Les Gazaouis sont choqués par l’argent investi dans la construction d’édifices religieux

Mosquée détruite lors des bombardements massifs israéliens de l'été 2014, puis reconstruite avec des financements turcs - Photo : Archives

Par Hadeel Al Gherbawi

L’inauguration prochaine d’une mosquée dont la construction a coûté 2 millions de dollars, dans la bande de Gaza à court d’argent, a choqué les habitants dont les maisons ont été détruites par les guerres à répétition.

GAZA — Malgré les attaques militaires israéliennes répétées sur la bande de Gaza sous blocus et la destruction de dizaines de maisons, la construction de luxueuses mosquées valant des millions de dollars semble être en hausse.

Ces dernières années, la construction de mosquées de luxe a indigné la population largement appauvrie de l’enclave assiégée.

La mosquée Imam al-Shafei dans le quartier d’al-Zaitoun a été construite pour un coût de 3,5 millions de dollars, et la mosquée Al-Hassayna dans la ville de Gaza pour un coût de plus de 2 millions de dollars.

Le coût de construction des mosquées Al-Khalidi et Salim Abu a dépassé 1 million de dollars chacune. La Grande Mosquée de Khan Yunis est un autre exemple de mosquée somptueuse, en plus de la mosquée Khalil al-Wazir de Sheikh Ajlin, qui sera bientôt ouverte.

Mohammad al-Khalidi, un habitant de Gaza, a dit son ressentiment envers ces mosquées de luxe. « Le ministère des Dotations affirme que ce sont les donateurs qui financent la construction des mosquées qui veulent y consacrer autant d’argent. Mais pourquoi [le ministère] n’informerait-il pas les donateurs qu’il existe d’autres domaines à Gaza où les dons pourraient être plus utiles ? Des mosquées peuvent être construites à un coût raisonnable et le reste des dons pourrait être utilisé pour construire des hôpitaux, des écoles ou des habitations, par exemple. Un musulman peut prier dans tous les lieux considérés comme adéquats et il n’a pas besoin de décorations coûteuses et somptueuses », a-t-il déclaré à Al-Monitor.

Il a a aussi déclaré : « Toute personne est libre d’utiliser son argent comme bon lui semble, mais les citoyens ont le droit de demander comment les fonds ou les dons de l’État sont dépensés… Nous avons le droit de savoir pourquoi la mosquée Khalil al-Wazir et d’autres mosquées de prestige ont été construites à des coûts aussi exorbitants. »

Et d’ajouter : « L’ouverture de la mosquée Khalil al-Wazir dans les mois qui viennent va susciter un tollé parmi les Gazaouis en raison du grand nombre de mosquées déjà présentes à Gaza et en l’absence de projets de développement, d’hôpitaux et de réseaux d’égouts. Par exemple, dans la région de Beit Lahia, au nord de Gaza, la mosquée Salim Abu Muslim a été construite pour un coût de 1 million de dollars, tandis qu’une décharge non réglementée dans la région met en danger la santé des habitants et l’environnement. »

Les taux de pauvreté et de chômage dans la bande de Gaza ont grimpé en flèche pour atteindre des niveaux dépassant 89 % l’année dernière, selon le Bureau central palestinien des statistiques.

Mohammad Abu Samra, expert des affaires islamiques et arabes, a également condamné ce phénomène. « Les mosquées richement décorées sont indésirables et inacceptables à la lumière des conditions économiques et de vie difficiles à Gaza, qui a subi de nombreuses guerres causant la destruction de milliers de maisons, d’écoles, d’institutions, d’associations, d’usines, de mosquées, d’infrastructures et de terres agricoles », a-t-il expliqué à Al-Monitor.

« Il n’est pas logique pour les gens de devoir rester à l’air libre ou de payer un loyer parce que leurs maisons familiales n’ont pas encore été reconstruites. Il est inacceptable d’avoir des écoles surchargées ou des usines détruites dont les travailleurs ont perdu leur emploi, alors que nous construisons des mosquées de luxe », a-t-il noté.

Bien qu’Abou Samra reconnaisse l’importance des mosquées, il soutient que le grand nombre de mosquées à Gaza est répréhensible. « Tous les quelques mètres, vous trouvez une mosquée, construite à des coûts extrêmement élevés. Cela va à l’encontre de l’objectif fondamental des mosquées », déclare-t-il. “L’aspect esthétique des mosquées est important, mais nous devons rester à l’écart de l’extravagance et du luxe et prendre en considération la situation et les conditions de vie des habitants [de Gaza].”

Le doyen de l’Institut palestinien Al-Azhar, Imad Hamattu, avait dans une communication de 2018 dénoncé la décoration excessive des mosquées comme l’un des actes prohibés de l’islam. Il a insisté sur la nécessité d’établir un budget modeste pour la construction de mosquées.

Hamattu avait fait valoir que les donateurs devraient se concentrer sur les personnes et ne pas limiter leurs dons à l’embellissement des mosquées. Il les a exhortés à orienter leurs fonds pour la construction d’écoles et d’hôpitaux, qui représentent une bonne action récompensée par Dieu. Il a en outre noté qu’il fallait prêter attention aux familles nécessiteuses de Gaza et à la reconstruction de leurs maisons détruites.

Le ministère des Dotations a fourni à Al-Monitor des statistiques pour l’année 2021, montrant que pendant les guerres de 2008 à 2021, Israël a détruit 113 mosquées, dont 99 ont été reconstruites pour la plupart à des coûts élevés.

Selon les statistiques, plus de 12 000 logements ont été détruits pendant la guerre de 2014, dont beaucoup n’ont pas encore été reconstruits.

Au cours de la dernière guerre en 2021, environ 1447 logements ont été complètement démolis et 13 000 autres ont été partiellement endommagés. Ceux-ci n’ont pas non plus été reconstruits en raison des conditions économiques et du manque de financement et de soutien, selon le ministère des Dotations.

Al-Monitor s’est entretenu avec Anwar Abu Shawish, directeur des relations publiques et des médias au ministère des Dotations et des Affaires religieuses de la bande de Gaza.

« Trois mosquées ont été démolies lors de la dernière guerre. L’une d’elles est en cours de reconstruction avec les fonds disponibles. Les mosquées sont reconstruites en même temps qu’est fournie que l’aide aux familles pauvres par le biais des comités de zakat [aumône obligatoire pour tout musulman et versée annuellement] », a-t-il dit.

Abu Shawish a déclaré que le nombre de mosquées dans la bande de Gaza avait atteint 1230. « La mosquée Khalil al-Wazir sera bientôt ouverte. Elle est financés par l’organisation non gouvernementale malaisienne Aman Palestin, qui supervise les travaux de construction. Les donateurs exigent souvent que leurs fonds soient alloués à la construction de mosquées et nous devons nous y conformer. »

Il a ajouté : « En 2021, nous avons fourni une aide d’une valeur de 10 millions de dollars aux familles pauvres dont les maisons ont été détruites. L’aide a pris la forme de dons en nature, d’espèces, de colis alimentaires et du paiement de contrats de location. »

Il a expliqué aussi que le ministère établit des critères pour la construction de mosquées. « Par exemple, la distance entre deux mosquées ne doit pas être inférieure à 500 mètres », a-t-il déclaré. « La construction de certaines mosquées a été financée par des fonds personnels, comme les mosquées Al-Hassayna et Al-Khalidi. En outre, le ministère supervise la restauration, l’entretien et la reconstruction d’anciennes mosquées telles que la Grande Mosquée d’Omari. »

Abu Shawish s’est demandé pourquoi la construction de mosquées à un tel coût puisse faire un tel tapage. « Combien coûte la construction d’un stade ou d’un cinéma ? » a-t-il demandé. « Lorsque l’argent arrive au ministère, nous voyons comment dépenser pour les projets nécessaires. Lorsque les dons ne sont pas nécessaires, nous les dirigeons vers d’autres projets liés à l’aide. Cependant, nous sommes parfois liés par la demande des bailleurs de fonds de construire des mosquées. Certains d’entre eux exigent même que des mosquées soient construites sur de grandes surfaces. »

Il a noté que la construction de mosquées luxueuses est un aspect de la planification urbaine et civile qui ne contredit pas l’islam. Abu Shawish a invoqué la règle selon laquelle une dotation doit être utilisée aux fins pour lesquelles elle a été désignée. « Il ne peut être remplacé à d’autres fins, telles que l’aide aux pauvres ou d’autres projets », a-t-il conclu.

16 mars 2022 – Al-Monitor – Traduction : Chronique de Palestine