Gaza : la famine comme moyen de chantage

Mars 2024 - Le petit Mohammed est mesuré dans le cadre d'un dépistage de la malnutrition dans une clinique pédiatrique soutenue par l'UNICEF à Rafah, dans le sud de Gaza - Photo : Eyad El Baba Mohammad / UNICEF

Par EuroMed Monitor

Le mécanisme dit « d’aide humanitaire » mis en place par Israël dans la bande de Gaza, qui doit entrer en vigueur cette semaine, viole le droit international. Sous prétexte de permettre l’entrée et la distribution de l’aide humanitaire aux habitants de l’enclave assiégée, ce mécanisme est conçu pour persécuter les Palestiniens et les déplacer de force d’une grande partie de la bande de Gaza, tout en consolidant le contrôle militaire israélien.

Il sert également à tromper l’opinion publique internationale, qui commence enfin à prendre conscience de la crise humanitaire catastrophique provoquée par Israël dans l’enclave.

Toutes les informations disponibles sur le nouveau mécanisme israélien indiquent clairement qu’il est conçu comme un outil de contrôle coercitif de la population civile de la bande de Gaza.

Il limite les familles à un seul colis d’aide par semaine dans des conditions de sécurité inexistantes, violant ainsi les principes de non-discrimination, d’adéquation et de continuité de l’aide humanitaire.

Loin de répondre aux critères d’une aide neutre et efficace, ce mécanisme servira à soumettre la société palestinienne en contrôlant l’accès des populations à leurs besoins vitaux les plus élémentaires.

Ce mécanisme vise à déplacer de force les habitants des gouvernorats du nord et de Gaza, qui abritent près de la moitié de la population de la bande de Gaza, vers les zones centrales et méridionales, où seront situés les centres de distribution.

Gaza : les Israéliens suppriment toute autorité et soutiennent les gangs armés

Il soumet également tous les chefs de famille à des contrôles stricts, les exposant à un risque de disparition forcée illégale ou d’arrestation arbitraire, compte tenu notamment de la présence des forces israéliennes à proximité des sites de distribution et le long des routes d’accès.

Le mécanisme israélien, qui viole le droit international et les normes fondamentales en matière d’aide humanitaire en utilisant l’aide comme un outil de contrôle et de déplacement, est fondamentalement dépourvu de légitimité juridique et de validité en tant qu’initiative humanitaire.

Dans la pratique, il est totalement inapplicable : l’armée israélienne n’a désigné que quatre centres de distribution pour les plus de deux millions de personnes piégées dans la bande de Gaza, alors qu’une interdiction totale de l’aide et des marchandises est en vigueur depuis le 2 mars.

Une distribution aussi limitée ne constitue pas une véritable réponse humanitaire, mais une politique délibérée visant à peine à gérer la famine plutôt qu’à la soulager.

Israël prévoit de contrôler systématiquement le flux déjà rare de denrées alimentaires afin de maintenir la population de l’enclave dans un état de misère permanente, exploitant ses besoins fondamentaux pour la contrôler et la déplacer de force.

Selon les informations qui circulent, l’armée israélienne a mis en place un point de distribution au sud de son « corridor de Netzarim », dans le centre de la bande de Gaza, et trois autres dans l’extrême sud, entre les corridors « Morag » et « Philadelphi ».

Cela oblige un représentant de chaque famille des cinq gouvernorats de la bande de Gaza à parcourir jusqu’à 30 kilomètres chaque semaine pour accéder à une aide alimentaire limitée.

Ces difficultés seront aggravées par l’absence de routes pratiquables, le coût extrêmement élevé ou l’absence totale de moyens de transport, et le maintien de l’interdiction israélienne de circuler dans la rue Al-Rashid, seule voie actuellement ouverte à la circulation civile entre le nord et le sud, suite à la fermeture par Israël de la route Salah al-Din dans l’est de Gaza.

Le plan israélo-US pour Gaza est une véritable horreur dystopique

Outre le périple éprouvant, les habitants doivent parcourir ces distances sous la menace constante des bombardements et des attaques des forces israéliennes. L’aide humanitaire devient alors un fardeau plutôt qu’une bouée de sauvetage, rendant inaccessible aux personnes affamées, malades et âgées.

De telles conditions vident l’action humanitaire de son sens et révèlent la nature génocidaire du nouveau mécanisme israélien, qui ignore délibérément les principes d’accès sûr, de protection et de dignité humaine.

Selon l’évaluation de l’équipe de terrain d’Euro-Med Monitor, déployée dans toute la bande de Gaza, les quatre centres mis en place par l’armée israélienne sont incapables de répondre aux besoins de la population de manière sûre et efficace.

Avant le début du génocide en cours, les agences des Nations unies et les organisations humanitaires internationales s’appuyaient sur environ 400 points de distribution répartis dans les quartiers des villes et villages de la bande de Gaza, mais Israël les a empêchés de poursuivre leur travail.
Même lorsque ces points de distribution étaient nombreux, ne nécessitaient aucun contrôle de sécurité et ne présentaient aucun obstacle délibéré, les habitants devaient encore attendre de longues heures pour recevoir leurs rations alimentaires.
Cela démontre qu’il sera impossible de répondre aux besoins actuels de la population dans le cadre d’un système restrictif et centralisé contrôlé par la puissance occupante.

Dans une déclaration à Euro-Med Monitor, Ahmed Samir, 30 ans, seul soutien d’une famille de cinq personnes, a déclaré : « Quand j’ai entendu parler du nouveau mécanisme d’aide, j’ai ressenti de la colère et de la frustration. Je vis dans le nord de la ville de Gaza et je ne peux absolument pas me rendre chaque semaine dans le centre ou le sud de Gaza pour récupérer une aide qui ne suffira peut-être pas à nourrir ma famille. »

Samir a qualifié ce voyage de « risque aux conséquences imprévisibles ». Il a ajouté : « Même si j’arrive à m’y rendre en toute sécurité, qui peut me garantir que l’armée israélienne me laissera retourner dans le nord de Gaza après avoir reçu l’aide ? J’ai enduré des mois de bombardements et de famine pour éviter de fuir vers le sud de la bande de Gaza, je ne vais certainement pas le faire maintenant. Mais en même temps, j’ai désespérément besoin d’aide. «

« Lorsque des organisations humanitaires connues distribuaient auparavant l’aide, je marchais jusqu’au centre de distribution situé à environ un kilomètre de mon abri, en utilisant une petite charrette à main pour transporter le colis alimentaire, qui pesait généralement environ 20 kilos », a expliqué Samir. Avec le nouveau mécanisme, il sera « impossible de parcourir une distance aussi longue et dangereuse », a-t-il expliqué.

« Plus que tout, je souhaite le retour à l’ancien système de distribution de l’aide humanitaire et, surtout, la fin de la guerre. »

Famine à Gaza : toute une journée à chercher de quoi manger et de l’eau potable

Dans une déclaration séparée à Euro-Med Monitor, un journaliste, qui a demandé à rester anonyme pour des raisons de sécurité, a déclaré : « Je travaille pour un site d’information local. [Au début de la guerre], l’occupation israélienne a détruit ma maison dans le camp de Khan Yunis, dans le sud de la bande de Gaza. Je suis maintenant déplacé à Deir al-Balah, dans le centre de Gaza, où vit la famille de ma femme. »

« Nous avons beaucoup de mal à subvenir à nos besoins alimentaires. Nous avons quelques conserves que nous avons achetées à un prix exorbitant, mais nous n’avons presque plus de farine et nous n’avons aucune réserve. Je n’ai pas bénéficié de l’aide limitée qui est arrivée ces derniers jours », a-t-il poursuivi.

« Parallèlement, je suis avec inquiétude les informations faisant état du projet israélien de distribuer l’aide dans des points désignés, sous la protection d’une société de sécurité américaine, dans des zones où les forces d’occupation sont présentes », a déclaré le journaliste à Euro-Med Monitor. « Je ne pense pas pouvoir m’y rendre et risquer ma vie, d’autant plus que les forces d’occupation ont fait des journalistes des cibles à abattre ou à arrêter. »

Le journaliste a ajouté : « Je suis un civil, mais qui peut garantir ma sécurité si je m’y rends ? Ma famille et moi-même allons souffrir davantage de la faim jusqu’à ce que de véritables solutions humanitaires soient trouvées. J’espère qu’il existe d’autres options. Nous avons eu une très bonne expérience avec l’UNRWA, alors pourquoi est-elle mise à l’écart ? Des dizaines de milliers de familles ne pourront pas accéder à la nourriture dans le cadre de ce plan. Cela signifie-t-il qu’elles – et nous – sommes condamnés à mourir de faim ? »

La semaine dernière, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a déclaré publiquement que le déplacement de la population de la bande de Gaza était l’une des conditions posées par son gouvernement pour mettre fin aux opérations militaires dans l’enclave.

Dans le même temps, [le fasciste] Bezalel Smotrich, ministre des Finances et membre du cabinet de sécurité et politique, a déclaré que l’armée israélienne s’efforçait de démolir tous les bâtiments de la bande de Gaza et de regrouper la population dans une zone étroite de Rafah, en vue de son expulsion de l’enclave et de la prise de contrôle de celle-ci par Israël.

En tant que puissance occupante, Israël est légalement tenu, en vertu du droit international humanitaire, de garantir l’entrée d’une aide humanitaire suffisante pour répondre aux besoins de la population civile dans la bande de Gaza. Toutefois, cette obligation ne lui confère aucun droit de gérer ou de contrôler la distribution de cette aide.

La responsabilité de la distribution de l’aide doit incomber exclusivement à des agences humanitaires neutres et spécialisées. Toute ingérence militaire ou politique d’Israël dans ce processus constitue une grave violation du droit international, porte atteinte au caractère humanitaire des opérations de secours et transforme l’aide en un moyen de chantage utilisé pour soumettre l’ensemble de la population assiégée.

Les Israéliens s’acharnent sur un champ de ruines, sur fond de famine délibérement provoquée

Le gouvernement israélien utilise la famine comme un outil central dans son génocide contre les Palestiniens de la bande de Gaza, qui vise à les éliminer en tant que groupe, et ne peut donc en aucun cas participer au processus de distribution de l’aide humanitaire.

L’implication d’Israël dans l’organisation ou la supervision de la distribution de l’aide transformera inévitablement cette aide en un mécanisme de contrôle du destin de la population.

Imposer un environnement coercitif dépourvu des ressources élémentaires nécessaires à la survie ouvrira sans aucun doute la voie à l’expulsion des Gazaouis de leurs terres et s’inscrit clairement dans le projet colonial israélien plus large visant à effacer l’existence des Palestiniens et à annexer de force leur territoire.

Le refus des agences des Nations unies et des organisations humanitaires internationales indépendantes de coopérer avec le mécanisme israélien, qui ne respecte même pas les normes humanitaires les plus élémentaires, devrait constituer un avertissement clair et une incitation forte pour tous les États à intensifier leurs pressions sur Israël.

Cette pression doit viser à garantir l’acheminement immédiat et inconditionnel de l’aide humanitaire vers la bande de Gaza, à mettre fin à l’utilisation de tout mécanisme servant d’instrument de répression et de déplacement, et à prendre des mesures urgentes pour mettre un terme au génocide en cours contre la population de la bande de Gaza depuis octobre 2023.

Tous les États doivent immédiatement rétablir l’accès humanitaire et lever le blocus illégal imposé par Israël sur la bande de Gaza, car c’est le seul moyen de mettre fin à la crise humanitaire qui s’aggrave rapidement et de garantir l’entrée de l’aide et des biens essentiels alors que la famine menace.

Les États doivent également s’efforcer de mettre en place des couloirs humanitaires sûrs sous la supervision de l’ONU afin de garantir l’acheminement de la nourriture, des médicaments et du carburant vers toutes les zones de la bande de Gaza, ainsi que le déploiement d’observateurs internationaux indépendants chargés de vérifier le respect de ces mesures.

La communauté internationale doit également imposer des sanctions économiques, diplomatiques et militaires à Israël et à ses alliés les plus puissants, en particulier les États-Unis, pour ces violations flagrantes du droit international.

Ces sanctions devraient inclure :

  • des embargos sur les armes,
  • une interdiction d’exporter et d’importer des pièces détachées, des logiciels et des biens à double usage,
  • la fin de tout soutien politique, financier et militaire,
  • le gel des avoirs des responsables impliqués dans des crimes contre les Palestiniens et l’imposition d’interdictions de voyager à ces responsables,
  • la suspension des activités des entreprises militaires et de sécurité israéliennes et américaines sur les marchés internationaux et le gel de leurs avoirs
  • et la suspension des privilèges commerciaux et des accords bilatéraux qui procurent à Israël et aux États-Unis des avantages économiques leur permettant de poursuivre leurs crimes contre le peuple palestinien.

26 mai 2025 – EuroMed Monitor – Traduction : Chronique de Palestine

Soyez le premier à commenter

Laisser une réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.