L’Iran et le nucléaire : de la propagande à la réalité

Photo : site officiel présidence iranienne
6 mai 2018 - Rassemblement à Sabzevar à l'occasion d'une visite du président Rouhani - Photo : site officiel présidence iranienne

Par Mersiha Gadzo

Le journaliste d’investigation Gareth Porter dissipe les mythes qui entourent le programme nucléaire iranien.

« L’Iran progresse ‘rapidement’ vers la production d’une bombe nucléaire et pourrait avoir une arme nucléaire dans les deux années qui viennent » avait annoncé The United Press International.

Cette phrase est extraite d’un article de 1984 intitulé « La bombe de l’ayatollah est produite en Iran », mais elle aurait aussi bien pu être écrite aujourd’hui.

Depuis plus de trois décennies, les politiciens et la presse en Occident prétendent que l’Iran est une menace nucléaire.

Les dirigeants israéliens Benjamin Netanyahu et Shimon Peres l’ont martelé à de nombreuses reprises dans les années 1990, anxieux d’alerter le monde entier sur le fait que l’Iran aurait construit une bombe atomique dans les 10 ans.

À l’automne 2012, Netanyahu a déclaré lors de la réunion de l’Assemblée générale des Nations-Unies – à l’aide de son ridicule croquis de bombe – que l’Iran serait en mesure de construire une arme nucléaire avant juin 2013.

Au mois d’octobre suivant, l’ancien président américain Barack Obama a pris la suite, en reportant l’échéance à l’année d’après.

Plus récemment, au début du mois, la presse a rapporté que Yossi Cohen, le chef de l’agence de renseignement du Mossad d’Israël, avait déclaré qu’il était “100 % certain” que l’Iran cherchait à fabriquer une arme nucléaire.

Pourtant, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a publié huit déclarations au fil des ans confirmant que Téhéran respecte pleinement ses engagements nucléaires.

En juillet 2015, un accord nucléaire historique connu sous le nom de Plan d’action global conjoint (JCPOA) a été conclu entre l’Iran et les pays du P5+1 : La Chine, la France, la Russie, le Royaume-Uni, les États-Unis et l’Allemagne, au titre duquel l’Iran a accepté de limiter son programme nucléaire pour mettre fin à des décennies de sanctions à l’encontre du pays.

Comme l’Iran a prouvé qu’il respectait ses engagements, le président américain Donald Trump a trouvé un autre problème, le programme de missiles balistiques de l’Iran, et il a menacé de sortir de l’accord nucléaire, qu’il a qualifié de “pire accord de tous les temps”.

Alors qu’en est-il ? L’Iran représente-t-il vraiment une menace nucléaire ?

Al Jazeera a posé la question à Gareth Porter, historien, journaliste d’investigation et auteur de Manufactured Crisis : The Untold Story of the Iran Nuclear Scare. Cela fait plus de 10 ans qu’il suit de près la question.

Al Jazeera : Au début du mois, nous avons entendu le chef du Mossad nous dire que l’Iran prévoit de construire une bombe nucléaire. Vous avez prouvé de mille manières que l’Iran n’est pas une menace. Quels sont les preuves les plus importantes que vous avez trouvées?

Gareth Porter : Je pense que les preuves écrites les plus importantes sont les documents qu’on appelle “les documents du portable volé”. Il s’agissait de soi-disant documents [sortis clandestinement d’Iran] d’un programme iranien secret de recherche sur les armes nucléaires du début des années 2000, mais j’ai pu démontrer dans mon livre que ces documents avaient en fait été transmis aux services de renseignement occidentaux par les moudjahidin-e-Khalq (MEK), qui étaient des ennemis jurés du régime.

Les MEK ont longtemps été considérés comme une organisation terroriste et, de plus, ils travaillaient main dans la main avec le Mossad israélien pendant la période où ces documents sont apparus.

Les Israéliens avaient tout à la fois le mobile et les moyens de fabriquer ces documents. Le Mossad avait créé un programme spécial pour diffuser des « informations » sur le programme nucléaire iranien à d’autres gouvernements et aux médias du monde entier en 2003. C’est à ce moment-là que ces documents auraient fait surface.

Il y a de multiples indications que ces documents sont des faux – notamment les croquis illustrant diverses tentatives pour fabriquer une arme nucléaire à partir du missile iranien Shahab 3.

Ces croquis reproduisent en fait la mauvaise tête de missile. Il s’agit d’une tête de missile que les Iraniens avaient déjà abandonnée au moment où ces croquis sont censés avoir vu le jour. C’est la meilleure preuve que nous avons que ces documents n’étaient pas authentiques ; c’était des faux.

Al Jazeera : Vous avez dit que pour comprendre la politique iranienne sur les armes nucléaires, il faut se reporter à l’épisode de sa guerre avec l’Irak (1980-1988). Qu’entendez-vous par là?

Porter : Pendant les huit années de la guerre Iran-Irak, les forces armées irakiennes ont utilisé des armes chimiques contre des cibles militaires et civiles en Iran, ce qui a causé, si je me souviens bien, des dizaines de milliers de morts et 110 000 blessés graves parmi les Iraniens.

L’IRGC (le Corps des gardiens de la Révolution iraniens), chargé de la défense de l’Iran contre l’attaque irakienne, voulait que l’Ayatollah Khomeini accepte de fabriquer non seulement des armes chimiques et biologiques mais aussi des armes nucléaires, pour pouvoir riposter ou au moins dissuader l’Irak d’utiliser des armes de destruction massive.

Il y avait des Iraniens au début de la guerre… qui espéraient que Khomeini changerait d’avis, et d’autres à la fin de la guerre; et la raison qu’il a donnée pour refuser de le faire dans les deux cas est très simple – Il a déclaré que l’Iran ne pouvait pas posséder ou utiliser d’armes de destruction massive parce que c’était illégal, illicite selon le Coran.

Il était responsable de l’application de la loi religieuse dans les politiques et les lois de la République islamique d’Iran. C’est un argument extrêmement important et extrêmement convaincant et qui prouvait le sérieux du refus iranien d’avoir un programme d’armes nucléaires… Il n’y a aucune preuve que l’Iran ait jamais eu un véritable programme de recherche sur les armes nucléaires.

Al Jazeera : Nous avons vu au fil des ans que l’Iran s’est montré coopératif en ce qui concerne son programme nucléaire. Mais il est quand même sans cesse l’objet de nouvelles accusations. Cette fois, les États-Unis et leurs alliés s’inquiètent du programme de missiles balistiques de l’Iran. Pourquoi sont-ils obsédés par le programme iranien alors que d’autres pays ont également des programmes de missiles balistiques ? Avons-nous vu des preuves crédibles que l’Iran est une menace plus grande que les autres ?

Porter : Il est absolument clair que l’Iran a davantage utilisé les missiles balistiques comme moyen de dissuasion que tout autre État du Moyen-Orient parce qu’il n’a pas de force aérienne. Il n’a pas de chasseurs à réaction ni de chasseurs-bombardiers qui pourraient larguer des armes conventionnelles en représailles à une attaque contre l’Iran. C’est le cas depuis la création de la République islamique d’Iran en 1979.

Les autres grands acteurs du Moyen-Orient, Israël et l’Arabie saoudite, possèdent tous les deux des missiles balistiques capables de frapper l’Iran. Il s’agit clairement d’une force de dissuasion pour l’Iran. C’est une question de légitime défense. Et je pense que la position que les États-Unis ont adoptée n’a rien à voir avec la réalité de la situation ; ce sont des considérations de politique politicienne qui déterminent – tant au plan international que national – la position du gouvernement américain – non seulement sous Trump, mais aussi sous George W Bush et Obama.

Al Jazeera : Certains disent que l’Iran est une menace parce que ses dirigeants auraient déclaré que leur objectif est de détruire Israël. Dans quelle mesure ces allégations sont-elles crédibles ?

Porter : Les Iraniens n’ont jamais menacé d’attaquer Israël. Ce qu’ils ont dit, c’est qu’Israël devrait cesser d’exister en tant qu’État dans lequel seuls les Juifs ont tous les droits, tout comme l’Afrique du Sud a dû cesser d’exister en tant qu’État d’apartheid. C’est la même position que celle des défenseurs des droits des Palestiniens du monde entier.

* Mersiha Gadzo est journaliste et productrice en ligne pour Al Jazeera English. Avant de rejoindre Al Jazeera, elle travaillait en tant que journaliste freelance en Bosnie-Herzégovine et dans les territoires palestiniens occupés.


23 avril 2018 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet