Gaza : une campagne d’expulsion des plus violentes, sans nulle part où aller

8 septembre 2025 - Capture d'écran, vidéo Abdel Qader Sabah

Par Abdel Qader Sabbah

« Ce devrait être la dernière étape, au bord de la mer. Ils devraient nous laisser rester ici. »

GAZA CITY — Les Palestiniens de la ville de Gaza subissent de plein fouet la campagne militaire israélienne visant à nettoyer ethniquement toute la ville, autrefois la plus grande de la Palestine historique, sans avoir nulle part où aller.

Mercredi, l’armée israélienne a vanté son offensive qui ne cesse d’empirer contre la ville de Gaza, un porte-parole déclarant que des dizaines d’avions de combat israéliens avaient frappé plus de 360 cibles dans la ville, notamment des immeubles de grande hauteur et des infrastructures. « La première vague s’est concentrée sur les quartiers de Daraj et Tuffah… Les deuxième et troisième vagues ont consisté en une attaque à grande échelle contre les zones de Daraj, Tuffah et Furqan », a déclaré le porte-parole sur X. « Dans les jours à venir, l’armée intensifiera le rythme des attaques… en préparation des prochaines phases de l’opération. »

Outre les bâtiments résidentiels et les infrastructures, des campements de tentes surpeuplés ont également été détruits.

8 septembre 2025 – Un Palestinien déplacé vers le littoral de la ville de Gaza avec sa famille – Capture vidéo Abdel Qader Sabah

Depuis que l’armée israélienne a lancé son offensive pour s’emparer et prendre le contrôle de la ville de Gaza le mois dernier, elle a émis de multiples ordres d’évacuation pour différents quartiers de ce qui subsiste de l’agglomération, aboutissant lundi à un ordre d’expulsion massive pour l’ensemble de la ville, qui compte près d’un million de Palestiniens.

Beaucoup sont tout simplement dans l’incapacité de partir. Plusieurs Palestiniens déplacés à Gaza ont déclaré à Drop Site News qu’ils ne pouvaient pas fuir vers le sud en raison des coûts de transport exorbitants, qui peuvent atteindre 4000 shekels (environ 1200 dollars) ; du manque d’espace ou d’abris dans les zones fortement surpeuplées du sud ; et de l’absence de sécurité face aux attaques israéliennes partout à Gaza, y compris dans les zones prétendument « humanitaires ».

« Les Israéliens ont détruit notre maison et nous ne savions pas où aller ni quoi faire. Nous sommes partis, puis nous sommes revenus, puis nous sommes repartis et nous sommes revenus ici. Nous avons déménagé environ 20 fois jusqu’à présent et nous ne savons toujours pas où aller », a déclaré Issa, qui a été déplacé vers la côte depuis son domicile à Al-Zarqa, un quartier du nord-est de la ville de Gaza.

Derrière lui, sur la plage de sable, était garée une charrette tirée par un âne, chargée de matelas, de casseroles et d’autres effets personnels. « Cela devrait être notre destination finale, au bord de la mer. Ils devraient nous laisser rester ici. Où sommes-nous censés aller ? », a-t-il déclaré à Drop Site, ajoutant : « Pour aller dans le sud, il faut 3000 shekels. Et où trouver une tente ? Il n’y a pas de tentes… Il n’y a pas de sécurité, ni ici, ni ailleurs… En ce moment, nous sommes déplacés dans le nord. Il n’y a pas de sécurité ici ni dans le sud. »

L’équipe humanitaire des Nations unies dans les territoires palestiniens occupés, a déclaré que près d’un million de personnes à Gaza se retrouvent désormais « sans option sûre ou viable ».

« Nous assistons à une dangereuse escalade dans la ville de Gaza, où les forces israéliennes ont intensifié leurs opérations et ordonné à tout le monde de se diriger vers le sud. Cela survient deux semaines après la confirmation d’une famine dans la ville et ses environs », ont-ils déclaré mercredi dans un communiqué.

« Bien que les autorités israéliennes aient unilatéralement déclaré une zone dans le sud comme ‘humanitaire’, elles n’ont pris aucune mesure efficace pour assurer la sécurité des personnes contraintes de s’y rendre, et ni la taille ni l’ampleur des services fournis ne sont suffisantes pour venir en aide à ceux qui s’y trouvent déjà, sans parler des nouveaux arrivants. Près d’un million de personnes se retrouvent désormais sans option sûre ou viable, ni le nord ni le sud n’offrant de sécurité. Quitter le nord de Gaza implique des frais de transport et de passage sécurisé prohibitifs, que la plupart des familles ne peuvent tout simplement pas se permettre. Cela signifie emprunter des routes à peine praticables. Cela signifie trouver un endroit où dormir, soit en plein air, soit dans des sites de déplacement surpeuplés. Et cela signifie continuer à lutter pour trouver de la nourriture, de l’eau, des soins médicaux et un abri, et vivre sans installations sanitaires dignes et propres. Les survivants à Gaza sont dans un état d’épuisement total. »

L’ordre d’expulsion de lundi était accompagné d’une carte de tout le nord de Gaza représentant trois flèches pointant vers l’ouest et une grande flèche pointant vers le sud, illustration graphique de la campagne de nettoyage ethnique menée par Israël.

8 septembre 2025 – Une famille palestinienne déplacée vers le littoral de la ville de Gaza – Capture d’écran vidéo Abdel Qader Sabah

Mais, le littoral et les rues adjacentes étant transformés en une multitude de tentes et d’abris de fortune, les familles ne trouvent pas d’espace pour se déplacer vers le sud, même si elles le souhaitaient.

Selon le site Management Cluster, une coalition d’organisations humanitaires qui suit les mouvements à Gaza, environ 50 000 Palestiniens ont été déplacés à l’intérieur de la ville de Gaza, et un nombre similaire a fui vers le sud.

L’armée israélienne a donné une estimation bien plus élevée, estimant à 200 000 le nombre de personnes qui ont fui la ville de Gaza, selon le Times of Israel.

Plusieurs familles déplacées à Gaza ont déclaré à Drop Site qu’elles avaient réussi à fuir vers le sud, mais qu’elles avaient dû retourner dans le nord après n’avoir trouvé aucun abri ou avoir été contraintes de payer un loyer pour un petit lopin de terre afin d’y installer leur tente.

« Nous sommes allés dans le sud et n’avons trouvé aucun endroit où nous installer. Ils n’arrêtaient pas de nous dire qu’il fallait de l’argent, mais nous n’en avions pas. Il faut 3000 à 4000 shekels rien que pour s’y rendre. Et il n’y a pas de terrain sans frais – dix shekels par mètre – et nous n’avons pas cette somme », a déclaré Feryal Al-Dada à Drop Site.

« Ils nous ont chassés de Khan Younis. Ils ont dit qu’il n’y avait pas de place, pas d’endroit pour nous », a-t-elle ajouté, précisant : « Nous sommes restés cinq jours sous le soleil, sans nourriture ni eau. Je ne pouvais pas respirer à cause de la poussière et de la chaleur. »

Al-Dada se tenait devant un abri de fortune fait de bâches en tissu et de piquets en bois près de la route côtière. « J’essaie de m’abriter près de la rue. Juste pour avoir un peu d’intimité. Ma fille est blessée, et il y a moi, mon fils et mon mari. Nous avons aménagé un petit espace pour vivre. J’ai tout ramassé dans la rue. »

À proximité, Mazen Al-Damma clouait un morceau de tissu sur un cadre en bois fin pour fabriquer un abri. « Nous sommes partis vers le sud. Nous sommes allés à Al-Qarara [une ville située juste au nord de Khan Younis]. Ils nous ont chassés, car il n’y avait pas de place, et nous ont redirigés vers Deir Al-Balah. Mais là-bas, il y avait des tirs et des bombardements, nous ne pouvions donc pas rester », a expliqué Al-Damma à Drop Site.

Il est retourné dans le nord, chez lui, dans le quartier d’Al-Tuffah, mais a été contraint de fuir à nouveau la semaine dernière après que Israël a émis des ordres d’évacuation.

« Nous avons dû partir sans savoir où nous allions », a-t-il raconté. « Honnêtement, il vaut mieux ne pas aller dans le sud. C’est une perte d’argent. Mieux vaut rester sur ses propres terres. » Il a ajouté : « Où que vous soyez, tout Gaza est dangereux. La zone qu’ils vous disent être ‘sûre’ est également dangereuse. Deir Al-Balah est dangereux. Tout Gaza est dangereux. Il n’y a pas de zone sûre. Ils ont largué des tracts sur nous il y a trois ou quatre jours. C’est ce qui nous a poussés à nous diriger vers le sud, mais nous n’avons trouvé aucun emplcement et sommes venus ici à la place. »

Dans une déclaration vidéo lundi, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a proféré une menace ouverte à l’encontre de tous les Palestiniens de la ville de Gaza : « Je m’adresse aux habitants de Gaza, je profite de cette occasion pour vous dire, et écoutez-moi bien : vous avez été prévenus, partez maintenant. »

Sa déclaration fait écho aux commentaires qui ont suivi l’ordre de déplacement massif donné par Israël à tout le nord de Gaza en octobre 2023, à peine une semaine après le début de la guerre, lorsque Netanyahu avait également proclamé : « Partez maintenant. »

8 septembre 2025 – Mazen Al-Damma a été déplacé vers le littoral de la ville de Gaza – Capture d’écran vidéo Abdel Qader Sabah

« L’ordre donné [lundi] matin par l’armée israélienne pour l’expulsion massive des habitants de la ville de Gaza est cruel, illégal et aggrave encore les conditions de vie génocidaires qu’Israël inflige aux Palestiniens », a déclaré Heba Morayef, directrice régionale pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International, dans un communiqué.

« Pour les centaines de milliers de Palestiniens de la ville de Gaza qui, depuis près de deux ans, subissent des bombardements incessants tout en souffrant de la faim et en étant entassés dans des camps de fortune ou en se réfugiant dans des bâtiments extrêmement surpeuplés, il s’agit d’une répétition dévastatrice et inhumaine de l’ordre de déplacement massif émis pour tout le nord de Gaza le 13 octobre 2023. »

Alors que l’offensive israélienne se poursuit, les Palestiniens de la ville de Gaza sont contraints de se réfugier dans un espace de plus en plus restreint.

« Nous avons chargé la voiture et pris la direction du sud, vers Khan Younis. Le transport seul nous a coûté entre 2800 et 3000 shekels. Nous sommes arrivés à Mawasi, Khan Younis, et nous y sommes restés, mais les bombardements étaient intenses. Ils ont même bombardé les tentes. Nous avons fui Khan Younis et sommes allés à Deir al-Balah. Une fois arrivés, nous avons découvert que c’était aussi une zone rouge, un endroit tout aussi terrifiant », a déclaré à Drop Site un Palestinien qui n’a pas souhaité donner son nom.

« Même si vous trouvez un terrain où vivre [dans le sud], qu’il soit public ou privé, quelqu’un viendra vous dire : ‘Je veux être payé au mètre carré’. Le tarif est de 10 shekels par mètre carré. Si vous voulez installer une tente de 4 mètres sur 4, soit 16 mètres carrés, cela vous coûtera 200 ou 300 shekels par mois », a-t-il expliqué. « Nous n’avons eu d’autre choix que de quitter le sud et de revenir à Gaza. »

« Comme vous pouvez le voir, nous installons des bâches, nous ramassons des couvertures, nous les découpons et nous les utilisons. Nous récupérons des rideaux et du bois dans les rues pour subvenir à nos besoins », a-t-il déclaré, tandis que ses enfants, couverts de poussière, se tenaient à ses côtés.

« Nous vivons sur la plage. Ils savent que nous sommes ici, sur la plage. Quelle est la faute de cette enfant ? Nous sommes privés de choses qu’elle n’a même jamais vues. »

11 septembre 2025 – Drop Site News – Traduction : Chronique de Palestine

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