Des Palestiniennes tentent de se réconforter après une frappe aérienne israélienne sur une école de l'ONU abritant des personnes déplacées à Nuseirat, dans le centre de la bande de Gaza, le 14 juillet 2024 - Photo : Ramadan Abed
Par Majd Jawad
Les femmes palestiniennes de Gaza ont été victimes de violences sexuelles généralisées pendant le génocide israélien. Malgré les nombreuses preuves, les organisations de défense des droits humains ont du mal à obtenir justice, car les femmes vivent dans la crainte de la stigmatisation sociale et des représailles d’Israël.
L’histoire de N.A., une Palestinienne détenue et qui aurait été violée par quatre soldats israéliens, a provoqué une onde de choc dans une communauté déjà ravagée par la guerre.
Détaillée dans le rapport choquant publié le mois dernier par le Centre palestinien pour les droits de l’homme (PCHR), l’histoire de N.A. n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, révélant les viols et les tortures sexuelles systématiques infligés aux détenus palestiniens par les autorités israéliennes.
Son refus de se faire soigner après sa libération, se repliant dans un cercle de silence, met en évidence une réalité omniprésente et dévastatrice dans la bande de Gaza.
Malgré les tentatives répétées des organisations de défense des droits humains pour documenter son cas et lui apporter leur soutien, N.A. a refusé tout nouvel entretien, révélant ainsi la peur qui paralyse d’innombrables survivantes.
« Les personnes qui nous parlent ne se sentent fondamentalement pas en sécurité pour révéler leur expérience », explique Yasser Abdel Ghafour, directeur adjoint de l’unité de documentation d’un centre local de défense des droits humains. « Elles préfèrent ne pas élargir le cercle des personnes qui connaissent leur situation, ce qui exposerait davantage leur identité. »
Selon Abdel Ghafour, il ne s’agit pas d’un incident isolé. « Nous avons connaissance de nombreux cas similaires », explique-t-il. « Nous avons contactés ces personnes à plusieurs reprises pour qu’elles partagent leur histoire, mais elles ont catégoriquement refusé, estimant que cela mettrait leur vie encore plus en danger. C’est particulièrement vrai pour les femmes. »
La violence sexuelle comme arme de guerre
Les organisations locales et internationales de défense des droits humains indiquent que le recours à la violence sexuelle par les forces d’occupation n’est pas une série d’incidents isolés, mais fait partie d’un comportement récurrent dans les centres de détention.
Bien qu’aucun organisme international n’ait encore mené d’enquête approfondie, les témoignages, en particulier ceux des femmes détenues, font état de pratiques systématiques d’humiliation sexuelle, de dégradation et de destruction de l’identité.
« Il ne suffit pas de documenter les violations, il faut mettre en place un mécanisme international neutre chargé d’enquêter sur l’utilisation de la violence sexuelle comme arme de guerre », insiste Abdel Ghafour. « Ce qui arrive aux femmes en détention s’inscrit dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique, et non de transgressions individuelles commises par des soldats. »
Dans une déclaration, le Centre de ressources BADIL pour les droits de résidence et des réfugiés palestiniens a affirmé que les agressions sexuelles commises par Israël doivent être traitées comme une question politique et sociétale, et non comme une question individuelle.
« En tant que question politico-sociétale liée aux politiques coloniales d’oppression », peut-on lire dans la déclaration, « elle s’apparente à des assassinats ou à l’usage d’une force extrême. La victime ne doit pas être isolée ou dégradée ; elle doit au contraire être soutenue, sa lutte honorée et tout le soutien nécessaire lui être apporté. »
Menace persistante de représailles
Pour les détenus libérés, les séquelles psychologiques et physiques sont immenses. Le traumatisme de leur expérience persiste longtemps après leur retour chez eux.
Un témoignage recueilli par le PCHR traduit bien ce désespoir : « Sur le plan mental, je ne suis plus moi-même. Je vous parle maintenant de ma tragédie et je me sens instable, je pleure et je ris en même temps. Je suis devenue insensible quand je regarde mes enfants et je crains qu’un jour ils vivent ce que j’ai vécu. »
Une autre survivante décrit son état mental ravagé : « Ils ont violé notre dignité et détruit notre moral et notre espoir dans la vie. Je voulais poursuivre mes études ; maintenant, je suis perdue après ce qui m’est arrivé. »
Selon les professionnels, malgré un traumatisme aussi profond, très peu de survivantes recherchent des soins médicaux ou psychologiques. La menace constante de représailles de la part des forces d’occupation israéliennes pour avoir parlé les empêche de révéler pleinement leur expérience.
Cette crainte est corroborée par le rapport May 2025 GBV Trends Analysis: Gaza du Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), qui note que les survivantes « hésitent souvent à nommer les auteurs armés par crainte de représailles ».
Ce climat de peur s’étend au-delà de la violence sexuelle et à toutes les formes de documentation. Munir al-Bursh, directeur au sein du ministère de la Santé de Gaza, confirme cette tendance à Mondoweiss.
Il dit avoir rencontré des cas où des personnes ont insisté à plusieurs reprises pour que leur identité et leurs informations médicales restent confidentielles, invoquant des menaces directes de représailles de la part de l’occupant israélien si leurs tragédies étaient rendues publiques.
La menace ne se limite pas aux survivants. Les défenseurs des droits humains, les observateurs et les organisations locales de la société civile, telles que le PCHR, le Centre Al-Mezan pour les droits humains et le Centre pour les affaires féminines, sont également systématiquement pris pour cible en raison de leur travail de dénonciation des crimes israéliens.
Ces organisations, qui ont déjà du mal à fonctionner, sont constamment victimes d’intimidations de la part d’Israël.
Cela inclut des attaques physiques directes, telles que la destruction totale du bureau de Humanity & Inclusion (HI) à Gaza en janvier 2024, alors même que ses coordonnées étaient enregistrées dans le système de notification de l’ONU.
Human Rights Watch (HRW) a également documenté au moins huit frappes israéliennes contre des convois et des locaux d’humanitaires, alors même que leur emplacement avait été communiqué aux autorités israéliennes d’occupation.
Lignes d’assistance téléphonique anonymes
Si le nombre de cas dûment répertoriés de viols et d’exploitation et d’abus sexuels (EAS) reste faible, ces incidents sont largement sous-déclarés.
Les gestionnaires de cas de violence sexiste de l’UNFPA en Palestine ont fait part de témoignages préoccupants lors de réunions et de formations du groupe de travail, notamment des cas impliquant des adolescentes et des femmes handicapées violées par des membres de leur famille et des inconnus.
Bien que le viol apparaisse comme étant à 0 % dans les données, il y a eu une sous-déclaration importante due à la crainte de représailles, à la stigmatisation, au manque de connaissance des services disponibles et à l’effondrement du système judiciaire, les survivantes ne consentant pas à l’enregistrement de leur cas.
« Beaucoup de femmes préfèrent garder le silence », explique Zainab Al-Ghunaimi, directrice du Centre Hayat pour la protection des femmes battues, considéré comme le principal refuge à Gaza, « non pas parce que leur expérience est moins réelle, mais parce que s’exprimer peut signifier s’exposer, elles et leurs familles, à de nouvelles violences, à l’ostracisme social et à la ruine matérielle ».
Ce défi paralyse les mécanismes de signalement. Un rapport d’août 2025 du Gender-Based Violence Area of Responsibility (GBV AoR) « a fait état de graves perturbations dans les centres de services spécialisés pour les femmes, la majorité d’entre eux étant soit hors service, soit ne fonctionnant que partiellement », tandis que l’accès à ce qui reste des services de santé reproductive et mentale est semé d’embûches.
Pas de refuges sûrs
En l’absence de systèmes officiels, certaines organisations ont cherché d’autres moyens d’assurer la justice et la protection. Al-Ghunaimi expose leurs efforts.
« Nous avons essayé de trouver d’autres moyens de protéger les femmes victimes de violences pendant la guerre », dit-elle. « Nous avons installé une tente pour héberger les femmes confrontées à des menaces de premier degré, c’est-à-dire celles qui risquaient d’être tuées. Nous avons eu recours à des solutions temporaires, comme un système de médiation, au lieu du système judiciaire. »
Ce système, explique-t-elle, fait appel à des comités composés de personnalités respectées de la communauté, telles que les responsables des centres d’accueil pour personnes déplacées et les anciens de la famille, afin de résoudre les conflits et d’offrir une protection.
Cependant, Al-Ghunaimi refuse de qualifier ces refuges de « sûrs » à 100 %. Face à l’occupation, il n’existe aucun endroit réellement sûr.
Récemment, alors que ce rapport était en cours de rédaction et malgré un cessez-le-feu, une frappe israélienne a touché une maison située à côté du camp du Centre Hayat, détruisant plus de la moitié de celle-ci.
Bien que personne dans le camp n’ait été blessé physiquement, le traumatisme amer de la perte d’un refuge s’est fait ressentir une fois de plus.
Un vide en matière d’obligation de rendre des comptes
Les enquêtes internationales sur les violences sexuelles à Gaza ne peuvent aboutir sans témoins. Or, ceux qui pourraient témoigner vivent dans la peur constante, sous la menace permanente, déplacés et profondément traumatisés psychologiquement.
L’insécurité permanente, aggravée par la destruction des habitations et des services essentiels, rend presque impossible pour les survivants de se manifester en toute sécurité.
Il en résulte un écart considérable entre l’ampleur des violations et la capacité des organisations de défense des droits humains à les documenter et à demander justice.
« Nous avons recueilli de nombreux témoignages au fil des ans, mais nous manquons de témoins prêts à se manifester », explique Abdel Ghafour, directeur adjoint de l’unité de documentation du PCHR.
« Le silence imposé par la peur et la stigmatisation sociale fait que les dossiers sur les viols et les tortures sexuelles restent parmi les plus difficiles et les plus déchirants à traiter. Sans témoins, la responsabilité reste presque totalement hors de portée, et les survivants continuent à porter seuls le poids de ces crimes. »
Auteur : Majd Jawad
* Majd Jawad est journaliste et chercheur originaire de Jénine, en Palestine. Il est titulaire d'une maîtrise en démocratie et droits de l'homme de l'université de Birzeit et d'une licence en journalisme.
20 décembre 2025 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah

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