La Nakba n’a jamais pris fin

18 mai 2025 - Les Palestiniens pleurent les dizaines de personnes personnes tuées dans une frappe aérienne israélienne qui a visé des familles déplacées dans la prétenduemnt « zone de sécurité » du camp de tentes d'Al-Mawasi, près de Khan Yunis, pendant la nuit. La frappe a causé des destructions massives et incendié les tentes qui abritaient les personnes déplacées. Les forces israéliennes continuent de bombarder Gaza, tuant au moins 125 Palestiniens depuis l'aube - Photo : Doaa Albaz / Activestills

Par Huda Skaik

À Gaza, la frontière entre le passé et le présent est devenue indistincte. L’année 1948 n’est pas terminée – elle se déroule à nouveau, et de manière encore plus violente et destructrice.

Gaza – Chaque année, le 15 mai, les Palestiniens du monde entier célèbrent le jour de la Nakba – le « Jour de la Catastrophe », qui marque les déplacements massifs et la dépossession qui ont suivi la création de l’État d’Israël en 1948.

Le jour de la Nakba n’est pas seulement un jour de commémoration, mais aussi un témoignage vivant d’une blessure profonde qui continue de saigner dans chaque camp de réfugiés, chaque maison détruite et chaque enfant né à l’ombre de l’occupation et de la guerre.

Alors que nous commémorons la Nakba, nous le faisons sous le poids insupportable du génocide et de l’extermination à Gaza. La frontière entre le passé et le présent est devenue indistincte. L’année 1948 n’est pas terminée – elle se déroule à nouveau, et de manière encore plus violente et destructrice.

La Nakba de 1948 s’est traduite par l’expulsion systématique de plus de 750 000 Palestiniens et la démolition de leurs maisons au cours de la guerre israélo-arabe qui a suivi le partage de la Palestine par les Nations unies et la déclaration de l’État d’Israël.

Plus de 500 villes et villages palestiniens ont été dépeuplés, détruits ou capturés. Les autres ont dû subir un exil forcé. Des centaines de milliers de personnes ont fui vers la bande de Gaza, beaucoup d’entre elles pensant qu’elles pourraient rentrer chez elles en quelques semaines. Cette attente ne s’est toujours pas concrétisée, même après 76 longues années.

La bande de Gaza, l’une des régions les plus densément peuplées de la planète, compte aujourd’hui plus de 2 millions d’habitants, dont la majorité sont des descendants de ceux qui ont été expulsés lors de la Nakba.

Gaza n’a jamais été conçue pour accueillir autant de personnes. Les réfugiés sont venus avec rien d’autre que de l’espoir et des souvenirs, mais depuis des décennies, on leur refuse le droit de retourner dans leurs foyers d’origine.

Aux yeux des Palestiniens, la Nakba n’est pas seulement un événement isolé dans l’histoire. Elle marque le début d’un cycle sans fin de dépossession, d’anéantissement et d’exil.

La violence infligée aux Palestiniens n’a jamais changé et ils continuent de vivre dans des camps disséminés au Liban, en Syrie, en Jordanie, en Cisjordanie et à Gaza.

L’indomptée

Lorsque nous regardons Gaza aujourd’hui – la violence sans précédent, la famine, la destruction de quartiers entiers, le bombardement d’hôpitaux, l’effacement des familles, le nombre effroyable de morts, le massacre des enfants – nous sommes témoins de la continuation de la Nakba, d’une extension moderne des mêmes politiques de déplacement, de domination et de destruction qui ont commencé en 1948.

La même idéologie qui a chassé les Palestiniens de leurs foyers à l’époque continue aujourd’hui de motiver les meurtres, les bombardements et le siège des Palestiniens.

Dans le cadre de ce génocide, Israël a émis de nombreux ordres d’évacuation à l’encontre des habitants de la ville de Gaza et des régions du nord de la bande de Gaza, les déplaçant vers la soi-disant « zone de sécurité » à l’extrême sud de la bande de Gaza, où ils finissent souvent par être massacrés et brûlés vifs.

Il s’agit d’une Nakba en temps réel.

L’un des aspects les plus effrayants de la Nakba et du génocide actuel à Gaza est la complicité et le silence de la communauté internationale – l’anéantissement systématique de la vie palestinienne et la tentative incessante de nous faire oublier qui nous sommes.

Il existe cependant une différence essentielle. Lors de la Nakba de 1948, les Palestiniens ont été déplacés dans un isolement relatif du reste du monde. Mais dans ce génocide, le monde entier assiste à la destruction de Gaza en temps réel.

Nos cris ne sont pas enterrés dans des camps de réfugiés oubliés; ils sont partagés en direct, dans des vidéos filmées entre deux bombardements. Nous supplions le monde de ne pas se contenter de se souvenir, mais d’agir. Et pourtant, les meurtres et les bombardements se poursuivent. Les frontières sont toujours fermées.

Les Nations unies, les organisations de défense des droits de l’homme et même la Cour Internationale de Justice ont commencé à s’exprimer en termes plus clairs.

Pourtant, l’absence d’intervention significative alimente chez les Palestiniens le sentiment que leur vie est jetable, que leur souffrance est normalisée, que leur existence est négociable et que leur histoire est marginalisée.

À l’école, notre livre d’histoire comportait un chapitre complet sur la Nakba. Nous avons étudié des cartes montrant des centaines de villages palestiniens rayés de la surface de la terre. Nous avons récité les noms de lieux que nous ne pouvions visiter mais qui vivaient encore dans le cœur de nos parents et grands-parents.

Le professeur nous expliquait les événements du passé et nous promettait que l’occupation israélienne prendrait fin tôt ou tard et que les Palestiniens seraient libres.

En classe d’histoire, j’ai un jour demandé à mon professeur pourquoi le monde n’avait pas arrêté la Nakba lorsqu’elle s’est produite. Aujourd’hui, je comprends : Ce n’est pas qu’ils ne savaient pas. C’est qu’ils ne s’en souciaient pas assez.

Pour les Palestiniens, la commémoration de la Nakba est un acte de résistance. C’est une façon de dire : « Nous nous souvenons. Nous existons. Nous refusons d’oublier et d’être effacés ».

Cette année, alors que nous célébrons une nouvelle fois le jour de la Nakba, nous ne le faisons pas dans un silence solennel, mais dans l’indignation et le deuil de Gaza.

C’est le moment de se souvenir des personnes âgées qui ont été forcées de fuir en 1948 et des enfants qui sont aujourd’hui ensevelis sous les décombres dans la ville de Gaza, à Khan Younis, Rafah et Jabalia.

C’est le moment de relier les points et de dénoncer l’injustice, non seulement comme une tragédie historique, mais aussi comme un crime permanent

La demande palestinienne n’a jamais changé : justice, dignité et droit au retour. Il ne s’agit pas de demandes radicales. Il s’agit de droits de l’homme, inscrits dans le droit international et fondés sur la clarté morale.

Avant que le monde ne regrette à nouveau : non à l’effacement de la Palestine !

Le monde ne doit plus traiter la Nakba comme une note de bas de page historique ou le génocide à Gaza comme un « conflit compliqué ». Il ne s’agit pas de rivalités anciennes, mais de colonialisme, d’occupation et de déni des droits de l’homme fondamentaux.

Reconnaître la Nakba , c’est comprendre le contexte de Gaza. Et se tenir aux côtés de Gaza aujourd’hui, c’est exiger la fin de la Nakba qui n’a jamais pris fin

Commémorer la Nakba, c’est honorer la mémoire du passé et s’engager dans la libération du présent. C’est reconnaître que la lutte des Palestiniens n’est pas un cri de vengeance, mais un appel à la vie, au retour, au foyer.

Sous chaque rocher et à l’ombre de chaque arbre, je vois les souvenirs de mes grands-parents. Le foyer, qui se résume aux oliviers et aux orangers, aux photos de famille et aux réunions, à la dabka et au keffieh, à la nourriture palestinienne, à l’arôme de la terre et à l’existence même des Palestiniens.

L’écrivain palestinien Ibrahim Nasrallah a dit un jour : « Qu’est-ce que la patrie ? Ce n’est pas une question à laquelle vous répondez et que vous abandonnez, c’est votre vie et votre cause commune. »

Le vénéré poète palestinien Mahmoud Darwish a déclaré : « Les auteurs de la Nakba n’ont pas été en mesure de briser la volonté du peuple palestinien ou d’effacer son identité nationale – ni par des déplacements, ni par des massacres, ni en transformant l’illusion en réalité, ni en falsifiant l’histoire. »

L’occupation israélienne, par ce génocide, cherche à effacer toute trace de l’existence palestinienne. Elle cherche à nous déraciner, mais elle échouera parce que notre terre vit dans nos cœurs

Le 9 octobre 2023, Ariel Kallner, un homme politique israélien du parti Likoud, a tweeté : « En ce moment, un seul objectif : la Nakba ! Une Nakba qui éclipsera la Nakba de 48 ».

C’est ce à quoi sont confrontés ceux d’entre nous qui vivent à Gaza. Mais ce que Kallner ne sait pas, c’est que les Gazaouis ne quitteront jamais Gaza, quoi qu’Israël fasse ; si nous la quittons, c’est uniquement pour aller au paradis, comme l’a dit un jour le journaliste palestinien Roshdi Sarraj, qui a été tué par une frappe aérienne israélienne.

Nous, les Gazaouis, déclarons à Netanyahu, à Trump et au monde entier que nous ne quitterons jamais Gaza, quoi qu’il en coûte, et que nous rejetons totalement la proposition de Trump de nous expulser de nos maisons.

La Nakba de 1948 s’est produite une fois. La Nakba d’aujourd’hui se produit tous les jours. Ce n’est pas un événement. C’est un enfer permanent. Et si 1948 n’a pas réussi à nous anéantir, 2025 échouera également.

Je ne sais pas si je survivrai à cette guerre, tant la mort est proche, mais si j’y parviens, je me souviendrai de tout et je le transmettrai à la génération suivante.

15 mai 2025 – The Nation – Traduction : Chronique de Palestine – YG

Soyez le premier à commenter

Laisser une réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.