
13 juillet 2025 - Des Palestiniens de la ville d'al-Mazra' al-Sharqiya, en Cisjordanie, transportent le corps de Saif al-Din, un Palestino-Américain de 23 ans, lors de ses funérailles, qui se déroulent aux côtés de celles de Muhammad Shalabi, 23 ans, tous deux tués vendredi dernier par des citoyens israéliens, le 13 juillet 2025. Saif al-Din Musalat est décédé après avoir été violemment battu par une foule d'Israéliens, qui ont ensuite bloqué l'ambulance envoyée pour le soigner et l'évacuer. Muhammad Shalabi a disparu pendant l'attaque, son corps a été retrouvé plus tard, présentant des blessures par balle et des contusions au visage. L'attaque coordonnée menée par un groupe important d'Israéliens visait des dizaines de Palestiniens qui tentaient d'accéder à leurs terres entre les villages de Sinjil et al-Mazra'a al-Sharqiya, à l'est de Ramallah. Selon des habitants, des témoins oculaires et des vidéos, l'attaque a eu lieu en présence des forces coloniales israéliennes - Photo : Avishay Mohar / Activestills
Par Jonathan Kuttab
Tandis que l’attention du monde entier reste focalisée sur le génocide et la famine qui sévissent actuellement dans la bande de Gaza, il peut être compréhensible que peu d’attention soit accordée à ce qui se passe en Cisjordanie.
La semaine dernière, deux événements ont toutefois ramené, au moins momentanément, l’attention mondiale sur la Cisjordanie.
Le premier est la reprise des attaques sur le village de Taybeh, le dernier village chrétien de Cisjordanie. Ces attaques ont même eu lieu après la visite de l’ambassadeur américain Mike Huckabee dans ce village et sa déclaration publique selon laquelle un tel terrorisme (il a effectivement utilisé ce mot) et la profanation de lieux saints ne pouvaient être tolérés.
Il a exigé que la violence des colons soit refreinée, faute de quoi il y aurait des conséquences. Il n’y en a eu aucune…
Le second est le meurtre commis par un colon bien connu d’un militant palestinien non violent Awdah Hathaleen, qu’on a pu voir dans le documentaire oscarisé « No Other Land », et connu de certains d’entre nous comme un courageux militant non violent.
Son corps est retenu par l’armée israélienne qui refuse de le rendre à sa famille à moins qu’elle n’accepte de ne pas ériger de tente de deuil et de limiter à quinze le nombre des participants à ses funérailles !
Le colon qui a commis ce meurtre (et qui est déjà libre en résidence surveillée) avait déjà été cité par le Département d’État en raison de ses activités criminelles en Cisjordanie. Il avait même été interdit d’entrée aux États-Unis, sanction qui a été levée par l’administration actuelle, lui laissant l’impression tout à fait justifiée que ses crimes seront non seulement tolérés et protégés par l’armée israélienne mais également tolérés par les EU si bien qu’il peut les poursuivre en toute impunité.
Ces deux événements et les preuves de l’impunité totale et débridée accordée aux agissements des colons en Cisjordanie, ainsi que les politiques mises en œuvre par les autorités israéliennes, méritent notre attention pour plusieurs raisons :
- Premièrement, il n’y a aucune « justification » ni aucune des multiples excuses qu’Israël utilise actuellement à Gaza à ces activités en Cisjordanie. Il n’y a pas de domination du Hamas à laquelle il faut mettre fin.
Bien au contraire, l’Autorité Palestinienne est hostile au Hamas, et elle exécute avec zèle le programme de l’Occupant israélien en ce qui concerne la population locale.
Il n’y a pas de captifs [israéliens] à libérer ; il n’y a pas de tunnels ou d’infrastructures militaires à détruire ; il n’y a pas de missiles tirés sur des villes ou kibboutz israéliens ; il n’y a d’ailleurs guère de résistance active à l’occupation continue, au vol de terres et à l’activité de colonisation.
L’Armée israélienne a signalé une baisse de 80% des « activités terroristes » telles que des jets de pierres ou des manifestations modérées. - Deuxièmement, l’armée israélienne, les colons, et la population en général savent parfaitement que les gens de Gaza et de Cisjordanie font partie du même peuple et nourrissent les mêmes espoirs, rêves et aspirations, et représentent le même défit pour les objectifs sionistes.
Aucun plan, aucune proposition, offre, solution ou démarche ne leur sont avancées, et les perspectives à long terme pour les Palestiniens de Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et même pour les Palestiniens citoyens israéliens semblent être les mêmes actuellement offertes aux Gazaouis. Accepter la domination permanente, ou être expulsés, ou tués.
La « solution à deux états » énoncée du bout des lèvres par certains dirigeants israéliens et gouvernements est maintenant rejetée par le gouvernement actuel et perçue comme n’étant plus opérationnelle/applicable.
La seule question qui vaille est comment contrôler au mieux la population restante pendant qu’Israël poursuit son objectif d’implantation d’un état suprématiste juif du fleuve à la mer. - Troisièmement, le renoncement absolu de la communauté internationale à faire appliquer les normes internationales et le droit international, voire d’imposer un quelconque coût à l’occupation, est maintenant non seulement flagrant mais est pris en compte dans le raisonnement et les plans israéliens. A tel point que le seul débat existant entre la soi-disant gauche et la droite en Israël porte sur la faisabilité, sur ce qui est dans l’intérêt d’Israël, et sur jusqu’où les États-Unis les autoriseront à poursuivre leur programme.
Ni le génocide, ni le nettoyage ethnique ne sont à exclure. Avant même que Trump n’a énoncé le plan de déportation de tous les Palestiniens de Gaza, le secrétaire d’état de Joe Biden, Anthony Blinken avait discuté avec le roi de Jordanie ainsi qu’avec le président égyptien de contreparties s’ils acceptaient de prendre chacun un million de Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza.
Les Israéliens de droite se félicitent ouvertement de la possibilité de se débarasser des Palestiniens une fois pour toutes, si ce n’est par le biais d’une expulsion pure et simple, sinon par le biais du génocide et du contrôle permanent dans des enclaves de plus en plus petites et surpeuplées sous domination totale de l’état juif.
Finalement, si le monde est incapable de mettre un terme aux agissements d’Israël à Gaza, qu’est-ce qui peut empêcher que le même programme ne soit mis en œuvre de la même façon en Cisjordanie, et même en Israël dont les 2 millions de citoyens palestiniens sont également susceptibles d’être perçus comme une menace pour les objectifs sionistes et dont il faut aussi se débarasser.
L’horreur suggérée dans le paragraphe précédent n’est pas totalement théorique. Les évènements de la Nakba de 1948 continuent de se développer et l’objectif du sionisme a toujours été la création d’un état « aussi juif que la France est française, », un dounam à la fois et une âme à la fois.
Le conflit a toujours été pour de nombreux sionistes une lutte pour la terre et la démographie, et pour de nombreux Israéliens tant en 1948 qu’aujourd’hui encore il existe des possibilités divines d’agir sur la démographie, après que toute la terre aura été conquise.
Les restrictions imposées au comportement israélien par le droit international, l’opinion publique, la crainte de ripostes, et d’autres considérations semblent avoir toutes été levées, et le rapport de force a toujours été clairement en faveur d’Israël.
Israël n’a semble-t-il aucun compte à rendre pour un génocide commis ouvertement, aussi pourquoi s’arrêter à Gaza ?
Ceux d’entre nous que la situation à Gaza horrifie doivent redoubler leurs efforts avant que la situation ne devienne encore plus désespérée, et que les projecteurs ne soient à nouveau braqués sur la Cisjordanie en raison de nouvelles horreurs.
La bonne nouvelle c’est qu’au cours de la semaine dernière, les terribles images de la famine à Gaza semblent avoir susciter à l’échelle mondiale le désir de mettre fin à l’horreur, même le Royaume Uni, la France et le Canada, ainsi que les pays arabes dociles, ressentant la pression de mettre un terme aux atrocités.
Auteur : Jonathan Kuttab
* Jonathan Kuttab est cofondateur du groupe palestinien de défense des droits Humains Al-Haq et cofondateur de Nonviolence International. Avocat international réputé dans le domaine des droits humains, il pratique le droit aux États-Unis, en Palestine et en Israël. Il siège au conseil d'administration du Bethlehem Bible College et est président du conseil d'administration du Holy Land Trust. Il est cofondateur et membre du conseil d'administration de Just Peace Advocates. Il a dirigé le comité juridique chargé de négocier l'accord du Caire de 1994 entre Israël et l'OLP. Son compte Twitter/X
01 août 2025 – Friends of Sabeel North America – Traduction: Chronique de Palestine – MJB
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