaza ne présentaient pas de syndrome post-traumatique.
En 2022, le Dr. Gabor Maté faisait le constat qu’on ne pouvait pas parler de désordres liés au stress post-traumatique en Palestine, Cisjordanie et Gaza confondus – car le choc, il y a trois ans déjà, n’était jamais « post », le choc traumatique était déjà constant.
Survivre à Gaza, aujourd’hui, ce n’est pas « seulement » survivre à 100 bombes par jour [1], c’est aussi, jour après jour, faire face à une succession de chocs et de pertes, affronter la famine, guérir sans médecine. S’accrocher à la vie. L’occupant a intentionnellement détruit tout ce qui rend la vie possible.
Hani Mahmoud, journaliste, témoigne : « La destruction va bien au-delà des simples bâtiments. Elle déchire le tissu social. Voir les gens mourir jour après jour – dans la rue, dans les maisons, dans les tentes, dans les hôpitaux – cause une dévastation psychologique et affective. » [2]
A Gaza, les enfants de 5 ans rêvent de vivre assez longtemps pour pouvoir manger de la viande.
A Gaza, les enfants de 5 ans identifient le bruit que fait un F-16 ou un F-35 suivant s’il va larguer une bombe ou s’il a largué la bombe et que le danger est provisoirement passé.
« La guerre a effacé les détails de la vie sociale, ne laissant que la destruction. (…) La nouvelle société qui émerge à Gaza, née sous les bombes, née dans sa propre annihilation, n’est plus que lutte pour la nourriture et la survie. (…) Les enfants naissent dans la famine et grandissent dans un néant caractérisé par le manque de tout », écrit Tareq S. Hajjaj.
Jour après jour, à chaque instant, le même danger, la même terreur. Pas de répit ni de refuge.
Les enfants reconnaissent les corps dans la poussière ; les visages qui émergent des linceuls leur sont familiers ; ils connaissent les blessés, les amputés. Ce sont leurs compagnons de jeu, leur maîtresse, leur chauffeur de bus. Ces rues dévastées, les enfants les ont parcourues vibrantes de vie, ils se souviennent du glacier, du musée, de l’école.
Wassim se désole : « Les enfants voient tout. Nous ne pouvons pas leur mentir ou faire semblant. »
« Je n’arrive pas à imaginer une vie, un avenir pour mes enfants » : le terrible constat d’Ahmad.

16 mai 2025 – Nihal Al-Banna, elle-même blessée, fait ses adieux à son fils âgé de 12 ans, Ibrahim Al-Banna, tué lors d’une attaque israélienne contre le domicile familial dans le quartier d’Al-Qarara, à Khan Yunis, dans la bande de Gaza. Plusieurs autres membres de la famille ont également été blessés lors de l’attaque – Photo : Doaa Albaz / Activestills
Amr, 5 ans, a tout perdu en un instant, ses parents, son frère, la parole, l’usage de ses membres, et la faculté de respirer seul.
Mouna, 3 ans, couverte de pansements, est allongée sur le sol de l’hôpital bondé. Elle pleure: « Maman ! Maman ! Maman ! » Elle est seule.
Hamoudi, 7 ans, court après le corps de son petit frère qu’on emporte, à Nuseirat : « Ranimez-le ! il est peut-être encore en vie ! Je vous en supplie ! »
Najla, 4 ans, est recroquevillée contre sa mère qui meurt, couverte de son sang.
Wajd, 6 ans, réclame jour après jour sa maman, depuis 587 jours.
Hicham baigne de ses larmes le visage de Yara et Mahmoud, 7 et 6 ans. Il n’a pas retrouvé les corps de ses autres enfants.
Manal, Rania, Hani, Fatima et Mariam n’ont jamais revu leur père, parti au milieu de la nuit au point de distribution de Netzarim. Un tir de drone l’a assassiné à deux rues de chez lui, à Shujai’ya, alors qu’il rapportait un sac de farine.
Mourad, 12 ans, accompagne, seul, sa petite sœur inconsciente à l’hôpital.
Nassim, 9 ans, a vu les corps calcinés de son petit frère Maher, 10 mois, et de son papa, le petit lové contre le grand. Maher était un porte-bonheur vivant, comme tous les bébés de Gaza. Les naissances, en plein génocide, sont célébrées comme un miracle. Les nouveaux-nés sont la promesse de lendemains meilleurs.
Il n’était pas concevable que Maher ne voie pas un jour Gaza dans toute sa splendeur.
Parler des enfants de Gaza, pleurer les enfants de Gaza, ce n’est pas satisfaire au paradigme de l’innocence, ni les ériger en « victimes parfaites », parce qu’innocentes. Ce n’est pas laisser entendre que les hommes seraient moins innocents. Je fais miens les mots de Mosab Abu Toha : « Tout le monde est innocent à Gaza ».
Rappelons que la Palestine, à la différence d’Israël, est signataire du Statut de Rome, et demande à être jugée pour tout crime commis. Rappelons que les Palestiniens ont le droit, légalement, de résister à l’occupation, y compris par la lutte armée.
Rappelons enfin l’article 31 du Statut de Rome et la close d’exonération, qui permet d’acquitter les résistants issus de peuples subissant une oppression telle qu’ils n’ont d’autre moyen que de commettre des crimes de guerre dans leur lutte pour la libération.
Tuer les enfants, briser les enfants, c’est tuer la société, l’ébranler, la mutiler, la torturer. C’est tuer l’avenir.
Maisons, écoles, hôpitaux, n’ont pas seulement été bombardés, ils ont été méthodiquement, systématiquement détruits par l’occupant, au moyen d’armes choisies dans l’intention d’infliger un maximum de dégâts, de tuer le plus de civils possible dans des zones densément peuplées : bombes d’une tonne non guidées (45 % des bombes larguées), bombes à fragmentation, armes incendiaires, bombes au phosphore blanc – toutes armes conçues pour tuer en masse, mutiler et détruire.
Les armes utilisées depuis octobre 2023 tuent quatre fois plus que lors des précédents assauts de l’occupant sur Gaza.
« Gaza est le coeur de l’histoire de la Palestine – non de par ses terres et ses ressources, elle n’en a pas. Mais parce que Gaza a toujours été le coeur battant de la résistance palestinienne. C’est là que l’histoire a commencé, et c’est là qu’elle finira, avec la défaite du sionisme. Gaza, seule, a fait plus pour mener le sionisme à sa perte en 600 jours que tous nos efforts combinés pendant un siècle. La résistance à Gaza, ce n’est pas une question d’armes. Il est grotesque de demander aux Palestiniens de déposer les armes. Essayez seulement de les compter. Ils les fabriquent au jour le jour avec ce qu’ils trouvent. Ils n’ont pas une armée avec des tanks et des avions. C’est une armée du peuple. C’est la résistance du peuple. Voilà pourquoi les sionistes ont décidé que leur ennemi est le peuple palestinien dans son ensemble. Ils savent qu’il n’y a pas de résistance sans le peuple palestinien. »
Israël est un Etat dont la politique d’apartheid, la colonisation et l’occupation des territoires palestiniens ont été reconnues comme illégales par la plus haute juridiction au monde. Israël est un Etat poursuivi par la Cour Internationale de Justice pour génocide, crime d’extermination et de persécution.
Le premier ministre israélien est recherché pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre, actuellement en fuite au regard du droit.

24 juin 2025 – Le petit Hassan Barbakh est décédé après avoir souffert d’une grave hypertrophie du foie, d’une insuffisance rénale, d’une acidité sévère et de malnutrition. Sa famille avait lancé un appel au monde entier : « Sauvez-le avant qu’il ne soit trop tard », mais le silence a été plus rapide que la réponse… Son court voyage s’est terminé, tout comme celui de ses deux frères qui l’ont précédé dans la mort, privés de leur droit à des soins médicaux. À Gaza, des milliers d’enfants sont confrontés au même sort. Sauvez les enfants de Gaza avant qu’il ne soit trop tard ! – Photo : Doaa Albaz / Activestills
Le Droit international fonctionne, les leviers juridiques existent, ce sont nos dirigeants qui prennent la décision politique, idéologique, de ne pas les actionner. Ce n’est pas le droit qu’il faut réformer, c’est le fonctionnement de nos démocraties.
« Les dirigeants des ex-Etats coloniaux occidentaux sont en train de démanteler leurs propres démocraties pour défendre leur colonie préférée, Israël. » Omar Barghouti
Je voudrais terminer par une pensée pour Nael, 10 ans, qui depuis plus d’un an n’a plus qu’un mot sur les lèvres, un murmure : « Maman. »
Une pensée pour Haitham, qui pleure son fils Hassan, 17 ans, assassiné alors qu’il attendait de la nourriture. « Que Dieu me donne la force de supporter ton absence. Je ne tiendrai pas longtemps. » Hassan aurait dû vivre.
Je voudrais saluer le courage de ce jeune homme qui court, en claquettes, à découvert, déposer une charge explosive sur un tank de l’armée d’occupation.
Le dernier mot revient à Ramzy Baroud, né dans le camp de Nuseirat, de parents expulsés dans le sang de Beit Daras, village rasé par l’occupant en 1948 :
« J’ai perdu plus de 100 membres de ma famille. Parler de coexistence, aujourd’hui – ce n’est pas que je sois incapable de contrôler mes émotions, mais je ne peux pas voir l’avenir sans faire abstraction de ces émotions qui vous dominent lorsque votre famille a été massacrée et que les survivants meurent de faim… L’histoire d’Israël et du sionisme n’a jamais été une histoire de solutions. Vous ne pouvez pas trouver de solution avec une autre partie qui n’est intéressée par aucune forme de solution. Oui, nous devons avoir des visions pour l’avenir. Et ces visions doivent toutes se focaliser sur la solution à un Etat : un Etat appelé Palestine. (…) C’est le moment d’être radical. C’est le moment des paroles radicales, des actions radicales. »
Notes :
[1] Al Jazeera live 1.7.2025
[2] Hami Mahmoud, Israeli attacks causing « psychological, emotional devastation », Al Jazeera, 18.5.2025, 10.30 GMT
Auteur : Marie Schwab
* Marie Schwab milite au Collectif Palestine 12 (Aveyron). Ses textes, lus à l'occasion des rassemblements hebdomadaires dans la ville de Millau, sont « des cris du coeur ! »
3 juillet 2025 – Transmis par l’auteure.
Soyez le premier à commenter