Complicité : la France poursuit ses livraisons d’armes à l’État génocidaire

24 janvier 2025 - Des fumées s'élèvent au-dessus du camp de réfugiés de Jénine alors que les forces coloniales israéliennes poursuivent leur raid sur Jénine et le camp pour la quatrième journée dans le cadre d'une opération militaire majeure visant à réprimer la résistance armée. Des bulldozers armés israéliens ont pénétré dans le camp, détruisant les infrastructures et les habitations. Des témoins rapportent que certaines maisons sont brûlées par les forces israéliennes. Des drones survolent constamment le camp, observant les nombreuses familles palestiniennes qui ont été forcées de fuir ces derniers jours. Les entrées et les sorties sont bloquées par les forces israéliennes, empêchant les travailleurs de la santé et les journalistes de pénétrer dans le camp de réfugiés. A cette date, au moins 12 Palestiniens ont été tués et près de 40 blessés lors de l'assaut israélien sur Jénine - Photo : Wahaj Bani Moufleh / Activestills

Par Disclose

Une semaine après la signature du cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, Disclose révèle qu’un lot de matériel fabriqué par la société française Sermat doit être expédié en Israël, lundi 20 octobre.

Ces composants sont destinés à des drones conçus par Elbit Systems, l’un des principaux fournisseurs de l’armée israélienne. Depuis le début de la guerre à Gaza, il s’agit du quatrième contrat mis au jour par Disclose entre une entreprise française et un acteur de l’industrie militaire israélienne.

Mercredi 15 octobre, le transporteur UPS a pris en charge une marchandise sensible qu’il doit acheminer en Israël. À l’intérieur : huit colis contenant des générateurs électriques, ou « alternateurs », fabriqués par la société Sermat, spécialisée dans « la fabrication d’électromécanismes destinés aux marchés […] de l’aéronautique, de l’armement et du domaine spatial ».

Livraison prévue le 20 octobre. Destination : l’entreprise d’armement Elbit Systems, à Karmiel, dans le nord d’Israël. D’après notre enquête, ces pièces détachées sont conçues pour équiper des drones Hermes 900. Un modèle massivement utilisé par l’armée israélienne à Gaza.

Cette livraison, qui intervient une semaine après l’adoption du « plan de paix » et un fragile cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, est la dernière d’une longue série. Depuis deux ans, le constructeur français a livré, selon nos informations, 29 alternateurs à Elbit Systems, l’un des principaux fournisseurs d’armes de l’État hébreu.

Mais ce n’est pas tout : Sermat a aussi livré 171 actionneurs à son client israélien ; des moteurs électriques qui servent à « la stabilisation et [au] contrôle précis » de drones, selon le fabricant. Plus des trois quarts de ces actionneurs ont été livrés par avion entre 2024 et aujourd’hui. Montant total des livraisons : 843 300 euros.

Après les maillons pour munitions de mitrailleuses d’Eurolinks, les « transpondeurs » pour drones livrés par Thales début 2024 et les tubes de canons d’Aubert & Duval, qui devaient quitter le port de Fos-sur-Mer en juin 2025, avant leur interception par les dockers, Disclose révèle donc un quatrième marché entre une entreprise française et un fournisseur d’armement à l’armée israélienne.

Et ce, alors que la Cour internationale de justice alerte sur le risque de génocide du peuple palestinien depuis le 26 janvier 2024. Et en dépit des déclarations du Premier ministre, Sébastien Lecornu, qui a encore affirmé, mardi 14 octobre, à l’Assemblée nationale, qu’aucune « arme française n’est allée à la destination de Tsahal ». Sans fournir de garantie.

Selon nos informations, les alternateurs en cours d’expédition sont conçus pour équiper des drones Hermes 900. Ces aéronefs capables de voler plus de 30 heures sont massivement déployés à Gaza depuis le déclenchement de l’offensive israélienne en réponse aux attaques du Hamas le 7 octobre 2023. Ils peuvent être armés de missiles et de bombes guidées comme les Mikholit.

Des débris de ces bombes ont été identifiés par Trevor Ball, chercheur pour le média d’investigation Bellingcat, dans plusieurs attaques contre des civils. Comme celle qui a visé un convoi humanitaire et tué neuf personnes, dont trois journalistes, le 15 mars dernier.

En revanche, difficile de savoir avec certitude à quels types de drones sont destinés les actionneurs made in France. Mais, d’après notre enquête, ces pièces sont conçues pour équiper plusieurs avions sans pilote d’Elbit Systems, dont le Hermes 900 et le Hermes 450.

Ce dernier a notamment servi au cours d’une frappe aérienne qui a tué sept membres de l’ONG humanitaire World Central Kitchen, le 1er avril 2024, selon le média israélien Haaretz.

Ces composants peuvent aussi être intégrés dans un drone de surveillance dérivé du Hermes 450, baptisé Watchkeeper. Construit en coopération avec la société Thales, l’engin est cette fois destiné aux forces armées britanniques. Sollicitée à plusieurs reprises avant la publication de cet article, Sermat n’a pas donné suite.

L’État ferme les yeux

L’État français est-il informé de la livraison prévue le 20 octobre ? Quid de toutes les autres ? Sollicités, les ministères des armées et de l’économie n’ont pas donné suite. Cependant, des documents consultés par Disclose laissent supposer que les autorités sont au courant depuis des années.

Selon ces écrits confidentiels, les moteurs électriques conçus par la société Sermat ne sont pas classés par les autorités françaises comme matériel militaire ni comme bien à double usage (BDU) — du matériel pouvant servir à la fois pour un usage civil et militaire.

En clair, l’industriel français n’a pas eu besoin de demander d’autorisation pour exporter ces équipements en Israël.

Ce choix remonterait à janvier 2012. À l’époque, des actionneurs destinés à Elbit Systems se retrouvent bloqués à l’aéroport Paris-Charles de Gaulle. Motif invoqué par la douane : ils doivent être classés comme biens à double usage. La direction de Sermat contacte alors Bercy et son service des biens à double usage (SBDU).

L’exportateur récuse le classement en BDU, car sa marchandise, selon lui, serait destinée à équiper des drones de surveillance non armés. Bercy lui donne raison trois semaines plus tard, contre l’avis des agents des douanes.

Autrement dit, Sermat n’a pas besoin de demander de licence d’exportation pour ses actionneurs. Négligence, choix délibéré, ou simple logique procédurale ? Sollicité pour savoir si le gouvernement a revu son jugement, alors même que les drones Hermes peuvent être armés depuis 2014, Bercy n’a pas donné suite.

Une obstination française

À la différence d’autres pays européens, comme l’Espagne, la Belgique, les Pays-Bas ou l’Italie, qui ont suspendu une partie ou la totalité de leurs livraisons de matériel militaire vers Israël, la France n’a jamais coupé les ponts.

Elle est pourtant signataire de textes internationaux qui encadrent strictement ces exportations et qui interdisent d’exporter de l’armement vers des pays étrangers s’il existe un risque qu’il soit utilisé contre des civils.

En 2024, 27,1 millions d’euros d’armements français ont été livrés en Israël, au motif qu’ils serviraient la défense de l’État hébreu ou seraient réexportés vers des pays tiers, selon le dernier rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France.

Le gouvernement a également autorisé la vente de biens à double usage pour un montant total de 74 millions d’euros.

L’obstination du gouvernement pourrait conduire l’État français devant la justice. En mai dernier, l’association Juristes pour le Respect du Droit international (JURDI) a saisi le Conseil d’État : elle accuse les autorités d’« excès de pouvoir » pour « n’avoir pris aucune mesure réelle pour empêcher le génocide », notamment en interrompant leurs livraisons d’armement, explique Alfonso Dorado, avocat et membre de JURDI.

Faute de réactions judiciaire et gouvernementale, l’association veut frapper l’État au portefeuille pour le contraindre à agir : le 1er septembre, elle a déposé un recours indemnitaire devant le tribunal administratif de Paris. L’association réclame une astreinte de 10 000 euros par jour d’inaction de l’État, à compter du moment où le tribunal administratif rendra sa décision — et à supposer que celui-ci donne raison à JURDI.

En attendant, Emmanuel Macron a exprimé sa « joie de voir le cessez-le-feu respecté et les otages libérés », lundi 13 octobre, dans le cadre du plan de paix.

17 octobre 2025 – Disclose

Soyez le premier à commenter

Laisser une réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.