Toujours prise au piège, pour entrer à Gaza ou en sortir

Mars 2014 - Un garçon palestinien attend avec sa famille au passage de Rafah entre l'Égypte et le sud de la bande de Gaza - Photo: Ibraheem Abu Mustafa

Par Hala Shoman

En 2005, alors que j’avais 12 ans, nous avons quitté l’Arabie Saoudite pour rendre visite à notre famille à Gaza en Palestine. Les frontières étaient ouvertes et nous étions en pleines vacances d’été, un temps suffisant pour retourner au travail et à l’école même au cas où quelque chose d’inattendu arrivait.

C’est ce que nous pensions. Avec très peu de bagages, nous sommes partis à Gaza où nous avons passé des jours très agréables jusqu’à ce qu’Israël, de façon inattendue, décide de démanteler ses colonies illégales de Gaza et d’évacuer les colons israéliens.

Dès que nous avons appris cette nouvelle, nous avons décidé de retourner en Arabie Saoudite, pays où se trouvaient nos emplois, notre scolarité et notre habitation de l’époque. Cependant, Israël avait mis en place d’énormes restrictions sur les déplacements et nous n’avons pas été autorisés à quitter Gaza.

Au bout de quelques mois, nous avons perdu nos autorisations de résidence en Arabie Saoudite, ce qui nous a interdit de retourner dans ce pays. Mes parents ont perdu leurs emplois et nous, les enfants, n’avons pu continuer nos études dans les établissements que nous fréquentions. Comme nous venions juste de nous installer, à la suite de notre père qui était ingénieur en génie civil dans une ville qui était nouvelle pour nous, nous ne connaissions pas dans cette ville de personne à laquelle nous pouvions confier les tâches de vendre nos biens et de nous envoyer l’argent récolté.

Mon père a donc décidé d’inviter les gens à se servir, à prendre ce qu’ils voulaient de nos biens. Tous nos souvenirs, nos livres et nos jouets, ont été soit donnés à d’autres soit brûlés avec les déchets ménagers.

Lire également : Asmaa al-Ghoul : Vouloir sortir de Gaza, c’est tomber en enfer !

Quatorze années sont passées et je n’ai jamais été autorisée à voyager au dehors à cause du blocus militaire terrestre, maritime et aérien d’Israël. J’ai perdu ma capacité à comprendre comment les gens pouvaient se déplacer, voyager, assister à des événements internationaux ou même seulement, à rendre visite à des parents.

L’auteure (assise avec les enfants) avec sa famille à Gaza – Photo : courtoisie Hala Shoman

Comme tous les Palestiniens de Gaza, j’ai commencé à rêver de sortir vers le monde au moins une fois. En vue de réaliser ce rêve, j’ai fait des demandes de bourse et d’inscription à des stages. J’ai obtenu une bourse pour un PhD en Turquie mais comme les restrictions israéliennes étaient sévères cette année-là, je n’ai pas du tout pu voyager et j’ai perdu la bourse.

A Gaza, ces sortes d’expérience se conjuguaient avec les agressions israéliennes pour ancrer en nous l’idée que nous ne pouvions faire rien faire d’autre que de nous enfoncer en terre. Je m’imaginais enterrée de plus en plus profondément avec chaque bombe qui tombait.

Je n’ai pas renoncé à l’effort de maîtriser ma vie et j’ai encore fait des demandes de bourse. Finalement, j’en ai obtenu deux, une de Chevening et l’autre de STEPS. Je n’étais pourtant pas heureuse. Alors que j’accomplissais scrupuleusement toutes les démarches, je n’étais pas convaincue que j’allais voyager. Dans certains de mes rêves, je pouvais voyager mais quelque chose arrivait à ma famille et je ne pouvais pas retourner à Gaza afin d’être avec elle.

Un dicton de Gaza dit que si vous avez la chance d’échapper au blocus, ne revenez pas avant d’avoir terminé tout ce que vous aviez à faire car, une fois à Gaza, vous ne pourrez plus en ressortir.

Fort heureusement, ma bourse était du gouvernement du Royaume Uni et le 12 septembre 2019, le consulat de ce pays nous a délivré nos titres de séjour comme étudiants. J’étais finalement libre.

En Grande-Bretagne, j’ai projeté de mener ma recherche en Afrique du Sud afin d’avoir la possibilité de voir mon frère et son fils que je n’avais jamais vu parce qu’il était né en dehors de Gaza. Par la suite, j’ai décidé de faire un voyage en Europe.

J’avais le sentiment que plus rien ne pouvait désormais m’empêcher d’accomplir ces projets. Je verrais tout ce qu’il était possible de voir avant la fin de l’année 2020 et je pourrais retourner à Gaza et revoir ma famille, ce qui éliminerait toute possibilité de regret.

Mais la même malchance qui nous a emprisonnés à Gaza en 2005 est revenue nous emprisonner dans le monde en dehors de Gaza. Au Royaume-Uni, nous étions soumis à des règles de déplacement très strictes à partir du début du mois de mars 2020. Personne n’avait le droit de sortir de sa maison sauf en cas de nécessité impérieuse.

Lire également : Asmaa al-Ghoul : 3500 palestiniens bloqués à l’extérieur de Gaza après le bouclage du point de passage de Rafah

Pour encore aggraver les restrictions liées à la pandémie, Israël a annoncé ses projets d’annexion de certaines parties de la Cisjordanie. Le gouvernement palestinien a alors arrêté toute coordination avec le gouvernement israélien, ce qui a rendu toute possibilité de retourner à Gaza extrêmement difficile. En l’espace de neuf mois, je suis passée de la condition de prisonnière à l’intérieur de Gaza à celle de prisonnière en dehors de Gaza.

La pandémie et mon identité gazaouie se sont conjuguées pour dresser devant moi six obstacles contre mon retour chez moi.
1) J’avais besoin qu’une compagnie aérienne du Royaume-Uni reprenne ses vols vers le Moyen-Orient
2) J’avais besoin que la Jordanie rouvre ses frontières pour les Palestiniens et
3) que le ministre de l’intérieur de ce pays me donne une lettre de « non-objection » qui m’aurait permis de voyager à travers la Jordanie vers la Palestine.
4) J’avais besoin que le Pont Allenby soit ouvert afin de me permettre de traverser la partie israélienne vers la partie palestinienne.
5) J’avais besoin d’un « permis de retour » israélien et
6) j’avais besoin que le passage Eretz soit ouvert afin de me permettre l’entrée à Gaza.

Il suffisait qu’un de ces portails soit soudainement fermé ou qu’il me soit impossible d’aligner les dates portées sur mes documents pour que je perde la possibilité de retourner chez moi.

Finalement, les astres m’ont été favorables et j’ai eu la possibilité de retourner à Gaza le 24 mars 2021, juste à temps pour vivre la quatrième agression israélienne contre la Bande de Gaza.

A présent, je suis attelée à la tâche très ardue de refaire toutes les démarches nécessaires pour quitter Gaza et poursuivre mes études en vue du PhD.

23 juin 2021 – WeAreNotNumbers – Traduction : Chronique de Palestine – Najib Aloui