Là où est notre cœur, là est notre patrie

Photo : archives
Al-Qods, le Dôme du Rocher - Photo : archives
Ghada AhmedAujourd’hui c’est le 69ième anniversaire de l’expulsion dont les Palestiniens ont été victimes en 1948. A cette date, les sionistes ont brutalement dévasté des villes et des villages dans ce qui était la Palestine et chassé de nombreux Arabes autochtones.

Plus de 700 000 Palestiniens ont été obligés de quitter leurs maisons et beaucoup se sont réfugiés dans des camps dans des États voisins. Environ 400 villes et villages palestiniens ont été vidés de leurs habitants et des milliers de personnes ont été massacrées. Certains endroits ont été entièrement détruits et rendus inhabitables ; dans d’autres, on a laissé quelques centaines d’habitants avant de les a repeuplés avec des ressortissants du nouveau pays d’Israël.

Les événements de 1948 sont commémorés par les Palestiniens, en Palestine et ailleurs, le 15 mai, une commémoration qui a pris le nom de Nakba (la “catastrophe”) ou Jour de la Nakba. Le gouvernement israélien espère que les réfugiés palestiniens finiront par oublier et s’évanouir. David Ben Gurion, le principal fondateur de l’État d’Israël et son premier Premier ministre, a déclaré : “Nous devons tout faire pour qu’ils [les Palestiniens] ne reviennent jamais.” Mais les réfugiés Palestiniens considèrent les sionistes comme des occupants et beaucoup pensent que le conflit israélo-palestinien se poursuivra jusqu’à ce que les Israéliens quittent la Palestine.

Une autre définition de la “patrie”

Si on cherche le mot “patrie” dans le dictionnaire, on trouve comme définition “le pays dans lequel on est né” (Cambridge Dictionary). Ce même mot a une définition totalement différente pour les réfugiés palestiniens : “la question n’est pas de savoir où on est né, où on vit, ni même où réside votre famille. Le secret du sentiment d’appartenance se trouve plutôt dans la terre elle-même, la terre à partir de laquelle nous avons été créés, et à partir de laquelle notre patrie a été créée. J’aime passionnément un endroit où je n’ai jamais été et où je n’ai pas de parents. C’est ma patrie, la Palestine “, dit Amr Abu Aysheh, un réfugié palestinien de 25 ans dont les grands-parents ont été contraints de quitter leur maison d’Hébron en 1948. Aujourd’hui, Amr vit à Amman, en Jordanie – un pays où 60 % des habitants sont des réfugiés Palestiniens et/ou leurs descendants.

Ghada Karmi, est une réfugiée Palestinien qui a grandi en Grande-Bretagne et qui est maintenant bien connue comme médecin, auteure, universitaire et spécialiste international du conflit israélo-palestinien. Elle a écrit le livre “Mariée à un autre homme”, un titre qui fait écho à la conclusion du rapport d’une mission d’enquête juive en Palestine chargée d’apprécier si le pays pouvait constituer un nouveau foyer pour les Juifs. Le rapport concluait : “La mariée est belle, mais elle est mariée à un autre homme.”

Ils n’arriveront pas à nous faire disparaître

Le gouvernement israélien s’imagine que le f6-BrightMaplePole-6ait de vivre loin de leur patrie historique conduira les Palestiniens, au fil du temps, à abandonner leur droit au retour. Mais, on assiste exactement au contraire.

“Bahr” (un mot arabe qui signifie “mer”) est une page Facebook sur laquelle je suis tombée par hasard et où j’ai fait la connaissance d’Amr. J’ai lu beaucoup de ses posts et je me suis rendu compte qu’il parlait beaucoup de la Palestine, sa patrie qu’il n’avait jamais vue, et de bien d’autres questions qui s’y rapportaient. Par la suite, j’ai contacté Amr sur Facebook pour lui exprimer mon admiration. Cela l’a encouragé à s’ouvrir à moi et à me parler de ses origines et de son statut de réfugié palestinien.

A l’âge de 20 ans, Amr a commencé à poster des contributions sur Bahr, pour faire découvrir la réalité palestinienne au plus de monde possible. Il parle du droit au retour, de l’importance de Jérusalem (la capitale de la Palestine), des fêtes et commémorations nationales et des personnes célèbres pour avoir sacrifié leur vie à leur patrie.

En lisant ses articles, il m’est venu une question toute simple : “Pourquoi Amr n’est-il jamais allé en Palestine alors que les réfugiés palestiniens qui vivent en Jordanie ont un passeport jordanien et peuvent voyager ?” il m’a répondu qu’il n’avait pas pu le faire parce que toute personne qui veut se rendre dans les territoires palestiniens doit obtenir l’autorisation de l’ambassade d’Israël en Jordanie, même s’il s’agit de sa propre patrie comme dans le cas des Palestiniens. Amr explique : “Comme c’est notre terre et pas celle d’Israël, si je me soumettais à leurs exigences, j’aurais – et je donnerais – l’impression d’accepter la situation, de normaliser la relation avec Israël. Par conséquent, je préfère ne pas y aller plutôt que de demander la permission à Israël.”

Ma famille aussi a été chassée de notre village d’origine, Barbara, qui était un village arabe palestinien dans le sous-district de Gaza, situé à 17 km au nord-est de la ville de Gaza. Je ne suis jamais allée dans un autre endroit de ma patrie parce que le gouvernement israélien n’autorise pas les habitants de Gaza à aller en territoire palestinien occupé, à l’exception de ceux qui ont reçu une autorisation spéciale (par exemple, en raison de leur grand âge ou de la nécessité d’un traitement médical).

Nous parlons de la Palestine

Golda Meir, le quatrième Premier ministre d’Israël, a dit, à propos des Palestiniens : “Les vieux mourront et les jeunes oublieront”. Pourtant, contrairement à ce qu’elle croyait, les Palestiniens – quel que soit leur âge – ne manquent jamais une occasion de parler de la Palestine. Les Palestiniens les plus âgés en particulier relatent leurs souvenirs, ce qui empêche les Israéliens de réécrire l’histoire comme ils le voudraient. Amr a dit à propos de son grand-père qui est encore en vie et qui avait 10 ans à l’époque de la Nakba : ” C’est mon grand-père, qui se souvient encore de tout, qui nous parle du passé et de Jérusalem, et nous dit à quel point la Palestine est belle. Une fois, nous avons regardé une émission télévisée montrant des villes palestiniennes et mon grand-père m’a dit tout de suite : ‘Cela fait vraiment du bien de voir sa patrie’. Il rêve d’y retourner et il nous a transmis ce rêve, à nous, la génération suivante.”

Ce ne sont pas seulement les Palestiniens âgés, mais aussi les jeunes qui parlent de nos terres ancestrales : “Quand on interroge un enfant ici sur son origine, il répond : ‘Je suis de Jaffa’, ou ‘Je suis de Naplouse’, et ainsi de suite”, m’a assuré Amr.

Les Palestiniens se font un point d’honneur de parler de leur patrie à leurs enfants. L’espoir des Sionistes que les jeunes Palestiniens oublieront leur pays est tout à fait vain. La transmission orale de l’histoire et des contes sont des armes efficaces.

Une enfance dans la diaspora

J’ai demandé à Amr de me parler de la façon dont son enfance comme Palestinien dans la diaspora a contribué à façonner sa personnalité. Il a répondu : “Grandir dans une famille qui rayonne de l’amour de la Palestine m’a donné la fierté d’être Palestinien et a influencé ma vie de mille manières. Je me rappelle encore que, quand j’étais jeune, mon père m’emmenait acheter des cassettes de chansons arabes d’Abu Arab”. (Abu Arab était connu comme le “poète de la révolution palestinienne” ; il a composé ses œuvres en l’exil pendant près de 63 ans.)

L’école joue généralement un rôle important dans l’éducation des enfants, mais la situation était différente pour Amr : “Le programme scolaire jordanien manque d’informations sur la Palestine, alors j’ai décidé de m’informer par moi-même en suivant attentivement les nouvelles récentes pour être au courant de ce qui se passait. Nous devons lutter pour conserver notre identité ; c’est pourquoi je vais à des expositions et j’achète des livres sur la littérature palestinienne. Aussi, j’ai rejoint des clubs d’été qui proposent des activités qui ont un lien avec la Palestine et la résistance”.

Amr montrait un tel intérêt pour la cause palestinienne que deux de ses amis de son école préparatoire jordanienne l’ont surnommé “Katheyya” (un mot du dialecte palestinien qui fait référence à la cause palestinienne).

Nous ne voulons pas d’autre patrie

Il y a sans doute des gens qui pensent que si les Palestiniens s’installer dans un autre pays où les droits de l’homme et une vie stable leur sont offerts, ils seront satisfaits et cesseront de se battre pour retourner sur leurs territoires d’origine. C’est pourquoi Amr a écrit : “Dès leur naissance, la Palestine fait partie intégrante de l’ADN des réfugiés palestiniens, et ils savent que c’est dangereux d’avoir une autre patrie. Rêver de la Palestine nous donne un sentiment de sérénité et les camps ne sont que le symbole du droit au retour. La Palestine est la terre qui va du fleuve à la mer, et le reste du monde n’est qu’un camp pour un réfugié palestinien, même s’il vit dans un palais. Rien ne peut remplacer notre patrie.”

Il y a bien sûr aussi beaucoup de gens qui ne sont pas palestiniens et qui défendent notre cause. Il raconte l’histoire de sa rencontre avec une Anglaise portant la kufiyah palestinienne dans un café d’Amman. “Quand je lui ai dit que le kufiyah lui allait bien, elle a répondu avec un sourire : “J’aime la Palestine.”

Et il ajoute : “Plus les Palestiniens sont opprimés, plus ils sont déterminés. Je crois que chaque Palestinien vivant et éduqué est une catastrophe pour Israël. J’espère que nous aurons tous assez d’éducation et de vie en nous pour faire vivre la question palestinienne, et que nous nous accrocherons à nos droits et à l’espoir que notre patrie nous sera rendue. Il est impossible d’arracher un pays à un peuple qui s’y oppose de toutes ses forces.”

Ça m’a ouvert les yeux de parler à Amr et d’avoir, grâce à lui, la preuve que même dans la diaspora, les Palestiniens s’accrochent fermement à leur identité. Soixante-neuf ans, c’est long, mais les Palestiniens dispersés partout dans le monde ne renoncent pas à leur rêve de retourner dans notre patrie. La mariée, la Palestine, n’abandonnera jamais son époux, le peuple palestinien. Le rêve sioniste d’un Israël/Palestine sans Palestiniens fera long feu bien avant que nos souvenirs de notre patrie ne s’effacent.

Ghada Ahmad, âgée de 25 ans, a étudié l’anglais à l’Université islamique de Gaza. Elle a travaillé comme bibliothécaire et traductrice pour le Centre d’études politiques et de développement, puis comme professeur d’anglais. “A Gaza, vous devez accepter des emplois que vous n’aimez pas,et prendre ce qui est disponible. Je n’ai pas de préférence pour l’enseignement, mais mes étudiants m’ont aidé à apprécier ce que je faisais”, dit-elle. Ghada travaille actuellement comme traductrice au Collège universitaire des sciences appliquées. Voir l’ensemble de ses articles ici.

15 mai 2017 – We Are Not Numbers – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet