Le traitement des réfugiés ukrainiens illustre le racisme structurel en Israël

Du 17 au 20 mars, selon le ministère russe de la Défense, plus de 59 000 personnes ont été évacuées vers le territoire russe depuis la ville assiégée de Marioupol - Photo : Izvestia

Par Adnan Abu Amer

Alors que la guerre entre la Russie et l’Ukraine entre dans sa troisième semaine, et que le nombre d’immigrants ukrainiens augmente, des divisions éclatent en Israël sur la politique à mener. Il y a ceux qui veulent accueillir tous les immigrants et ceux qui ne veulent accueillir que les immigrants juifs. Et il y a ceux qui alertent sur la nécessité de préserver la soi-disant “pureté ethnique” de l’État hébreu.

Cette controverse qui grandit au sein du gouvernement israélien est le reflet des divergences d’opinion sur la guerre en cours et de l’absence de consensus israélien sur la position à adopter. Là aussi trois groupes s’opposent. Il y a ceux qui condamnent l’invasion russe, ceux qui considèrent que cette condamnation peut coûter cher à Israël et ceux qui appellent à un alignement total sur l’Occident.

Comme la guerre entre l’Ukraine et la Russie devient plus sanglante, Israël se prépare à de nouvelles vagues d’immigration juive en provenance d’Ukraine. La communauté juive d’Ukraine se monte à 48 000 personnes, et le gouvernement israélien commence à réaliser la nécessité de se préparer à en accueillir une bonne partie.

Le ministère de l’absorption des immigrants, le ministère des affaires étrangères, le ministère de la diaspora, les ministères de l’immigration, des affaires étrangères et de la diaspora, l’Agence juive pour Israël et le bureau du premier ministre se mobilisent pour aider les Juifs à contacter leurs familles dans l’ancienne Union soviétique. Depuis le début de la pandémie de COVID-19, 6000 nouveaux immigrants juifs d’Ukraine ont immigré en Israël.

En 2021, 3080 nouveaux immigrants juifs ont immigré en Israël depuis l’Ukraine, mais en raison de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, les responsables de l’immigration juive s’attendent à une augmentation spectaculaire des demandes d’immigration des Juifs ukrainiens. Le ministère de l’Alya [1] et de l’intégration a observé une augmentation de 12 % des demandes d’ouverture de dossiers de migration, et les chiffres devraient encore augmenter.

Pour les courants israéliens qui soutiennent l’accueil des réfugiés ukrainiens, Israël se doit de protéger tous les juifs où qu’ils se trouvent. Déjà, des centaines d’Israéliens en Ukraine apportent leur aide à un hôpital de campagne situé à la frontière.

Chaque jour, 12 à 16 vols en provenance de Russie et des pays voisins de l’Ukraine atterrissent à l’aéroport Ben Gourion. On s’attend à ce qu’environ 2000 à 3000 immigrants arrivent, en plus de ceux qui ont droit à la “loi du retour”[2], une loi raciste, en cela qu’elle ne s’applique qu’aux seuls Juifs.

Le groupe qui émet des réserves sur l’accueil de tous les réfugiés d’Ukraine a demandé la création d’un comité ministériel chargé de définir une politique d’immigration claire et de fixer des règles relatives au nombre de réfugiés à accueillir.

Jusqu’à présent, Israël ne dispose pas d’une politique d’immigration claire et précise, et la crise des réfugiés ukrainiens nécessite que les différentes composantes du gouvernement se mettent d’accord sur la politique à tenir. Leur désaccord s’accompagne d’une certaine indifférence à ce qu’elles appellent une “catastrophe humanitaire”.

Un troisième courant israélien considère que la demande d’établir des règles pour l’accueil des réfugiés est “honteuse” car elle nuit à la réputation d’Israël et sape sa politique d’immigration en laissant entendre que le pays ne peut pas assumer le coût de l’accueil des réfugiés venant d’Ukraine.

Des centaines de manifestants, sont venus protester devant le domicile de la ministre de l’intérieur Ayelet Shaked.

Ils l’accusent de discriminer les réfugiés en fonction de leur religion, leur race et leur sexe. Pour eux, une discrimination gouvernementale fondée sur ces motifs est tout bonnement honteuse.

Le racisme avéré de la politique israélienne menée par des ministres qui refusent de traiter tous les immigrants de la même manière qu’ils soient Juifs ou pas, a été qualifié de “scandale” et de “honte” pour Israël. Surtout qu’Israël a traité tout à fait différemment d’autres immigrants, notamment ceux venant d’Éthiopie

Il est clair qu’Israël, qui a à cœur de protéger ses citoyens en Ukraine et les Juifs qui s’y trouvent, a fermé ses portes aux autres victimes plus que tout autre pays. Israël a gardé le silence, tourné le dos et fermé ses portes. Le monde n’oubliera pas le silence d’Israël. Un jour viendra où le monde demandera des comptes à Israël qui n’a jamais été sanctionné pour son occupation sans fin.

Le souci qu’a Israël des Juifs impressionne ceux qu’on décrit comme les “amoureux de la race juive”. Mais lorsque les réfugiés de guerre arrivent à l’aéroport israélien et qu’on leur demande une énorme somme d’argent pour connaître la liberté et la sécurité, il est évident qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans la conscience israélienne.

Y a-t-il vraiment une différence entre un enfant d’Ukraine qui a fui pour chercher la sécurité et la sûreté, qui n’a pas de grand-mère juive, et un enfant d’Ukraine qui a une grand-mère juive ? Quelle est la différence ? Le racisme.

Les Israéliens craignent que les réfugiés ukrainiens ne soient confrontés à des difficultés personnelles, à des problèmes de santé et à d’autres difficultés en Israël, comme le fait de ne pas parler hébreu ou de ne pas comprendre la mentalité et la culture israéliennes.

Des études israéliennes montrent une augmentation des dépressions chez les immigrants juifs, et même des cas de suicide, ce qui a incité le ministère de l’Alya et de l’Intégration à créer un centre de santé pour y faire face.

Des spécialistes de la santé mentale travaillent dans ce centre cinq jours par semaine et proposent des services en cinq langues différentes : anglais, français, espagnol, amharique (langue de l’Éthiopie) et russe.

Par ailleurs, il est apparu que des réseaux israéliens de trafic d’êtres humains s’emploient activement à attirer les femmes et les jeunes filles ukrainiennes pour les faire travailler dans la prostitution sous couvert de les accueillir en tant que réfugiés.

Les réseaux de traite sont basés à l’aéroport Ben Gourion et dans les hôtels voisins, sélectionnés par les autorités pour accueillir les réfugiés.

Une centaine de réfugiées ukrainiennes ont témoigné, à leur arrivée à l’aéroport Ben Gourion, que des personnes leur avaient proposé de l’argent pour les aider à fuir les zones de guerre en Ukraine. Ces femmes ont traversé la frontière et sont montées dans un avion en direction d’Israël. Cependant, à leur arrivée, elles ont appris qu’elles allaient devoir fournir des services sexuels ou domestiques pour rembourser l’argent.

Notes :

[1] Alya, Alyah ou Aliyah est un mot hébreu (עֲלִיָּה ou עלייה, pluriel alyoth) signifiant littéralement « ascension » ou « élévation spirituelle ». Ce terme désigne l’acte d’immigration en Terre d’Israël, puis en Israël par un Juif.
[2] La loi du retour (חוֹק השְבוּת, Khoq Ha-Shvout), votée le 5 juillet 1950 par la Knesset, garantit à tout Juif (ainsi qu’à son éventuelle famille non juive) le droit d’immigrer en Israël. Les Palestiniens, chassés de leurs terres depuis la déclaration d’indépendance de l’Etat d’Israël le 14 mai 1948, et la guerre et la colonisation qui s’en sont suivi, n’y ont pas droit.

19 mars 2022 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet