Le Tribunal de Gaza condamne le génocide israélien et appelle à une action mondiale

29 octobre 2025 - Mahmoud Shakshak pleure la mort de son fils de cinq ans, Fadi, tué lors des frappes aériennes israéliennes de la nuit dernière, à l'hôpital Al Shifa de Gaza. Sa fille, Sarah, a également été tuée. Selon le ministère palestinien de la Santé à Gaza, au moins 110 Palestiniens ont été tués et plusieurs autres blessés depuis hier à la suite de la reprise des frappes aériennes israéliennes dans la bande de Gaza - Photo : Yousef Zaanoun / Activestills

Par Romana Rubeo

Le jugement final du Tribunal de Gaza qualifie le comportement d’Israël à Gaza de génocide, condamne l’inaction mondiale et affirme le devoir de la société civile d’agir là où les États se dérobent.

Le Tribunal populaire de Gaza, initiative internationale de la société civile composé de juristes, d’universitaires et de défenseurs des droits humains, a conclu qu’Israël commettait un génocide contre le peuple palestinien dans la bande de Gaza.

L’annonce a été faite dimanche à l’université d’Istanbul, où le tribunal a rendu son verdict final et son jugement moral après quatre jours d’audiences publiques. La procédure a marqué l’aboutissement d’un processus d’un an qui a débuté à Londres en novembre 2024 et s’est poursuivi à Sarajevo au début de cette année.

Le jury était dirigé par la professeure Christine Chinkin, spécialiste en droit international, et était présidé par Richard Falk, ancien rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l’homme en Palestine.

Les jurés provenant de plusieurs continents ont examiné les témoignages de témoins, d’experts juridiques, et de survivants.

Selon le jury, les preuves présentées au cours des sessions montrent un schéma « cohérent et constant de violence exterminatrice » contre la population civile de Gaza, commise au travers de la destruction délibérée de la vie, des infrastructures, et de l’identité culturelle.

Un Tribunal de la conscience

Dans sa déclaration finale, le jury a déclaré qu’il ne s’exprimait pas avec une autorité d’état mais en tant que témoin moral face à l’inaction internationale. Guidés par la conscience et s’appuyant sur le droit international, les jurés ont déclaré que « lorsque le droit est muselé par le pouvoir, la conscience doit devenir l’ultime tribunal.

Ils ont qualifié l’initiative de réponse de la société civile face à l’incapacité persistante de la communauté internationale à demander des comptes à Israël. « Le génocide à Gaza concerne l’humanité tout entière » ont-ils déclaré. « Lorsque les états se taisent, la société civile doit s’exprimer. »

Le Tribunal a souligné qu’il avait rassemblé une vaste documentation – récits de témoins oculaires, analyses de spécialistes, et documents juridiques – qui constituent désormais des archives permanentes de la vérité de ce qu’il a qualifié de « génocide à l’encontre du peuple palestinien. »

Au-delà du récit humanitaire

Les jurés ont exprimé leur solidarité avec les actions mondiales de protestation et avec la résistance civile, notamment les rassemblements, les campements, les flottilles, et les grèves, décrivant ces efforts comme des expressions de la conscience dans un monde où les institutions se sont dérobées.

Ils ont rejeté la définition de la destruction de Gaza comme étant un simple désastre humanitaire, la nommant au contraire de « perpétration délibérée du plus grave des crimes aux conséquences les plus funestes. »

Tout au long des audiences, le jury a entendu les témoignages non seulement sur les crimes commis par Israël et la complicité d’autres états mais aussi sur « la courageuse résistance et la résilience des Palestiniens et de la société civile mondiale. »

Le Tribunal a déclaré qu’une telle ténacité – qu’elle se manifeste par la survie, par la solidarité communautaire, ou l’organisation politique – demeure partie intégrante de la lutte palestinienne contre le génocide et la dépossession.

Crimes de génocide

Le Tribunal a conclu que les actions d’Israël à Gaza constituent un génocide toujours en cours qui n’a ni commencé en octobre 2023 ni ne prendra fin avec le cessez-le-feu.

Il a prévenu que les morts et les graves blessures physiques « vont continuer » et que « le traumatisme des survivants se transmettra de génération en génération.

Le jury a identifié une série de crimes spécifiques qui forment la structure du génocide. Parmi lesquels :

  • La faim et la famine causées par la privation délibérée de nourriture et la destruction systématique du système alimentaire de Gaza ;
  • Le domicide, ou la destruction des habitations, des communautés, et de la mémoire culturelle, mènant à la désintégration de la société ;
  • L’écocide, défini comme l’endommagement irrémédiable de la terre, de l’air et de l’eau, et la destruction de l’environnement de Gaza et de son potentiel agricole ;
  • Le médicide, ou ciblage systématique du système de santé – hôpitaux, cliniques et leur personnel – depuis des décennies et maintenant presque totalement détruit ;
  • Le reprocide, ou ciblage de la santé reproductive et l’empêchement des naissances dans le but d’éliminer les générations futures ;
  • Le scolasticide, ou la destruction du savoir par l’assassinat et le déplacement des étudiants et des enseignants et l’anéantissement des écoles et des universités ;
  • Les attaques contre les journalistes qui informent sur la guerre ;
  • La torture, la violence sexuelle, les disparitions, et la violence basée sur le genre en détention et lors des déplacements ;
  • Et le politicide, l’assassinat et l’enlèvement de dirigeants politiques, culturels et locaux.

Selon la déclaration, ces actes pris ensemble révèlent « un schéma cohérent et constant de violence exterminatrice » englobant les habitations, les hôpitaux, les écoles, les institutions culturelles et les écosystèmes naturels.

« L’utilisation de la faim, du refus de soins, et du déplacement forcé comme armes de guerre » poursuit-elle, ne sont pas des dommages collatéraux de guerre. Ce sont des instruments de punition collective et de génocide.

Complicité et défaillance mondiales

Le Tribunal a jugé que les gouvernements occidentaux – notamment celui des États-Unis – sont non seulement complices mais, dans certains cas, coopèrent activement au génocide en fournissant des armes, des renseignements, et une couverture diplomatique.

De tels agissements, a-t-il déclaré, constituent une violation de l’obligation légale de prévenir le génocide et de contribuer à mettre fin au non-respect du droit international.

Le jury a également souligné le rôle joué par les acteurs non-étatiques, citant les organes médiatiques, les institutions universitaires, les multinationales, et les entreprises de technologie qui contribuent à soutenir la campagne israélienne.

Les reportages partiaux des médias occidentaux, selon lui, se conforment aux intérêts politiques et économiques des élites dirigeantes.

Les universités au travers d’investissements et du silence institutionnel, participent à la normalisation, tandis que le personnel et les étudiants qui s’expriment en défense de la Palestine sont punis.

Les entreprises et les institutions financières assurent le maintien des « chaînes d’approvisionnement du génocide grâce à la production d’armes, aux services bancaires, à la logistique et aux infrastructures numériques.

Le Tribunal a décrit le secteur technologique comme pourvoyeur de « la puissance informatique nécessaire au génocide » rendant possible la surveillance, le ciblage et le contrôle de l’information.

Le jury a conclu que l’imbrication de ces systèmes forme ce qu’il a qualifié « d’économie politique du génocide – la forme la plus avancée de l’hyper-impérialisme du 21ième siècle. »

La déclaration a condamné la paralysie du système international, en particulier du Conseil de Sécurité de l’ONU, dont le droit de véto a, selon elle, mené à « l’abdication de ses responsabilités fondatrices à savoir préserver des générations successives du fléau de la guerre. »

Le jury a, toutefois, loué le travail des procédures spéciales du Conseil des Droits Humains de l’ONU, notamment celui de la Commission d’Enquête et de la Rapporteure spéciale sur les Territoires palestiniens occupés, Francesca Albanese, pour l’affirmation de la réalité du génocide en dépit des pressions politiques.

Causes profondes et contexte

Selon le Tribunal, le génocide à Gaza ne peut être compris hors du contexte plus large d’un projet colonial de peuplement vieux d’un siècle.

Les jurés l’ont décrit comme « le dernier stade en date d’un système enraciné dans l’idéologie sioniste – projet suprémaciste et raciste visant à déposséder et supprimer le peuple palestinien, avec le soutien d’une structure de pouvoir néocoloniale menée par les États-Unis et ses alliés.

Le Tribunal a noté que le génocide est exécuté dans un territoire fermé contre une population captive à l’aide d’une technologie de pointe et d’une surveillance en temps réel. Malgré les tentatives d’Israël d’empêcher leur documentation, les crimes sont « bien visibles en temps réel. »

Il a aussi constaté que les procédures judiciaires internationales – telles que celles initiées par l’Afrique du Sud près de la Cour Internationale de justice et les enquêtes de la Cour Pénale Internationale – se sont heurtées à la défiance et à l’impunité.

Au lieu de sanctionner Israël, les États-Unis ont ciblé le personnel de la CPI et les ONG qui assistent la Cour, sapant encore davantage l’état de droit.

Le droit à la résistance et à l’auto-détermination

Le Tribunal de Gaza a réaffirmé le droit du peuple palestinien à l’auto-détermination et le droit de choisir les outils de la résistance contre l’occupation et la domination coloniale.

Ce droit est inscrit dans le droit international et est central à toute solution politique juste, a-t-il précisé.

Il a encouragé la résistance palestinienne, appelé au non-déplacement et incité la création d’un ordre politique unique garantissant les droits et fondé sur l’égalité, la décolonisation, la restitution, et le droit au retour.

« La lutte est dirigée contre le sionisme en tant qu’entreprise de colonisation de peuplement raciste et suprémaciste et non contre les juifs ou le judaïsme », conclut la déclaration.

Recommandations

Dans sa conclusion, le Tribunal a émis un ensemble complet de recommandations à l’intention de la communauté internationale.

Il demande que tous ceux qui sont coupables du génocide – du point de vue politique, militaire, économique et idéologique – soient tenus de rendre des comptes par tous moyens juridiques et dans toute la mesure prévue par le droit international.

La responsabilité, selon lui, doit inclure ceux qui ont rendu possible les crimes ou les ont soutenus par le biais des transferts d’armes, de la protection diplomatique, ou de la collaboration économique.

Le Tribunal en a appelé à la suspension d’Israël des institutions et organisations internationales, notamment de l’ONU et des organismes qui lui sont affiliés, jusqu’à ce qu’il se conforme aux obligations internationales et mette fin aux violations à Gaza.

Il a aussi interpelé l’Assemblée Générale de l’ONU pour qu’elle invoque la Résolution 377, Union pour le maintien de la Paix, dans la perspective de mandater des mesures collectives pour la protection des Palestiniens, qui comprendrait établissement d’une force de protection internationale à Gaza et en Cisjordanie.

Enfin, le jury a lancé un appel pour une action coordonnée mondiale afin de démanteler les structures d’impunité qui perpétuent le génocide et pour remettre en cause les systèmes économique et politique qui le rendent possible.

La déclaration s’est conclue par un avertissement qui a retenti tout au long de l’année d’audiences du Tribunal : « Le silence n’est pas neutre ; le silence est complicité ; la neutralité c’est la reddition au mal.

26 octobre 2025 – The Palestine Chronicle – Traduction: Chronique de Palestine – MJB

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