
Des Palestiniens récupèrent ce qui subsiste des secours distribués par la Gaza Humanitarian Foundation, une organisation soutenue par les États-Unis, dans son centre de distribution à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 5 juin 2025 - Photo via Zeteo
Par Zeteo
« Je pensais m’engager dans une mission humanitaire. Mais ce dont j’ai été témoin à Gaza est absolument horrible. »
Note de la rédaction : Compte tenu de la valeur de ces informations et de ce point de vue, Zeteo a accédé à la demande d’anonymat de l’auteur afin qu’il puisse s’exprimer librement, sans intimidation ni crainte de représailles.
Je fais partie des centaines d’agents de sécurité qui se sont rendus à Gaza pour faciliter l’acheminement de « l’aide humanitaire » dans le cadre du nouveau projet de la Fondation humanitaire pour Gaza soutenu par les États-Unis.
Et tout cela, ce ne sont que des conneries.
J’ai rejoint ce qui semblait être une mission intéressante, bien rémunérée, par l’intermédiaire d’une société appelée UG Solutions. On nous a donné très peu d’informations.
On m’a dit que j’avais obtenu le poste quelques jours seulement avant notre départ. C’était vraiment à la dernière minute.
Après notre arrivée à Washington, DC, le 16 mai, nous avons reçu un briefing légèrement plus détaillé. Nous allions assurer la sécurité des sites d’aide humanitaire à Gaza. On nous a répété à plusieurs reprises : « Si vous êtes ici pour vous battre, faites vos valises et rentrez chez vous, car ce n’est pas pour ça que nous sommes ici. Nous sommes ici pour aider. » Cette idée me convenait.
Le lendemain, nous sommes partis pour le Moyen-Orient. Notre groupe comprenait environ 300 personnes d’horizons divers, notamment des membres d’unités militaires d’opérations spéciales, d’anciens hommes de troupe, des personnes ayant servi dans l’armée mais n’ayant jamais été déployées [en zone de conflit], et d’autres qui n’avaient jamais servi dans l’armée mais avaient travaillé dans les forces de l’ordre.
Certaines personnes semblaient beaucoup trop âgées. Il semblait que la société manquait tellement de personnel qu’elle ne faisait pas la fine bouche sur les candidats.
Il était difficile de se procurer du matériel et de l’équipement. Il n’y avait pas assez d’uniformes pour tout le monde. Nous n’avons pas reçu d’optiques ni de lunettes de visée pour nos armes (comme les points rouges qui aident à viser). Les armes elles-mêmes étaient un tout autre problème.
Nous avons finalement reçu chacun un fusil de type AR, ainsi qu’un pistolet. Mais personne n’a été testé pour s’assurer qu’il avait reçu une formation adéquate.
Certains d’entre nous ont également reçu des mitrailleuses. Plus tard, on nous a remis des armes moins mortelles : du spray au poivre, des grenades flashbang. Vous l’avez deviné : personne n’a été testé pour voir s’il savait comment les utiliser correctement.
À quelle distance peut-on lancer une grenade flash ? Si l’on veut pulvériser du spray au poivre sur quelqu’un, où faut-il le faire ? Pendant combien de temps ? Personne ne le sait, car personne ne nous l’a dit.
Nous parlons de personnes qui n’ont pas accès à l’eau, et nous sommes prêts à leur pulvériser du spray au poivre dans le visage. Pourquoi ferions-nous cela ? Ils essaient simplement d’obtenir l’aide que nous sommes là pour leur apporter. Cela n’a aucun sens.
Ce n’était pas seulement un manque de formation au maniement des armes. Ceux d’entre nous qui ont déjà été déployés dans le cadre d’une mission militaire ont également suivi une formation sur la sensibilisation culturelle, ce qui est important lorsqu’il s’agit d’établir des liens avec la population civile.
Mais cette formation ne nous a pas été dispensée avant notre départ pour Gaza, même à ceux qui n’avaient jamais été déployés.
Et je ne parle même pas du fait que ces gars sont en manque de sommeil. Avant notre déploiement, on nous a dit que nous allions travailler par roulement de 12 heures, quatre jours de travail suivis de deux jours de repos. En réalité, nous avons parfois travaillé jusqu’à 20 heures par jour, sans aucun jour de repos.
On nous a dit que nous opérions dans le respect du droit international, mais on ne nous a jamais précisé quelles étaient ces lois ou ces directives. La seule consigne claire était que si vous ou ceux qui vous entourent vous sentez menacés, vous avez le droit de vous défendre.
Mais cela laissait beaucoup de zones d’ombre.
Vous avez donc des gars qui connaissent rien à rien, qui n’ont aucune expérience du déploiement et qui ne sont pas nécessairement qualifiés pour utiliser les armes dont ils ont la charge pour assurer la sécurité sur des sites d’aide humanitaire, dans un endroit où l’on sait que des millions de personnes ont désespérément besoin d’aide.
Qu’est-ce qui pourrait mal tourner ? Beaucoup de choses ont mal tourné.
Un chaos total
Le deuxième jour officiel de la mission, qui était aussi mon premier jour, nous avons été submergés ; c’était le chaos total. À l’entrée du site d’aide, les gens attendaient dans cinq files séparées par des barrières métalliques.

Une petite fille fait ses adieux à son père, assassiné par Israël alors qu’il distribuait de la nourriture à des personnes déplacées – Photo : Doaa Albaz / Activestills
Une file était strictement réservée aux femmes et aux enfants. Les quatre autres étaient réservées aux hommes, et on laissait entrer les gens par groupes de cinq, dix, vingt, selon nos capacités.
Il n’y avait aucune organisation, les gens étaient écrasés et piétinés. Finalement, il y avait tellement de monde dans les files que les portes ont cédé.
Nous avons reculé pour laisser les gens prendre l’aide. Ils n’ont jamais été agressifs à notre égard. Ils essayaient seulement d’obtenir de l’aide – une aide qui consistait, soit dit en passant, en farine, riz, lentilles, sachets de thé et nouilles, des choses qui nécessitent de l’eau.
Ils n’ont pas d’eau. Et nous ne distribuons pas d’eau.
Nous avons rapidement dû reculer à nouveau, vers un deuxième périmètre. À ce moment-là, certains membres du personnel ont commencé à tirer des coups de semonce en l’air.
Puis nous avons reculé une nouvelle fois. Alors que nous étions submergés, on nous a ordonné de faire sortir tout le monde, même ceux qui ramassaient encore des objets par terre.
Nous nous sommes tous mis en ligne et avons commencé à pousser ces gens dehors. Nous disions à des femmes en pleurs qui essayaient de ramasser de la nourriture pour leur famille qu’elles devaient partir.
Elles regardaient cette nourriture par terre dont elles avaient désespérément besoin, et elles ne pouvaient pas la prendre. C’était absolument horrible.
L’un des hommes, qui avait tiré le premier coup de semonce, a également été le premier que j’ai vu entrer en contact physique avec un Palestinien. Quelqu’un était penché pour ramasser des provisions et, sans hésiter, le mercenaire américain l’a jeté à terre.
On m’a dit plus tard que l’armée israélienne devait évacuer ces personnes parce qu’elle allait passer. Elle est rapidement arrivée avec des chars, comme pour assurer sa « sécurité », mais nous avions déjà fait sortir tout le monde.
L’idée que l’armée israélienne n’est pas impliquée est une connerie. Elle est très impliquée. Elle a des bureaux dans nos locaux. Nous partageons nos communications radio avec elle.
Les hauts responsables affirment que l’armée israélienne n’est pas impliquée, mais on a l’impression qu’elle tire les ficelles en coulisses. Bien sûr, elle n’est pas sur place avec nous, mais ses snipers et ses chars ne sont qu’à quelques centaines de mètres. On les entend tirer toute la journée.
Les conséquences du chaos ont été tout aussi notables. Pendant ces longues heures de travail, nous n’avons pas reçu de nourriture. On nous a donné une allocation pour acheter nos propres provisions en Israël, mais nous n’avions pas le temps de le faire, et encore moins de dormir. Certains d’entre nous mangeaient les vivres qui jonchaient le site.
Une aide qui sert de piège ?
Un épisode m’a particulièrement marqué. Nous surveillions un site désert toute la journée ; peu après la tombée de la nuit, des dizaines de camions à plateau sont enfin arrivés avec de l’aide.
L’armée israélienne a rapidement signalé par radio que 200 à 300 civils se dirigeaient vers le site, à quelques kilomètres au nord. Nous avons alors vu un drone israélien se diriger vers eux.
Peu après, cette zone a commencé à être illuminée par des tirs d’artillerie.
L’interprétation la plus favorable ? Peut-être que les Israéliens tiraient entre notre position et les gens afin de les empêcher d’avancer. Je ne pense pas que ce soit le cas.
Après tout, les chars tirent toute la journée près de ces sites d’aide humanitaire. Des snipers tirent depuis ce qui était autrefois un hôpital. Des bombes et des balles volent toute la journée dans une seule direction : vers les Palestiniens.
Nous savons que l’armée israélienne impose des couvre-feux dans certaines parties de Gaza. Je ne serais pas surpris que l’aide ait été livrée délibérément pendant la nuit, car cela aurait attiré les gens dehors, qui auraient alors pu être pris pour des combattants et être abattus, même s’ils ne l’étaient pas.
Il est très clair que l’armée israélienne saisira toutes les occasions qui se présenteront pour tirer.
Les gens doivent parfois parcourir des kilomètres pour se rendre sur les lieux, ce qui signifie traverser des zones contrôlées par Israël. L’armée saisit la moindre excuse pour déclarer qu’une personne représente une menace.
Il n’y a pratiquement pas de médias internationaux dans ces zones, et l’Occident ne veut pas vraiment croire les médias palestiniens, ce qui fait que la vérité elle-même devient floue.
Pendant tout ce temps, tout ce que j’ai entendu toute la journée, ce sont des chars israéliens, des mitrailleuses, des snipers et des bombes.
Mais jamais aucun tir provenant de la direction opposée.
Au début, lorsque nous avons commencé à distribuer l’aide, c’était vraiment réconfortant. J’avais envie de pleurer. Les Palestiniens nous disaient « merci » et « j’aime l’Amérique ».
Mais cela n’a pas duré.
Je tiens à être clair : je suis arrivé ici avec un esprit très ouvert. Je ne prends pas parti. Je déteste la souffrance humaine et je déteste qu’elle existe. J’espérais simplement être utile. Mais je ne pense pas que ce soit le cas.
Ce que nous faisons, nous, les entreprises américaines et le personnel contractuel, conduit directement à davantage de douleur, de souffrance et de mort pour les Palestiniens de Gaza.
Auteur : Zeteo
* Zeteo a été fondé par Mehdi Hasan, journaliste primé, auteur à succès et provocateur en tout genre. Zeteo – qui vient du grec ancien signifiant « rechercher » et « s'efforcer » – est un nouveau média, sans filtre et indépendant, qui cherche des réponses aux questions qui comptent vraiment, tout en recherchant toujours la vérité.
12 juin 2025 – Zeteo – Traduction : Chronique de Palestine
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