Une approche arabe commune pour combattre la violence

Ramzy Baroud
Le Dr Ramzy Baroud est chroniqueur international, consultant en médias, auteur de plusieurs livres et le fondateur du Palestine Chronical

Par Ramzy Baroud

La seule façon de lutter contre le « terrorisme » dans la région est de construire une vision commune qui transcende le tribalisme et le sectarisme.

À peine six semaines après les attaques mortelles du 11 septembre 2001, le Congrès des États-Unis a adopté une loi épouvantable, le Patriot Act des États-Unis, qui a confié au gouvernement américain sous la conduite du président George W. Bush, un large mandat pour réduire les libertés civiles et conduire des programmes de surveillance à l’encontre du public américain.

Cela a été fait au nom de la “guerre contre le terrorisme” menée par l’Amérique. Toujours ébranlé par les contrecoups d’une attaque qui a coûté la vie à des milliers d’entre eux, les Américains, volontairement ou involontairement, ont consenti à ces mesures draconiennes.

Mais les choses ne s’en sont pas arrêtées là. Cette loi a été ensuite mise à jour, devenant ce qui a été appelé le Patriot Act II, décrit par l’Union américaine des libertés civiles (ACLU) comme «une autre initiative glaçante des autorités avec une diminution accrue des contrôles et des équilibres constitutionnels sur l’application de la loi».

Avec le temps et une incessante propagande médiatique, les lois américaines qui prétendaient lutter contre le terrorisme ont été acceptées par les citoyens américains comme un mal nécessaire, où la liberté personnelle doit être sacrifiée sur l’autel de la sécurité nationale.

Non seulement les attentats du 11 septembre n’ont suscité aucun débat national sur la politique étrangère des Etats-Unis, mais la «guerre contre le terrorisme» à l’échelle mondiale a relancé les aventures militaires américaines et, sans surprise, la réaction violente qui va de pair avec ces interventions.

Pour que le «terrorisme» soit utile en tant qu’opportunité politique, il a été transformé d’un phénomène rationnel qui mérite d’être étudié et confronté d’une manière saine et judicieuse, en un épouvantail à brandir chaque fois qu’il est nécessaire de justifier des politiques inavouées et de promouvoir des programmes de guerre.

La manipulation autour du terme de «terrorisme» a rapidement dépassé les limites des discours politiques et médiatiques américains pour s’imposer malheureusement dans d’autres contextes politiques, en Europe, au Moyen-Orient et ailleurs.

En réalité, le terrorisme n’est plus défini comme «l’utilisation de la violence ou de la menace de violence, en particulier contre les civils dans la poursuite d’objectifs politiques, religieux ou idéologiques». Il s’est transformé en tout autre chose.

C’est ce que souhaitaient les États-Unis, Israël, la France, la Grande-Bretagne, l’Égypte et d’autres gouvernements arabes autoritaires afin de justifier leurs guerres et l’oppression à grande échelle de leurs nations. Ils pratiquent souvent directement ou indirectement le terrorisme par le biais du financement ou de la tolérance d’une violence qui sert leurs objectifs.

Le discours sur le terrorisme a été réduit à un tel point qu’il y a peu ou pas d’espace dans les médias dominants pour toute autre opinion de la façon de le combattre. Ceux qui contestent la définition dominante sont exclus en tant que «sympathisants terroristes et anti-américains».

C’est l’attitude qui prévaut, bien qu’il soit aujourd’hui évident que les guerres, les interventions étrangères et l’occupation militaire ont servi d’instigations majeures à la violence.

Le travail de recherche mené à l’Université de Chicago par Robert Pape, fondateur du «Projet de Chicago sur la sécurité et le terrorisme», a examiné tous les attentats-suicides de 1980 à 2003. Sa conclusion était des plus révélatrices : la religion a peu à voir avec cette violence.

Qu’en est-il, au juste ?

Selon Pape:

“Ce que 95% de toutes les attaques suicidaires ont en commun, depuis 1980, n’est pas une religion, mais une motivation stratégique spécifique pour répondre à une intervention militaire, souvent plus précisément une occupation militaire d’un territoire que les terroristes considèrent comme leur patrie ou auquel ils attachent une grande valeur. Du Liban et de la Cisjordanie dans les années 80 et 90, en Irak et en Afghanistan, et à travers les attentats suicides de Paris que nous venons de voir ces derniers jours, l’intervention militaire – et spécifiquement lorsque cette intervention militaire occupe un territoire – est ce qui suscite l’attaque-suicide plus que toute autre chose”.

De telles conclusions – basées sur l’examen de 4600 attaques-suicides – n’ont eu aucune influence sur la politique étrangère des États-Unis.

Dans un récent article publié sur Al-Jazeera, Andrew Mitrovica “nous a rappelé les mots de Jeremy Corbyn, premier dirigeant du Parti travailliste britannique. Corbyn était l’un de ceux qui ont, avec courage, défié l’horrible rôle joué par son pays dans la guerre en Irak à partir de mars 2003.

En effet, un mois avant cette guerre, en février 2003, Corbyn avait déclaré qu’une guerre contre l’Irak “déclencherait une spirale de conflit, de haine, de misère, de désespoir qui alimentera les guerres, les conflits, le terrorisme, la dépression, et la misère des générations futures”.

“La façon de nous libérer du fléau de la guerre est de nous libérer du fléau de l’injustice, de la pauvreté et de la misère”, avait déclaré à Corbyn, alors député travailliste, devant une foule d’un million de personnes réunies à Hyde Park à Londres pour protester contre la guerre imminente.

Dans une sinistre alliance avec George W. Bush, Tony Blair, Premier ministre britannique à l’époque, n’en a pas tenu compte, et pas plus que d’autres appels. Une alliance principalement américaine et britannique a largement détruit l’Irak dans une guerre génocidaire qui a entraîné la mort de millions de personnes et la déstabilisation de toute la région du Moyen-Orient jusqu’à ce jour.


Enemy of Enemies: The Rise of ISIL (Part 1)

Voguant sur la vague de peur et d’insécurité qui a frappé récemment la Grande-Bretagne après les attaques mortelles à Manchester et à Westminster, le Premier ministre Theresa May a promis de “déchirer” les lois sur les Droits de l’homme pour faciliter la lutte du gouvernement contre le terrorisme.

Quiconque n’est pas d’accord est automatiquement traité «d’amoureux du terrorisme» ou quelque chose d’approchant, ce dont Corbyn a récemment été accusé.

Hélas, pour l’instant, le terrorisme doit rester précisément ce dont les pouvoirs dominants ont besoin pour atteindre leurs objectifs militaires, politiques et stratégiques, chez eux et à l’étranger.

Comme s’il était gouverné par des intérêts économiques, le terrorisme est devenu un épouvantail commode, utilisé sans aucune gêne dans les litiges politiques et régionaux, pour exclure un dirigeant, isoler un pays ou déclencher une guerre. Dans tous les cas, aucune preuve n’est requise, aucune preuve n’est nécessaire.

Israël a déjà perfectionné l’exploitation du terme pour faire oublier son occupation militaire illégale et ses terribles violences contre les Palestiniens. À l’instar des États-Unis, il lance l’accusation contre quiconque ou toute entité qui conteste le comportement d’Israël ou les violations du droit international.

A présent, les pays arabes utilisent le terme ad nauseam. Beaucoup de ceux qui ont utilisé la terreur contre leur propre peuple, ou financé le terrorisme ailleurs, n’hésitent pas à accuser d’autres personnes de terrorisme.

De façon tout à fait attendue, l’invasion de l’Irak, qui a été vendue comme un moyen de lutter contre le terrorisme, a entraîné toute une série de phénomènes violents dont la présence destructrice se fait sentir en grande partie en Syrie mais aussi dans d’autres pays de la région et du monde.

Beaucoup veulent isoler ces événements violents afin de dissimuler les liens évidents entre la violence d’aujourd’hui et les guerres illégales d’hier.

Ne pas voir de tels liens, cependant, n’est pas seulement intellectuellement condamnable mais c’est aussi dangereux. Comment résoudre un problème sans en traiter les racines ?

Le Washington Post, parmi d’autres sources d’information dominantes, a parlé de la nécessité d’examiner les racines de l’État islamique, mais pas nécessairement comme un moyen d’accepter une quelconque responsabilité morale.

“Le profil connu des djihadistes étrangers obscurcit souvent les racines de l’État islamique dans l’histoire sanglante de l’Irak, ses excès brutaux étant autant un symptôme qu’une cause des malheurs du pays”, a écrit Liz Sly en 2015.

D’autres écrivains ont partagé ce point de vue, mais une grande partie du discours visait simplement à relier la brutalité de l’État islamique et le régime Baath sous Saddam Hussein.

Depuis lors, cette discussion a peu servi à résoudre les problèmes actuels en les plaçant dans un contexte historique récent.

Mais les Arabes ne peuvent attendre un éveil moral de l’Occident. À en juger par une longue histoire constellée de colonialisme, d’exploitation et d’absence de remords, cette attente risquerait d’être bien longue.

Alors que les États-Unis et leurs alliés occidentaux doivent avoir le courage d’affronter leur propre responsabilité dans la région, le monde arabe doit construire une vision partagée qui dépasse le déplorable tribalisme sectaire, facile à manipuler et à tromper.

Cette vision partagée ne manque pas en raison d’une pénurie d’intellectuels, mais parce que ces intellectuels ont été cooptés ou marginalisés.

La région qui a donné naissance à des personnalités comme Michel Aflaq, George Habash, Rached al-Ghannouchi, Edward Said et beaucoup d’autres, a systématiquement muselé ses intellectuels.

Les visionnaires arabes ont été cooptés par les fonds exubérants alloués à la propagande sectaire, ou ont été réduits au silence par la peur de représailles, ou sont simplement incapables d’articuler une vision collective qui transcende leurs sectes, leurs religions ou toute autre allégeance politique.

Ce vide créé par l’absence d’intellectuels arabes a été rempli par des voix extrémistes qui défendent sans relâche un avenir génocidaire pour tous.

Il y a eu des moments où les intellectuels arabes se sont battus pour articuler un discours unifié – une combinaison d’idéologies nationalistes, socialistes et islamiques qui ont eu un impact formidable sur l’individu et le collectif arabes.

Mais aujourd’hui, il existe un vide intellectuel grandissant qui a permis à des organisations comme l’État islamique, al-Qaïda et d’autres de remplir le vide avec leurs objectifs.

Certes, leurs projets sont sombres et horribles, mais ce sont des résultats rationnels à un moment où les sociétés arabes vivent dans le désespoir, quand les interventions étrangères sont en cours, et quand aucun mouvement intellectuel local n’existe qui puisse offrir aux nations arabes une vision vers un avenir sans tyrannie et sans occupation étrangère.

Même lorsque l’État islamique sera vaincu sur le terrain, son idéologie ne disparaîtra pas. Elle va se métamorphoser car l’État islamique est lui-même le résultat d’une mutation de diverses autres idéologies extrémistes.

Pourtant, seuls les Arabes sont capables de vaincre l’État islamique et ses semblables, par la formulation d’une vraie vision qui repose sur l’unité et qui soit inspirée par leur quête de la liberté.

L’alternative serait que l’intervention étrangère et l’extrémisme, se nourrissant l’un l’autre, ne s’étendent, ne se transforment et ne détruisent les chances d’une paix et d’une stabilité mondiales possibles.

22 juin 2017 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah