Damas ne peut tolérer l’installation d’un “Émirat” pro-américain à sa frontière sud

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Par Abdel Bari Atwan

Les rapports faisant été d’une importante mobilisation militaire syrienne le long de la route internationale reliant Damas à Deraa indiquent que la prochaine grande bataille en Syrie sera sur le front sud, visant à rétablir le contrôle sur l’ensemble de la plaine Hawran, à réouvrir le passage frontalier avec la Jordanie et à réaffirmer la souveraineté de l’État syrien sur la zone par la force, quelles qu’en soient les conséquences.

Les groupes armés actifs dans la région, notamment les forces tribales stationnées le long de la frontière jordanienne, ont décrété un état d’alerte maximale après que le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, lors d’une conférence de presse avec son homologue jordanien Ayman Safadi à Sotchi, a déclaré que es manœuvres occidentales à la zone frontalière était en violation des accords de désescalade. Il a laissé entendre qu’une bataille pourrait être imminente visant à éliminer ces groupes et à mettre fin à leur contrôle de la région.

Cette escalade a coïncidé avec un certain nombre de développements sur le front sud, notamment la conclusion des manœuvres militaires de trois semaines du Eager Lion du côté jordanien de la frontière – impliquant des troupes de 17 pays sous supervision américaine – et la visite à Amman du nouveau secrétaire d’État américain, Mike Pompeo. Tout ceci s’est produit au milieu des fuites à destination des médias concernant un plan américain d’établir trois nouvelles entités sur le territoire syrien: une entité kurde dans le nord-est (y compris al-Hasaka, al-Qamishli et Ain Arab), une tribu sunnite le long de la rive orientale de l’Euphrate jusqu’aux réserves de pétrole et de gaz de l’est de Dair az-Zour, et un troisième fief dans le sud, comprenant Quneitra, Suweida et Deraa.

Pour faciliter la création de ces enclaves, les États-Unis ont établi des bases et des zones militaires pour leurs forces en Syrie – au nord-est de l’ancienne capitale de l’État islamique (Al) – Raqqa et dans un rayon de 55 kilomètres autour d’al-Tanaf, près de la frontière jordanienne – tout en fournissant des armes sophistiquées aux Forces démocratiques syriennes kurdes (SDF) et à l’armée tribale méridionale parrainée par la Jordanie. Ces armements incluent de l’artillerie, des véhicules blindés, des véhicules à quatre roues motrices et des missiles antichars TOW.

M. Safadi a déclaré lors de la conférence de presse de Sotchi que la Jordanie craignait que les accords de cessez-le-feu et de désescalade puissent être gelés et a souligné que personne n’avait d’intérêt à l’escalade. Mais avec l’armée américaine empêchant l’armée syrienne et ses alliés des milices d’approcher al-Tanaf et les réserves de pétrole et de gaz, et l’armée syrienne tentant de contester cet état de faits et de restaurer la souveraineté sur cette zone sensible et stratégiquement importante, les cartes pourraient être remaniées. Cela laisserait la Jordanie dans une position très délicate.

Les États-Unis adhèrent maintenant à l’exigence israélienne d’empêcher le gouvernement syrien et/ou les forces alliées iraniennes et du Hezbollah d’établir une présence sur le front sud ou près des hauteurs du Golan occupées. Mais cela ne signifie pas que les Syriens et leurs alliés russes et iraniens refuseront la bataille, après leur succès dans la récupération de la Ghouta orientale, et auparavant Alep, Palmyre, Deir az-Zour et beaucoup d’autres villes syriennes.

L’armée syrienne ne peut accepter la création d’un “Émirat de Hawran” dans le sud et une séparation à long terme de la frontière du pays avec la Jordanie – sa principale voie d’exportation terrestre vers le monde arabe – qui serait un énorme recul stratégique, politique et économique. Ce n’est qu’une question de priorités en ce qui concerne le commandement militaire syrien, et celui-ci est fermement convaincu que le moment est maintenant venu de se tourner vers le sud – même si cela signifie affronter l’armée israélienne et peut-être aussi les forces américaines, en plus des factions armées soutenues par Israël.

En définitive, l’armée syrienne ne fait qu’opérer sur son propre territoire dans le but de sécuriser les frontières du pays.

La question posée par les analystes qui suivent de près ces développements, est de savoir quelle sera la position du gouvernement jordanien et quel rôle il pourrait jouer, même à contrecœur, si le cessez-le-feu s’effondrait et que la guerre éclatait près de ses frontières septentrionales.

Jusqu’à présent, le gouvernement s’est contenté de multiplier les dénégations. Son porte-parole officiel, Muhammad al-Moumani, a été occupé à publier des déclarations ces derniers jours, pour nier que les missiles “non identifiés” qui ont récemment ciblé des sites militaires à Hama et Homs ont été lancés depuis le territoire jordanien.

La raison est que la réponse jordanienne à la demande du président américain Donald Trump d’envoyer des forces en Syrie pour remplacer les troupes américaines ou de se battre à leurs côtés pour créer les enclaves pour les kurdes, les tribus sunnites et Hawrani, se fait attendre. L’Arabie Saoudite a répondu positivement à la demande de Trump, l’Égypte a accepté et ensuite refusé, et le Qatar a donné sa bénédiction. Mais la Jordanie n’a pas donné sa position réelle, bien que l’opinion prépondérante est qu’elle cédera, car elle ne peut pas dire “non” aux Américains étant donné ses difficultés économiques et la coupure de l’aide financière du Golfe destinée la Jordanie (et sa dépendance à présent accrue envers les États-Unis). De plus, les États-Unis investissent lourdement sur les forces spéciales hautement qualifiées de la Jordanie.

La Jordanie sera l’un des plus grands perdants si la guerre éclate dans le sud de la Syrie. Même si elle n’est pas directement impliquée – ce qui est très improbable, car la neutralité sera impossible – elle peut s’attendre à un afflux de dizaines de milliers de réfugiés au moins. L’opinion publique jordanienne est également devenue de plus en plus favorable à l’axe russo-syrien-iranien et hostile aux États-Unis, surtout après le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem occupée par Trump et la nature des plans américains de démembrement de la Syrie.

Il serait logique que la Jordanie se dissocie de ces plans et de la déstabilisation supplémentaire qu’ils entraîneront en Syrie et dans toute la région. De tels plans ont été tentés depuis sept ans, et nous avons vu plusieurs des pays impliqués – le Qatar et peut-être aussi l’Arabie Saoudite – s’en laver les mains après que l’armée syrienne ait démontré une capacité extraordinaire, contrairement à leurs attentes, à résister et se mobiliser rapidement, et à récupérer la plus grande partie du territoire du pays. La tentative actuelle des États-Unis pour relancer ses projets de déstabilisation n’a pas de chance raisonnable de réussir.

Les autorités jordaniennes seraient bien avisées d’empêcher les flammes du feu imminent dans le sud de la Syrie de brûler leurs propres vêtements très combustibles. L’existence, la sécurité et la stabilité de la Jordanie dépendent de ses “zéro problèmes” avec ses voisins arabes et d’une distance maximum des politiques américaines, en particulier des politiques racistes et agressives menées par l’administration Trump, qui soumettent tous les Arabes et musulmans à l’extorsion de fonds, et ne perçoivent le Moyen-Orient et le monde islamique qu’avec les yeux de l’arrogance israélienne.

A1 * Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan

7 mai 2018 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine