Le chaos devient la norme dans la politique israélienne

Les élus israéliens ont voté le 27 juin, en première lecture un projet de loi visant à dissoudre le Parlement, étape clé vers la convocation de nouvelles élections anticipées, les cinquièmes en moins de quatre ans en ‘Israël’ - Photo : via al-Manar

Par Ramzy Baroud

L’effondrement de l’éphémère gouvernement israélien de Naftali Bennett et Yair Lapid conforte l’idée que la crise politique en Israël n’a pas été uniquement provoquée et encouragée par l’ex-premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou.

Le gouvernement de coalition de Bennett était composé de huit partis, formant sans doute l’une des coalitions les plus curieuses de l’histoire chaotique de la politique israélienne.

Le cabinet très bigarré comprenait des groupes d’extrême droite et même fascisants comme Yamina, Yisrael Beiteinu et Nouvel Espoir, ainsi que le centriste [au sens israélien du terme – NdT] Yesh Atid et Kakhol lavan, le Meretz – supposé de gauche – et même un parti arabe, la Liste arabe unie (Ra’am).

La coalition comptait également des représentants du Parti travailliste, autrefois le camp politique israélien dominant, désormais presque complètement hors circuit.

Lorsque la coalition a été formée en juin 2021, Bennett était vanté comme une sorte de messie politique, prêt à délivrer Israël de l’emprise de Netanyahou, addict au pouvoir, auto-centré et totalement corrompu.

La confiance dans le gouvernement de Bennett, cependant, était mal placée. Le politicien millionnaire était un protégé de Netanyahu et, à de nombreuses reprises, a semblé se tenir à la droite du chef du parti Likud sur diverses questions.

En 2013, Bennett a fièrement déclaré : « J’ai tué beaucoup d’Arabes dans ma vie – et il n’y a aucun problème avec ça. »

En 2014, il était très critique envers Netanyahou pour ne pas avoir atteint les objectifs d’Israël dans l’une des guerres les plus meurtrières contre Gaza assiégée.

De plus, le principal soutien de Bennett provient de la circonscription la plus extrême et la plus à droite d’Israël.

Beaucoup souhaitaient ignorer tout cela, dans l’espoir que Bennett réussirait à évincer son ancien patron. Cette possibilité est devenue très réelle lorsque Netanyahu a été officiellement inculpé en novembre 2019 pour diverses accusations graves de corruption.

Lorsque le gouvernement de Bennett et Lapid a officiellement prêté serment, le 13 juin 2021, il semblait qu’une nouvelle ère de la politique israélienne avait commencé. Il était entendu que les camps politiques d’Israël avaient enfin trouvé leur dénominateur commun.

Netanyahou, quant à lui, a été repoussé dans les rangs de l’opposition. Sa place dans les médias a commencé à s’estomper, d’autant plus qu’il s’enfonçait plus profondément dans son procès pour corruption.

Pourtant certains analystes continuent de rendre Netanyahou responsable des diverses crises subies par la coalition de Bennett – par exemple, lorsque Idit Silman a démissionné de son poste le 6 avril, laissant le gouvernement de coalition avec seulement 60 sièges à la Knesset. Mais il y a peu de preuves à et égard. L’éphémère gouvernement israélien s’est effondré sous le poids de ses propres contradictions.

Les actions du gouvernement qui a dominé Israël entre juin 2021 et juin 2022 auraient-elles été différentes si Netanyahou était resté Premier ministre israélien ? Aucunement. Les colonies juives illégales continuent de se développer sans restriction aucune ; les démolitions de maisons, la dépossession des communautés palestiniennes en Cisjordanie et à Jérusalem occupée et autant d’agressions de routine d’Israël contre ses voisins arabes n’ont jamais cessé.

Selon les données des Nations Unies, 79 Palestiniens ont été assassinés en Cisjordanie par l’armée israélienne entre juin 2021 et mai 2022.

La région de Masafer Yatta, une zone de 36 km2 située dans les collines du sud d’Hébron, a été désignée pour une annexion totale par l’armée israélienne.

L’expulsion des 1200 résidents palestiniens de la région a déjà commencé.

En ce qui concerne Jérusalem occupée, en particulier dans le cas de la ainsi-nommée Marche du drapeau, Bennett s’est révélé encore plus extrême que Netanyahou.

Bernard Avishai écrit dans The New Yorker qu’en 2021, « le gouvernement de Netanyahou a changé l’itinéraire de la marche en la maintenant à duistance de la porte de Damas pour limiter les risques de violence », tandis que le ‘gouvernement du changemlent’ – une référence à la coalition de Bennett – « avait rétabli l’itinéraire, et a même permis à plus de deux mille militants nationaux-orthodoxes-fascisants, dont le dirigeant du Camp national de la Knesset Itamar Ben-Gvir », d’effectuer leurs « visites » provocatrices à Haram Al-Sharif, l’un des sites les plus sacrés de l’Islam.

Cela ne veut pas dire qu’un retour de Netanyahu, après les élections maintenant planifiées en novembre – les cinquièmes élections générales d’Israël en moins de quatre ans – serait un changement bienvenu. Au contraire, l’expérience a montré que, quel que soit le camp qui dirige Israël, l’attitude politique du pays, en particulier envers les Palestiniens, restera très certainement inchangée.

La politique israélienne est depuis longtemps connue pour être instable, mais cette instabilité s’est cependant aggravée au cours des dernières décennies.

Depuis 1996, la durée moyenne d’un gouvernement israélien moyen n’avait pas été de plus de 2,6 ans. Mais depuis avril 2019, cette moyenne a considérablement diminué à moins d’un an.

L’argument utilisé de longue date était que l’attitude dominatrice et polarisante de Netanyahou en était responsable, mais l’année dernière, on a pu constater que celui-ci n’était qu’un symptôme du malaise politique chronique en Israël.

Certains analystes israéliens suggèrent que la crise politique israélienne ne peut prendre fin que lorsque le pays mettra en œuvre des réformes électorales et constitutionnelles.

Cela, cependant, serait une solution en trompe-l’œil car une grande partie des lois parlementaires et électorales d’Israël sont en vigueur depuis de nombreuses années, lorsque les gouvernements étaient relativement stables.

Pour qu’Israël change, un langage de paix et de réconciliation devrait remplacer l’atmosphère actuelle d’incitation à la haine et à la guerre. Les politiciens israéliens – qui attisent actuellement les flammes des conflits, se disputent des postes et se nourrissent des harangues violentes de leurs partisans – devraient être transformés en quelque chose de complètement différent, une quasi impossibilité dans l’atmosphère haineuse qui prévaut dans tout le pays.

Il y a de fortes chances que les crises politiques d’Israël continuent à peser lourd : des coalitions se formeront, pour s’effondrer peu après, les politiciens continueront à glisser à l’extrême-droite même s’ils prétendent appartenir à d’autres camps idéologiques.

L’instabilité politique d’Israël est désormais la norme, et non l’exception.

Dans une interview accordée à CNN, Yohanan Plesner, ancien membre de la Knesset (MK), a déclaré que le problème est le besoin d’Israël de « réformes électorales et constitutionnelles, comme faire dépendre toute tentative d’organiser des élections anticipées d’une majorité des deux tiers au parlement et amender la loi actuelle qui exige de nouvelles élections lorsqu’un budget n’est pas adopté. »

Ce que les Israéliens refusent de prendre en compte, c’est le fait que les gouvernements fondés sur des électeurs de droite, d’extrême droite et autres ultra-extrémistes sont intrinsèquement instables.

Même si un Premier ministre prétendument « centriste » ou même de « gauche » se retrouve à la tête du gouvernement, les résultats ne seront pas différents lorsque la Knesset – en fait, la majeure partie du pays – sera gouvernée par une mentalité militariste, chauvine et colonialiste.

14 juillet 2022 – The Palestine Chronicle – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah