La feuille de route intérieure et extérieure d’Israël

Troupes israéliennes d'occupation se préparant à tirer sur des manifestants palestiniens - Des affrontements ont suivi les funérailles de Mohammed al Alami, 12 ans, dans le village de Beit Ummar au nord d'Hébron, le 29 juillet 2021. Alami a été abattu par des soldats israéliens alors qu'il était assis du côté passager de la voiture de sa famille, alors que lui et son père revenaient d'acheter des légumes. Les personnes assistant à ses funérailles ont affronté les soldats israéliens, ce qui a entraîné la mort d'un autre Palestinien et une douzaine de blessés par des tirs à balles réelles - Photo: Oren Ziv/Activestills

Par Adnan Abu Amer

Israël est confronté à des problèmes de sécurité et à des menaces militaires, ainsi qu’à une crise politique intérieure permanente qui affecte ses relations avec ses voisins et la communauté internationale. Les autorités d’occupation ont apparemment un besoin urgent d’une “feuille de route” pour définir les paramètres fondamentaux de l’État et de ses politiques.

C’est ce qui a été recommandé à la suite d’une série de réunions de chercheurs qui ont passé en revue les défis existants, notamment en matière d’affaires étrangères et de sécurité.

L’importance de cette feuille de route définie à partir d’un long document publié par l’Institut de Jérusalem pour la stratégie et la sécurité (JISS), qui est dirigé par un certain nombre de généraux et de politiciens israéliens de haut rang, émane du fait qu’Israël a été dans la tourmente ces dernières années, bien que sa position stratégique soit meilleure que jamais.

Il se sent impuissant face à l’Iran, contre qui il pourrait être obligé d’agir seul, avec le risque élevé que l’Iran et ses alliés ne lui causent de gros dommages sur le front intérieur.

Par conséquent, alors même qu’Israël maintient le conflit violent de long terme avec les Palestiniens, qui ne sera probablement pas résolu dans un avenir proche, les autorités d’occupation se préparent à la guerre.

C’est une tâche difficile pour la société israélienne qui exige du gouvernement qu’il colmate ou calfeutre de nombreuses fissures, qu’il développe sa force militaire et politique et qu’il tire profit des accords de normalisation conclus l’année dernière avec certains États arabes.

Israël doit gérer le conflit avec l’Autorité palestinienne, renforcer sa force de dissuasion contre le Hamas et améliorer ses relations avec Washington. Il doit également approfondir le réseau de relations qu’il a construites en Méditerranée et stimuler sa diplomatie dans d’autres secteurs, en veillant tout particulièrement à équilibrer ses relations croissantes avec la Chine et les pays qui tentent d’entraver ces progrès.

En examinant les principales stratégies recommandées au gouvernement israélien par le JISS, je ne suis pas convaincu que les autorités de Tel Aviv soient en mesure de les mettre en œuvre, notamment parce qu’Israël n’est plus le seul acteur de la région. D’autres États et organisations se sont révélés des rivaux tenaces.

La nature dysfonctionnelle d’Israël l’empêche de se concentrer entièrement sur les menaces extérieures. Ses ennemis comptent d’ailleurs sur les querelles politiques et la polarisation ethnique pour absorber son attention.

En outre, la génération qui a fondé le pays a disparu, et l’État d’occupation est dirigé par des politiciens inexpérimentés qui peuvent ne pas se rendre compte du sérieux des recommandations de la JISS.

La cohésion nationale devrait être une priorité pour le gouvernement d’occupation, affirme le JISS. Il est nécessaire pour Israël de surmonter les difficiles défis sécuritaires et de se préparer à une agression potentielle. Il doit élaborer des tactiques efficaces en Amérique du Nord sous la direction de Joe Biden et au niveau international.

Le gouvernement israélien doit également essayer d’empêcher l’Iran d’obtenir des armes nucléaires. Le groupe de réflexion insiste sur ce point. Le mécanisme dit de “bataille entre les guerres” doit être prêt à assiéger le “cercle de feu” de l’Iran et de ses mandataires, qui entourent l’État d’occupation, d’une infrastructure de missiles à longue portée en Irak, en Syrie, au Liban, à Gaza et même en Cisjordanie.

Il est très important pour Israël de contrecarrer les plans de l’Iran visant à déstabiliser la Jordanie.

Il est également nécessaire que le gouvernement et l’armée israéliens soient préparés à divers scénarios militaires. Le JISS insiste sur l’importance des missiles sur le champ de bataille, de la manœuvrabilité des troupes et de la capacité à mener le combat en territoire ennemi.

La dernière offensive contre la bande de Gaza a démontré la sensibilité de l’armée israélienne aux pertes humaines et économiques.

Aux États-Unis, Israël doit garder le soutien des deux partis, démocrate et républicain ; personne d’autre que Washington n’est prêt à soutenir l’État d’occupation. Selon les chercheurs du JISS, il pourrait être nécessaire que Tel-Aviv soit plus favorable à la position américaine vis-à-vis de la Chine et qu’elle développe des relations avec les deux parties, notamment en raison de la diminution de la sympathie des démocrates pour Israël.

Les chercheurs soulignent également que la question de Jérusalem occupée doit être une priorité. La récente réponse de Gaza à l’agression israélienne dans la ville sainte et la mosquée Al-Aqsa a confirmé que les Palestiniens n’hésitent pas à contester le contrôle de la ville par Israël.

Israël prétend que sa sécurité l’oblige à contrôler Jérusalem, mais il s’agit manifestement d’une ruse pour renforcer la présence juive par le biais de colonies illégales.

Pour gérer le conflit avec les Palestiniens, il faut partir du principe qu’un accord permanent n’est pas en vue. Un objectif réaliste, selon le JISS, serait de réduire le coût du conflit pour les deux parties par un usage calculé de la force et des incitations économiques, en améliorant la situation dans la zone C et en préservant la réalité actuelle de la colonisation dans cette zone, à l’exception de l’extension des projets de construction dans le secteur de Jérusalem.

En d’autres termes, davantage d’activités illégales ; toutes les colonies sont illégales au regard du droit international.

Selon l’équipe du JISS, Israël doit à tout prix se préparer à empêcher le Hamas de prendre le contrôle de l’Autorité palestinienne pendant l’ère post-Mahmoud Abbas, en maintenant autant que possible la coopération en matière de sécurité avec l’AP, en répondant avec force aux roquettes lancées depuis Gaza et en obtenant la libération des prisonniers israéliens en échange de la permission de reconstruire Gaza.

Ainsi, après la guerre de Gaza, il est “approprié”, selon les chercheurs, qu’Israël poursuive sa politique de ” tondre la pelouse ” (raser Gaza, ndt) en frappant durement le Hamas et en imposant un mécanisme de dissuasion fort pendant la plus longue période possible.

Sur le plan intérieur, il faut aussi s’intéresser au sort des citoyens palestiniens d’Israël (“Arabes israéliens “). Ils doivent être intégrés à tous les niveaux, affirment les chercheurs. La “priorité” restant cependant de collecter leurs armes.

Sur le plan régional, la priorité doit être donnée à l’Égypte et à la Jordanie et à l’élargissement de l’éventail des accords de normalisation. En tant que partenaires stratégiques d’Israël, la stabilité de ces deux États est d’une importance capitale pour les autorités de Tel Aviv.

Cela nécessite une coordination israélienne substantielle avec Le Caire et Amman, y compris, recommande le JISS, le rétablissement des relations avec le roi Abdallah, qui ont été rompues ces dernières années. Peut-être sa position concernant la mosquée Al-Aqsa fait-elle de la préservation du statu quo à Jérusalem un intérêt commun aux deux parties.

Alors que la feuille de route israélienne nécessite une coordination et un suivi permanents avec les Émirats arabes unis et les autres partenaires des accords d’Abraham, elle prévoit de confronter la Turquie tant que le président Recep Tayyip Erdogan soutient le Hamas et “porte atteinte” à la souveraineté israélienne à Jérusalem.

La ville, bien sûr, reste annexée illégalement et, le secteur oriental du moins, est toujours considéré comme un territoire occupé en vertu du droit international, de sorte que cette “souveraineté” est sans aucun doute contestable. Israël, quant à lui, insiste sur le fait que la ville “indivise” est sa capitale.

Selon le groupe de réflexion, Israël doit développer des relations stratégiques avec l’Inde et éviter tout clivage avec la Chine, car l’équilibre des pouvoirs en Asie est le dossier le plus important de l’agenda mondial. En outre, Israël ne peut éviter d’être dans le camp américain et doit établir des relations spéciales avec l’Inde, le Japon et l’Australie, tout en restant prudent dans ses relations économiques avec Pékin afin de réduire les inquiétudes des États-Unis.

En conclusion la feuille de route donne une série de recommandations, dont la plus importante est d’approfondir les relations avec les populations arabophones, de maintenir le dialogue avec Moscou et les canaux de communication avec les forces russes en Syrie, et d’établir des liens de coopération politique et sécuritaire avec les principaux pays européens.

Il est également considéré comme important de développer un partenariat d’intérêts avec la France en Méditerranée orientale, de consolider les positions d’Israël sur la question iranienne, de modifier les habitudes de vote des pays amis dans les forums internationaux et de chercher à établir des relations ouvertes avec l’Indonésie et le Bangladesh.

Étant donné que des hauts fonctionnaires ont participé à l’élaboration de ces recommandations au gouvernement israélien, les stratégies suggérées pourraient jouer un rôle clé dans l’élaboration des politiques intérieures et extérieures du pays, malgré un certain manque de confiance dans la capacité du gouvernement à les mettre en œuvre efficacement.

Enfin, les milieux politiques israéliens estiment que la mise en œuvre de cette feuille de route doit être accompagnée d’une expansion de ses activités diplomatiques, qui semblent avoir perdu en puissance, pour combler les divisions importantes entre les ministères, obtenir les ressources nécessaires aux initiatives diplomatiques, et promouvoir et développer le commerce extérieur à une époque où les exportations israéliennes dépassent 400 milliards de shekels (124 milliards de dollars), soit environ un tiers de son revenu national.

10 août 2021 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine.com – Dominique Muselet