La guerre d’Israël contre l’histoire palestinienne

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Les réfugiés palestiniens ont été forcés par les milices sionistes à fuir leurs foyers pendant la "Nakba" - la catastrophe - de 1948 - Photo : via UNRWA

Par Jonathan Cook

L’État utilise divers moyens pour donner l’impression que sa politique à l’égard des Palestiniens est motivée par des préoccupations sécuritaires

Quand l’acteur palestinien Mohammed Bakri a réalisé un documentaire sur Jénine en 2002 – filmant immédiatement après que l’armée israélienne se fut déchainée dans la ville cisjordanienne, laissant dans son sillage mort et destruction – il choisit un narrateur inhabituel pour la scène d’ouverture : un jeune Palestinien muet.

Jénine avait été coupée du monde pendant près de trois semaines alors que l’armée israélienne rasait le camp de réfugiés voisin et terrorisait sa population.

Jénine, le film de Bakri, montre le jeune homme se hâtant silencieusement entre les bâtiments en ruines, utilisant son corps nerveux pour montrer où les soldats israéliens ont abattu des palestiniens et où les bulldozers ont démoli des maisons, s’abattant parfois sur leurs habitants.

Le message général de M. Bakri n’était guère difficile à déduire : lorsqu’il s’agit de leur propre histoire, les Palestiniens n’ont pas droit au chapitre. Ils sont les témoins silencieux de leurs propres souffrance et oppression et de celles de leur peuple.

L’ironie veut que M. Bakri subisse lui-même un tel sort depuis la sortie de Jénine, il y a dix huit ans. Aujourd’hui, on se souvient à peine de son film, ou des crimes odieux qu’il avait gravés, si ce n’est la bataille juridique sans fin pour l’empêcher d’arriver sur les écrans.

M. Bakri est poursuivi par les tribunaux israéliens depuis lors, accusé de diffamation envers les soldats qui ont perpétré l’attaque. Il paie un prix personnel élevé. Menaces de mort, perte d’emploi et des frais de justice sans fin qui l’ont pratiquement ruiné. Le verdict du dernier procès intenté contre lui, soutenu cette fois par le procureur général d’Israël, est attendu dans les semaines à venir.

M. Bakri est une victime particulièrement notoire de la guerre qu’Israël mène depuis longtemps contre l’histoire palestinienne. Mais il y a d’innombrables autres exemples.

Depuis des décennies plusieurs centaines de Palestiniens résidant dans le sud de la Cisjordanie se battent contre leur expulsion car les représentants israéliens les qualifient de « squatters ». Selon Israël, les Palestiniens sont des nomades qui imprudemment construisent des maisons sur des terres dont ils se sont emparés à l’intérieur d’une zone de tir de l’armée.

Les dénégations des villageois furent ignorées jusqu’à ce que la vérité ne soit récemment exhumée des archives d’Israël.

La présence de ces communautés palestiniennes figure, en fait, sur des cartes antérieures à l’existence d’Israël. Des documents officiels israéliens présentés au tribunal le mois dernier montrent qu’Ariel Sharon, général devenu homme politique, a conçu une politique consistant à établir des zones de tir dans les territoires occupés pour justifier l’éviction en masse de Palestiniens comme ces communautés dans les collines d’Hébron.

Ces résidents ont la chance que leurs revendications aient été officiellement confirmées, même s’ils dépendent toujours d’une justice aléatoire dispensée par un tribunal de l’occupant israélien.

Les archives israéliennes sont actuellement mises en hâte sous scellés précisément pour empêcher tout risque que les documents puissent confirmer l’histoire palestinienne depuis longtemps écartée et ignorée.

Le mois dernier le contrôleur d’état d’Israël, un organisme de surveillance, a révélé que plus d’un million de documents archivés étaient toujours inaccessibles, bien que leur date de déclassification soit dépassée. Néanmoins, certains sont passés au travers des mailles du filet.

Les archives ont, par exemple, confirmé certains des massacres à grande échelle de civils palestiniens perpétrés en 1948, l’année où Israël a été créé par la dépossession des Palestiniens de leur patrie.

Lors d’un tel massacre à Dawaymeh, près de là où les Palestiniens se battent aujourd’hui contre leur expulsion de la zone de tir, des centaines ont été exécutés, alors même qu’ils n’offraient aucune résistance, pour inciter l‘ensemble de la population à fuir.

D’autres dossiers ont corroboré les affirmations palestiniennes qu’Israël a détruit plus de 500 villages palestiniens au cours d’une vague d’expulsions massives cette même année afin de dissuader les réfugiés de revenir.

Des documents officiels ont également réfuté l’affirmation d’Israël selon laquelle il a imploré les 750 000 réfugiés palestiniens de rentrer chez eux. En fait, comme le révèlent les archives, Israël a occulté son rôle dans le nettoyage ethnique de 1948 en inventant une histoire de couverture qui veut que ce sont les dirigeants arabes qui ont ordonné aux Palestiniens de partir.

La bataille pour éradiquer l’histoire palestinienne n’a pas seulement lieu dans les tribunaux et les archives. Elle commence dans les écoles israéliennes.

Une nouvelle étude de Avner Ben-Amos, professeur d’histoire à l’université de Tel Aviv, montre que les élèves israéliens n’apprennent quasiment rien de vrai sur l’occupation, même si beaucoup d’entre eux vont bientôt la faire appliquer en tant que soldats d’une armée prétendument « morale » qui règne sur les Palestiniens.

Les cartes dans les manuels de géographie suppriment la soi-disant « Ligne verte », c’est-à-dire les frontières délimitant les territoires occupés, pour présenter le Grand Israël depuis longtemps désiré par les colons. Les cours d’histoire et d’instruction civique esquivent toute discussion de l’occupation, de la violation des droits de l’homme, du rôle du droit international, ou des lois locales de type apartheid qui traitent les Palestiniens différemment des colons juifs vivant illégalement à côté.

Au lieu de cela,la Cisjordanie est connue par ses noms bibliques de « Judée et Samarie », et son occupation en 1967 est appelée « libération ».

Malheureusement, l’effacement des Palestiniens et de leur histoire est répercuté à l’extérieur par des géants numériques tels que Google et Apple.

Des militants de la solidarité palestinienne se battent depuis des années pour obtenir des deux plateformes qu’elles incluent des centaines de communautés de Cisjordanie absentes de leurs cartes sous le hashtag #HeresMyVillage (#voicimonvillage). Les colonies juives illégales, quant à elles, sont prioritaires sur ces cartes numériques.

Une autre campagne, #ShowTheWall (#MontrezLeMur), fait pression sur les géants de la haute technologie pour qu’ils indiquent sur leurs cartes le tracé de la barrière de béton et d’acier israélienne de 700 km de long, effectivement utilisée par Israël pour annexer parties du territoire palestinien occupé en violation du droit international.

Et le mois dernier des groupes palestiniens ont lancé encore une autre campagne, #GoogleMapsPalestine, exigeant que les territoires occupés soient identifiés comme « Palestine », et pas seulement en tant que Cisjordanie et Gaza. L’ONU a reconnu l’état de Palestine en 2012, mais Google et Apple ont refusé de faire de même.

Les Palestiniens font valoir, à juste titre, que ces sociétés reproduisent le genre de disparition des Palestiniens courant dans les manuels scolaires israéliens et qu’elles maintiennent une « ségrégation cartographique » qui reflète les lois d’apartheid d’Israël dans les territoires occupés.

Les crimes d’occupation – démolitions de maisons, arrestation de militants et d’enfants, violence des soldats, et expansion des colonies – sont aujourd’hui documentés pas Israël, tout comme l’étaient ses crimes antérieurs.

Les futurs historiens exhumeront peut-être un jour ces documents des archives israéliennes et apprendront la vérité, à savoir que les politiques israéliennes n’étaient pas motivées, comme le prétend actuellement Israël, par des préoccupations de sécurité, mais par le désir colonial de détruire la société palestinienne et de pousser les Palestiniens à quitter leur patrie, pour faire place aux juifs.

Les leçons qu’apprendront les futurs chercheurs ne différeront pas des leçons apprises par leurs prédécesseurs, qui ont découvert les documents de 1948.

Mais en vérité, il n’est pas nécessaire d’attendre toutes ces années. Nous pouvons comprendre dès maintenant ce qui arrive aux Palestiniens, tout simplement en refusant de contribuer à les réduire au silence. Il est temps d’écouter.

21 août 2020 – The Palestine Chronicle – Traduction: Chronique de Palestine – MJB