Submergée, noyée sous l’occupation israélienne

Image : via We Are Not Numbers

Par Shahd Safi

Auparavant, j’étais une personne passionnée, qui se fixait toujours des objectifs et qui se donnait les moyens de réaliser ses rêves. J’anticipais tout et je faisais de mon mieux pour ne pas être mise en échec. J’anticipais tous les obstacles possibles qui pouvaient surgir et j’agissais en conséquence…

Mais ma vie ne suit plus le chemin dont j’avais rêvé. La tristesse et la douleur s’insinuent dans mon cœur.

Lorsque j’étais plus jeune, il était plus facile de faire des projets d’avenir, car je n’étais pas consciente de la situation toxique qui prévalait à Gaza. Je pensais que ma passion et mon autodiscipline me conduiraient au succès, mais c’était une illusion.

Maintenant, je vois ma passion comme un poison, une malédiction pour mon âme. Chaque fois que j’essaie de me représenter mon avenir, je ne vois que le chaos le plus total. La distorsion que je constate entre la réalité à Gaza et mes ambitions et espoirs pour l’avenir se traduit par de l’anxiété et des maux de tête.

J’essaie d’y faire face en buvant un thé à l’anis, un remède à base de plantes que les Palestiniens boivent couramment dans le but de se détendre. Mais cela ne marche pas. Cela peut m’apporter un peu de réconfort, mais après ? Tout est pareil. Ma tasse d’anis ne peut pas changer la réalité qui m’entoure.

Mon enthousiasme me quitte

Cela me tue de ne plus être aussi vive qu’avant. Quand je me regarde dans le miroir, je ne vois que la douleur dans mes yeux, alors qu’avant on me complimentait sur leur vivacité. La plupart du temps, je me sens léthargique et apathique. Je ne veux pas que ce soit mon destin, mais mon enthousiasme m’échappe. La personne déprimée que je vois quand je me regarde dans le miroir n’est pourtant pas moi-même.

Vous pourriez me dire d’être indulgente envers moi-même, car rien de tout cela n’est de ma faute. Moi aussi, je veux trouver la paix de l’âme, mais quelque chose d’incontrôlable en moi ne cesse de surgir, insistant bruyamment sur le fait que je suis l’incarnation d’un échec.

Pendant ma première année d’école, ma moyenne était de 92%, ce qui était suffisant pour gagner et couvrir mes frais de scolarité. Mais lorsque le coronavirus s’est répandu dans le monde et a finalement atteint Gaza, nous avons dû étudier en ligne. C’était difficile, car les Gazaouis sont déjà confrontés à des coupures d’électricité.

Les élèves et les enseignants ont dû s’adapter ensemble à l’enseignement en ligne. Je faisais partie des nombreuses personnes qui n’avaient pas un bon accès à Internet, et j’ai perdu ma concentration et ma patience.

J’ai essayé de me rappeler les nombreuses fois où j’ai surmonté des situations difficiles, où j’ai réussi à faire mes devoirs et à suivre le rythme imposé, mais malheureusement, cette fois-ci, je n’y ait pas réussi. Ma moyenne a baissé et j’ai perdu ma bourse, ce qui signifie que je dois maintenant payer des frais de scolarité.

Cela met la pression sur ma famille à un moment où la dernière chose que je souhaite est de les accabler.

Je ne veux pas être considérée comme une étudiante irresponsable, car ce n’est pas ce que je suis, alors je vais continuer à tenter de persévérer. Pour l’instant, je risque d’obtenir mon diplôme avec du retard, ce qui “ajoute du feu à la pluie” dans mon cœur.

Mais prenons l’exemple de ma sœur : elle vient d’obtenir son diplôme et, bien que je sois très heureuse pour elle, je ne peux m’empêcher de me demander ce qu’elle va faire ensuite. Il est peu probable qu’elle trouve un emploi. Il est peu probable qu’elle puisse mener une vie digne, et cela nous fait mal à toutes les deux. J’ai peur de connaître le même destin.

Parfois, j’essaie de me convaincre que mon destin sera différent, que je ne fais que pratiquer mon habitude de ruminer et de m’inquiéter, mais je vois alors des statistiques montrant le nombre croissant de jeunes instruits et sans emploi à Gaza.

Ce n’est là qu’une des raisons de mon désespoir.

Je perds le sens de moi-même

Il y a une semaine, je discutais en vidéo avec une amie qui vit aux États-Unis et que j’aime considérer comme une mère spirituelle. En guise de preuve d’amour, elle voulait m’envoyer de la confiture ainsi que quelques livres (elle sait que j’adore lire, ce qui me permet d’avoir l’impression de voyager, même si je ne peux pas quitter Gaza).

Mais elle ne peut rien m’envoyer, ni les livres ni la confiture.

Je voulais vraiment goûter la confiture sur ma langue. Je voulais avoir l’impression que nous mangions et riions ensemble. C’est la personne vers qui je me tourne lorsque je suis complètement démoralisée, car elle me motive et m’encourage. J’aimerais même pouvoir lui envoyer quelque chose, mais je sais que c’est impossible.

Quant à l’accès aux livres, je sais qu’il me reste les e-books, mais j’aime l’odeur d’un vrai livre papier. A cause des contraintes et restrictions qui nous sont imposées par Israël, je suis incapable de constituer ma propre bibliothèque, ce qui pour moi est dévastateur.

N’importe quel Gazaoui vous dira que la racine de notre souffrance est résumée par le mot “Israël”, qui est en fait le nom d’un prophète dans l’islam. Les musulmans ne sont pas censés haïr qui que ce soit à propos de nos prophètes, et même si je déteste transgresser les directives de Dieu, je trouve que ce mot me blesse au plus profond de moi-même.

Cela me rappelle un moment lors d’une interview avec une étudiante vivant à New York. Elle m’a demandé ce qui façonne mon être, et je jure devant Dieu qu’à cette question, j’ai ressenti une réelle confusion. J’ai trébuché sur mes mots, ce qui était embarrassant, et puis elle m’a dit que j’avais l’air fatiguée. “Que diriez-vous de reporter l’entretien ?” a-t-elle demandé. “Ce serait bien de le reporter à un autre jour.”

J’étais vraiment reconnaissante de son initiative. J’ai fermé mon téléphone et je me suis restée assise seule pendant un moment, jusqu’à ce que je puisse comprendre pourquoi je me sentais si perdue. J’ai réalisé que j’avais perdu le sens de ce que j’étais.

Je trouverai le moyen de sourire à nouveau

Le chaos et la distorsion que je ressens ne sont pas la faute du peuple gazaoui. C’est la colonisation israélienne qui a volé notre terre, notre espoir et nos âmes. Je me sens peut-être débordée par des sentiments négatifs aujourd’hui, mais je sais que je trouverai bientôt le moyen de sourire, comme je l’ai toujours fait.

Je m’accrocherai toujours à ma foi en Dieu pour survivre à ce néant.

16 octobre 2021 – We Are Not Numbers – Traduction : Chronique de Palestine