Sion Assidon, une des figures emblématiques de la solidarité avec la Palestine au Maroc - Photo : crédit DR
Par Jaouad Mdidech
On le comparait à un arbre géant qui a résisté, toute sa vie, à toutes les tempêtes, pour rester debout, fier, solide, imperméable aux insinuations d’un racisme primaire, puisqu’il était de confession juive ; aux affres d’une longue incarcération comme prisonnier politique ; mais avant tout, encore frêle et insouciant enfant de 12 ans, il avait miraculeusement échappé au terrible séisme qui avait ravagé Agadir en 1960.
L’ironie du sort est que, si l’on en croit les premiers éléments de l’enquête de la police judiciaire et ses témoignages recueillis, cet arbre géant qui se nomme Sion Assidon, ayant bravé des bourrasques pour ne pas plier l’échine, aurait été victime d’une chute d’un arbre dans son jardin à Mohammedia, alors qu’il s’affairait à l’expurger de ses branches mortes.
L’arbre élagué est resté debout tutoyant le ciel, lui, Sion, est entré dans un coma jugé grave par ses médecins depuis son hospitalisation le 11 août 2025.
Après trois mois à naviguer entre la vie et la mort, son cœur cesse de battre à l’aube de ce jour automnal du 7 novembre 2025. Mais a-t-il vraiment cessé de cogner pour la Palestine, pour la transparence, la lutte contre la corruption, et pour la justice sociale ?
Sa mémoire restera vive et vivante, palpitante, même mort physiquement, parmi ses amis, ses camarades de prison, les militants du mouvement BDS Maroc, et tous ceux qui l’ont côtoyé de près ou de loin qui n’oublieraient jamais son sourire éternellement lumineux, sa détermination dans la défense des causes justes et son espoir chevillé au corps pour la libération de la Palestine.
Sa trajectoire comme marocain issu d’une famille juive, ayant refusé de quitter sa patrie alors que des dizaines de milliers de ses coreligionnaires, cédant aux sirènes à la propagande sioniste, partaient vivre en Israël et ailleurs, a marqué avec fierté toute une génération.
Max Assidon, son père, un soussi attaché viscéralement pourtant à sa religion, avait refusé que sa famille s’embarquât dans cette folle aventure pleine de risques, puisque son amour pour sa patrie, le Maroc, était aussi sacré que son attachement à sa judaïté.
Le fils, Sion, je l’ai connu pour la première fois au quartier Alif de la prison centrale de Kenitra, quand son groupe des condamnés en 1973 dans le procès des 48 (nombre d’accusés devant la cour pénale de Casablanca) pour atteinte à la sûreté de l’état, était venu rejoindre dans ce même quartier le nôtre, condamné, lui, en 1977, pour le même chef d’inculpation.
Il écopa de quinze ans de prison ferme, la plus lourde peine dans ce procès, – comme Anis Balafrej, Abdellatif Laâbi, Ahmed Herzenni…, pour ne citer que les plus connus.
Maâti (pour les intimes), sera libéré par grâce royale le 12 d’août 1984, après douze années dans les geôles. On était en plein années de plomb, les militants de gauche peuplaient les prisons et la torture était monnaie courante.
Marie Emanuelle Assidon, sa fille aînée de son premier mariage (actuellement préfète déléguée à l’égalité des chances dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur), encore bébé au moment de son arrestation en 1972, avait à peine 13 ans.
Le cœur plein de promesses après sa mise en liberté -sans rien renier de ses principes -, trépignant d’une joie suffocante, rien ne lui fera oublier son combat pour les droits humains, sa lutte contre la corruption d’où Transparency Maroc dont il est l’un des fondateurs, et son engagement à vie pour la cause palestinienne, d’où BDS Maroc dont il était la cheville ouvrière.
Aux initiales éminemment évocatrices dans les temps qui courent, il s’agit, faut-il le rappeler, d’une campagne internationale appelant à boycotter Israël sur le plan économique, académique, culturel et politique pour l’obliger à mettre fin à l’occupation, à l’arrêt de la colonisation, à l’égalité complète pour les citoyens arabo-palestiniens d’Israël et le droit de retour des réfugiés palestiniens.
Toutes ces activités, Maâti les menait parallèlement à sa casquette d’entrepreneur.
Maâti, un pseudonyme hérité je suppose de ses années de clandestinité comme militant au sein du mouvement d’extrême gauche né après la défaite des armées arabes face à Israël en juin 1967.
Je n’ai jamais creusé pour le savoir, mais peu importe, et peu importait pour ses ex-camarades dans cette prison hideuse qu’il partageait avec eux, qu’il soit juif ou pas ; la religion, comme les convictions politiques est une affaire intime, personnelle, qui devait être respectée.
Cette déroute des armées arabes en 1967, Sion l’a vécue intensément alors qu’il était étudiant en mathématiques à Paris ; et ça a marqué, paradoxalement le jeune homme de vingt ans qu’il était, ce fut le point de basculement de ses idées.
De défenseur de l’État d’Israël, il changea son fusil d’épaule et embrassa la cause palestinienne, pour l’éternité : des terres étaient spoliées, un peuple soumis au joug colonial, cela heurtait ses sensibilités d’humaniste et homme épris de justice.
En prison, comme pour d’autres de ses codétenus, il bénéficia d’une compagne internationale pour sa libération, Laurent Schwartz, éminent mathématicien en France, avait signé, se rappellent ses amis, une tribune au quotidien français le Monde en juin 1981 demandant sa libération.
Quatre décennies plus tard, je le reçus fin août 2020, autant dire en plein Covid, dans une maison d’hôte que je gérais à Ouirgane, dans le Haut Atlas.
Avec Sion, on ne s’était jamais perdus de vue et l’homme que j’y retrouvai fut celui que j’avais connu dans le quartier Alif, à la Centrale : toute sa tête, il n’avait pas perdu une once de son énergie, de sa vivacité, il avait encore la curiosité d’un enfant assoiffé de connaissances, de vie, de découvertes, d’aventures, et une sociabilité contagieuse.
Quelques jours avant de sombrer dans son coma, dont l’origine reste jusqu’à aujourd’hui énigmatique (un corps d’avocats et d’amis fidèles se sont mobilisés pour revendiquer l’approfondissement de l’enquête de police ainsi qu’une autopsie légale pour mieux connaître la vérité sur ce coma ayant conduit au décès [*]), nous nous sommes rencontrés, comme d’habitude, dans un sit-in contre le génocide perpétré à Gaza.
Il me dit, toujours avec ce sourire lumineux, l’épaule et le cou emmitouflés d’un keffieh, la main tenant un drapeau palestinien : « mon seul espoir est de rester vivant pour voir la Palestine libre. »
On aurait dit qu’il mettait les bouchées doubles avant qu’il ne s’en aille sans pouvoir assister à cet événement qui marquera l’Histoire.
Alors qu’il sombrait encore dans son coma dans une clinique casablancaise, sa prémonition n’est plus du domaine de l’impossible malgré le jusqu’auboutisme aveugle du gouvernement israélien : une bonne dizaine d’États et non des moindres, dont la France, la Grande Bretagne, l’Australie, le Canada et le Portugal, reconnaissent officiellement en septembre l’État de Palestine, son drapeau quadricolore blanc-vert-rouge-noir flotte sur le toit de nombre de mairies et d’arrondissements européens.
Maâti n’a pas assisté à la trêve ni au cessez-le-feu, et il n’a pas survécu, malgré les signes d’un réveil éphémère trompeur, pour voir, un jour, les Palestiniens libres vivant sur leur terre [**].
* Suite à l’autopsie effectuée sur le corps de Sion Assidon, le parquet de Casablanca diffuse un communiqué ce matin 8 novembre confirmant les éléments de l’enquête préliminaire : le décès de la victime est suite à une hémorragie cérébrale causée par sa chute d’une échelle alors qu’il élaguait des arbres dans son jardin.
** Ses amis lui ont rendu hommage le 8 novembre, au siège du parti socialiste unifié.
Auteur : Jaouad Mdidech
* Jaouad Mdidech est journaliste et écrivain, ancien prisonnier politique de janvier 1975 au 7 mai 1989, et était ami proche de Sion Assidon. Il est contributeur au média OrientXXI.
9 novembre 2025 – Media24 – Communiqué par l’auteur

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