Les Israéliens font usage de la plus cruelle des armes : la famine de masse

30 juillet 2025 - À Gaza, une Palestinienne cherche des restes de nourriture parmi les déchets - Photo : Dawoud Abo Alkas / AA

Par Heba Almaqadma

« Nous n’avons pas besoin de pitié. Nous avons besoin que la pression soit exercée sur ceux qui bloquent l’accès à la nourriture, ceux qui restent silencieux et ceux qui ont encore le pouvoir d’arrêter cela, mais qui choisissent de ne pas le faire. » nous dit Heba Almaqadma.

À Gaza, il existe un dicton populaire transmis de génération en génération qui reflète notre résilience face à des conditions difficiles : « Personne ne meurt de faim ». Pendant très longtemps, cela a été vrai. Dans la Gaza que nous connaissions, les gens luttaient contre la pauvreté, le chômage et les autres conséquences de l’occupation, mais personne ne mourait parce qu’il n’avait rien à manger.

Aujourd’hui, nous assistons à l’impensable. Des centaines de personnes meurent. Et la cause ? La faim. Derrière les gros titres et les chiffres, des êtres humains en chair et en os sont privés des besoins fondamentaux, notamment de nourriture, d’eau potable et de soins médicaux.

Ils sont confrontés à une mort lente, silencieuse et imposée de force.

La famine n’est pas une menace imminente, c’est une réalité brutale et quotidienne. Les enfants s’endorment en pleurant, le ventre vide. Les parents s’effondrent sous le poids de l’impuissance, voyant leurs fils et leurs filles maigrir et s’affaiblir.

Le pain, autrefois un aliment de base, est devenu un luxe. Les légumes, le lait et les œufs sont désormais inimaginables pour la plupart des familles. La faim a supplanté la guerre comme arme la plus cruelle.

Ces dernières semaines, des milliers de Palestiniens ont été tués ou blessés en risquant leur vie pour tenter de trouver de la nourriture.

Mon cousin, Yousef Ala’atal, âgé de seulement 14 ans, était parmi eux. La faim l’a poussé à chercher de la nourriture dans un centre de distribution d’aide humanitaire géré par la Gaza Humanitarian Foundation (GHF). Il est revenu non seulement les mains vides, mais avec une balle dans la tête, le corps couvert de sang et des séquelles irréversibles.

Yousef a demandé à sa mère, avec une douleur qu’un cœur d’enfant ne peut supporter : « Est-ce que je vais rester comme ça ? » Après cette question, le silence s’est abattu sur leur famille.

La crise de la faim à Gaza n’est pas une tragédie mais une tactique de guerre

Les enfants sont les premières victimes de cette campagne délibérée de famine ; les plus jeunes ne peuvent pas comprendre ce que signifie le fait de ne pas avoir de nourriture.

Brisant le cœur de leurs parents par leur faim, les plus âgés tentent de se rendre à la GHF, que nous appelons à Gaza « les pièges mortels ». Beaucoup sont tués, tandis que d’autres reviennent blessés, le cœur brisé, ou se retrouvent parfois détenus.

Mohammed Dababsh, 35 ans et père de deux jeunes enfants, Yazan et Masa, a été tué le 11 juillet alors qu’il tentait d’obtenir de la nourriture dans un centre d’aide géré par la GHF.

« Il n’avait jamais voulu y aller. Il était totalement opposé à leur système d’aide humiliant et chaotique », raconte sa femme, Ghandoura Abu Ziada.

« Mais un jour, après qu’ils nous ont ordonné d’évacuer Khan Younis, il m’a dit de prendre les enfants et de rester avec ma famille jusqu’à ce qu’il trouve un endroit plus sûr. Il est resté à Khan Younis. » Alors que la famille était séparée, le fardeau écrasant de ne pas pouvoir subvenir aux besoins de ses jeunes enfants continuait de peser sur Mohammed.

Cela l’a finalement conduit à tenter de se procurer de la nourriture dans un centre GHF. « Masa réclame des nouilles instantanées Indomie depuis des mois. Nous lui avons expliqué à maintes reprises que nous n’avions que du pain et des lentilles, mais son petit esprit ne pouvait pas comprendre. Alors qu’il était encore à Khan Younis, ses amis ont essayé de le convaincre d’aller à la GHF, lui disant qu’il pourrait peut-être obtenir des Indomie et des biscuits pour les enfants. »

Alors que Ghandoura attendait l’appel habituel de Mohammed, c’est son frère qui l’a appelée. Il lui a dit qu’il avait été blessé dans un site GHF et qu’il était transporté à l’hôpital Nasser pour y être soigné. Ghandoura s’est précipitée à l’hôpital, cherchant et espérant le trouver parmi les blessés.

Une demi-heure après son arrivée, une ambulance est arrivée avec son corps.

« Nos enfants ne comprennent toujours pas. « Comment ça, il ne reviendra jamais ? » demandent-ils. Il y a quelques nuits, Masa allait aux toilettes quand elle a entendu la voix de son grand-père et a cru que c’était son père. Elle m’a dit : ‘Papa est là, laisse-moi aller le voir’. Je lui ai dit qu’il était au paradis, le cœur brisé et en larmes », a-t-elle raconté.

« Ils l’attendent toujours. Moi aussi. Je n’arrive pas à y croire. Je continue d’attendre son retour. Mohammed était celui qui subvenait à nos besoins. Maintenant qu’il n’est plus là, tout est encore plus difficile. »

« Nous ne voulons pas d’eux »

Sohaib Madi, 24 ans, a été blessé par balle à la tête alors qu’il tentait d’obtenir de l’aide auprès de la GHF pour sa famille au début du mois. Il est désormais paralysé du côté droit et a perdu la vue.

Il s’était rendu au centre du GHF, désespéré, pour trouver de quoi manger, et a été transporté à l’hôpital l’estomac vide. Sa mère a pleuré pour lui pendant des jours. Elle craignait de le perdre après avoir perdu sa fille en janvier 2024, tuée par un tireur embusqué alors qu’elle étendait du linge sur un balcon à Khan Younis.

Les femmes palestiniennes continuent de supporter une part disproportionnée des souffrances dans la bande de Gaza, subissant les mêmes violences, déplacements, famines et mauvais traitements que le reste de la population, mais avec le fardeau supplémentaire de devoir s’occuper seules de leur famille une fois que les hommes qui subvenaient à leurs besoins ont été tués.

La semaine dernière, la GHF a annoncé qu’elle consacrerait une journée exclusivement aux femmes pour leur distribuer de l’aide. L’hypothèse sous-jacente était que les femmes ne sont pas considérées comme une menace et ne seraient donc pas prises pour cible ou tuées pendant qu’elles viennent chercher de l’aide.

Mais cette prétendue marque de bonne volonté a entraîné une tragédie encore plus grande pour les Palestiniennes.

Maria, mère de sept enfants qui avait perdu son mari dix mois plus tôt, devait nourrir ses enfants et n’avait d’autre choix que de se rendre sur l’un des sites. Sa fille, Malak Sheikh El Eid, a raconté plus tard que sa mère s’était rendue deux fois sur place et était revenue les mains vides, après avoir frôlé la mort.

Ils l’ont suppliée de ne plus aller chercher d’aide, et si elle insistait, ils lui demandaient alors de les emmener tous avec elle. Leur mère leur a promis qu’elle n’irait pas, mais lorsqu’ils se sont réveillés, ils ont découvert qu’elle était déjà partie.

Mariam a raconté avec amertume que lorsqu’elle a appelé sa mère pour prendre de ses nouvelles, un inconnu a répondu et lui a dit que sa mère avait été légèrement blessée. Plus tard, Malak a appris que sa mère avait été tuée d’une balle dans la tête, laissant derrière elle sept enfants orphelins, qui n’ont désormais plus ni père, ni mère, ni nourriture.

Malak a pleuré en racontant ce qui s’était passé dans une vidéo publiée plus tard sur Instagram. À peine capable de reprendre son souffle à travers ses larmes, elle a déclaré : « Fermez l’aide de la GHF. Nous n’en voulons pas. »

La culpabilité des survivants

Chaque jour à Gaza, nous voyons des dizaines de personnes tuées ou blessées de la manière la plus humiliante qui soit, alors qu’elles tentent simplement de se procurer de la nourriture pour elles-mêmes et leur famille.

De nombreux enfants palestiniens doivent désormais vivre avec la certitude que leur mère ou leur père est mort en essayant de leur procurer de quoi manger, ce qui leur laisse un sentiment de culpabilité qui les hantera toute leur vie.

La privation due à la famine et au siège est visible sur les visages des gens. Leur regard est vide et ils sont épuisés.

Nous souffrons non seulement de la faim, mais aussi de l’abandon. Les Palestiniens ont été transformés en symboles de souffrance et de défiance, alors que ce que nous voulons, ce n’est pas seulement survivre, mais aussi vivre pleinement et nous sentir à nouveau vivants.

Au lieu de cela, sous les yeux du monde entier, depuis près de deux ans, nous sommes brutalement assassinés et torturés de la manière la plus horrible et la plus perverse que l’esprit humain puisse imaginer.

Le monde reste silencieux, mais à l’intérieur de Gaza, il n’y a pas de silence. On entend les cris des enfants qui s’effondrent de faim, les pleurs des parents désespérés, les communautés qui tentent de survivre sans nourriture, sans carburant et sans médicaments.

Cette souffrance n’est pas soudaine : elle est lente, délibérée et dévastatrice.

Pour les Israéliens, la famine à Gaza n’est qu’un cruel divertissement

Comme l’a déclaré récemment à la télévision Alex de Waal, expert en famine, cette famine est le résultat d’une politique israélienne « minutieusement orchestrée » visant à briser notre capacité à vivre.

Nous ne mourons pas de faim à cause de la sécheresse. Nous ne mourons pas de faim à cause de catastrophes naturelles. Nous mourons de faim à cause de la décision d’Israël d’utiliser la famine comme une arme contre la population civile de Gaza, et de la décision du monde de le permettre. Fermer les frontières, tirer sur des personnes qui attendent de l’aide et refuser les camions humanitaires est devenu acceptable, tant que cela concerne Gaza.

Aucune justification politique ne peut effacer le regard vide d’un enfant, l’espoir désespéré dans la voix d’une mère ou la mort lente et cruelle d’un peuple affamé sous les yeux du monde entier.

Nous n’avons pas besoin de pitié. Nous avons besoin que la pression soit exercée sur ceux qui bloquent l’acheminement de la nourriture, ceux qui restent silencieux et ceux qui ont encore le pouvoir d’arrêter cela mais choisissent de ne pas le faire.

Car demain, quelqu’un d’autre écrira un autre article. Une autre photo circulera. Un autre enfant mourra. Et nous poserons à nouveau la question : combien de vies devront encore être sacrifiées avant que le monde ne décide que Gaza mérite de vivre ?

30 juillet 2025 – Drop Site News – Traduction : Chronique de Palestine

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