Après la décision du Conseil d’État, Sarko et Valls peuvent aller se rhabiller…

Tenues vestimentaires...
Incroyable mais vrai : on peut s’habiller comme on veut !
Gilles Dever – Incroyable mais vrai : on peut s’habiller comme on veut ! Je m’amusais déjà des prochaines élections municipales où le maire inclurait dans son programme les choix vestimentaires et les options de mode qu’il retient pour les habitants de la commune… Cela nous aurait fait un peu de distraction, mais le Conseil d’État, par un arrêt des plus classiques, met fin à cet attristant délire des décideurs publics. Les maires allumés, Valls, Sarko… et tant d’autres peuvent aller se rhabiller !

Intéressant à relever : à l’audience, le ministère de l’Intérieur a indiqué qu’il n’avait pas de point de vue sur la question, et qu’il s’en rapportait à la justice (Donc un drame de l’amour entre Valls et Cazeneuve…). Le plus drôle est quand même notre juste et bon président de la République qui a attendu hier pour dire que ces arrêtés étaient valables mais qu’il fallait les appliquer avec discernement. Quelle bande de farceurs… et on en rirait bien volontiers s’ils n’étaient pas à la direction du pays.

Vous trouverez ici le texte de cette ordonnance du 26 août 2016, Nos 402742, 402777, Ligue des droits de l’homme et Collectif contre l’islamophobie en France. La rédaction est d’une simplicité biblique, et je vous propose juste le petit commentaire ci-dessous.

1/ Le cadre de la procédure, à savoir le référé liberté

Le Conseil d’État a été saisi dans le cadre particulier du « référé-liberté », et ne peut se prononcer que si l’autorité municipale apportait une « atteinte grave et manifestement illégale » à une liberté fondamentale. Ainsi, si le Conseil d’État s’est prononcé favorablement, c’est qu’il n’y a pas seulement une violation des droits, mais une violation « grave et manifestement illégale ».

« En vertu de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, lorsqu’est constituée une situation d’urgence particulière, justifiant qu’il se prononce dans de brefs délais, le juge des référés peut ordonner toute mesure nécessaire à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une autorité administrative aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale ».

2/ L’arrêté du maire

On a parlé de l’arrêté du maire et on a beaucoup entendu le maire, mais il n’était pas possible de connaître exactement le texte de l’arrêté. Grâce à la procédure, c’est fait et voilà exactement ce que disait l’arrêté du 15 août 2016, en son article 4.3 :

« Sur l’ensemble des secteurs de plage de la commune, l’accès à la baignade est interdit, du 15 juin au 15 septembre inclus, à toute personne ne disposant pas d’une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et du principe de laïcité, et respectant les règles d’hygiène et de sécurité des baignades adaptées au domaine public maritime. Le port de vêtements, pendant la baignade, ayant une connotation contraire aux principes mentionnés ci-avant est strictement interdit sur les plages de la commune ».

Cette formulation est un peu torturée, le moins que l’on puisse dire, et le Conseil d’État a fait préciser le sens de la formule :

« Ainsi que l’ont confirmé les débats qui ont eu lieu au cours de l’audience publique, ces dispositions ont entendu interdire le port de tenues qui manifestent de manière ostensible une appartenance religieuse lors de la baignade et, en conséquence, sur les plages qui donnent accès à celle-ci ».

3/ Les pouvoirs du maire en matière de bon ordre et de sécurité

Comme nous ne sommes pas dans le Texas des bons vieux westerns, le maire qui est investi d’une mission pour le bon ordre et la sécurité doit appliquer la loi, et rien que la loi.

On trouve deux textes de référence.

Le premier, d’ordre général, est L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales. Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du préfet, de la police municipale qui, selon l’article L. 2212-2 de ce code, « a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ».

L’autre spécifique traite de la baignade, et c’est l’article L. 2213-23 : « Le maire exerce la police des baignades et des activités nautiques pratiquées à partir du rivage avec des engins de plage et des engins non immatriculés… Le maire réglemente l’utilisation des aménagements réalisés pour la pratique de ces activités. Il pourvoit d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours. Le maire délimite une ou plusieurs zones surveillées dans les parties du littoral présentant une garantie suffisante pour la sécurité des baignades et des activités mentionnées ci-dessus. Il détermine des périodes de surveillance… ».

Bon, vous avez vu comme moi… ça ne donne pas beaucoup de marge. C’est ce qu’explique le Conseil d’État, car en plus il faut concilier avec les libertés :

« Si le maire est chargé par les dispositions [ci-dessus] du maintien de l’ordre dans la commune, il doit concilier l’accomplissement de sa mission avec le respect des libertés garanties par les lois ».

Alors comment résoudre ce problème ? Lisons le Conseil d’Etat, qui n’innove rien et tient au contraire un raisonnement très classique, genre leçon de première année administrée au maire (et à Valls et Sarko)

« Il en résulte que les mesures de police que le maire d’une commune du littoral édicte en vue de réglementer l’accès à la plage et la pratique de la baignade doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées au regard des seules nécessités de l’ordre public, telles qu’elles découlent des circonstances de temps et de lieu, et compte tenu des exigences qu’impliquent le bon accès au rivage, la sécurité de la baignade ainsi que l’hygiène et la décence sur la plage. Il n’appartient pas au maire de se fonder sur d’autres considérations et les restrictions qu’il apporte aux libertés doivent être justifiées par des risques avérés d’atteinte à l’ordre public ».

Ce sont les derniers mots les plus importants : les atteintes apportées aux libertés doivent être justifiées par rapport à des risques avérés d’atteinte à l’ordre public. C’est ça, et rien d’autre.

Donc, Monsieur le Maire, tes conceptions morales de bas étage, et tes philosophies essoufflées sur la femme qui est magique quand elle est topless et soumise quand elle est pudique, tu les gardes comme opinion personnelle, mais ce n’est pas du droit, donc tu ne les imposes pas aux autres. Pigé ?

4/ L’absence de risque de trouble à l’ordre public

C’est là encore le grand classicisme du raisonnement juridictionnel en matière de libertés publiques. Il se peut qu’un comportement soit en lui-même un trouble à l’ordre public, car constituant une infraction, et dès lors on peut interdire. Quand que le comportement n’est pas en lui-même une infraction, ce qui était le cas sur cette plage enflammée par le diable, le maire peut agir en fonction des risques de troubles à l’ordre public.

Il agit donc de manière préventive, mais pour que son action ne soit pas arbitraire, il doit justifier d’un certain nombre d’éléments tangibles qui rendent crédibles la survenance d’un risque. Tout est donc question de preuve, et la lecture de l’ordonnance rendue par le Conseil d’État est aussi intéressante que navrante : le maire n’a apporté aucun élément de preuve ! Que du pipeau !

« Il ne résulte pas de l’instruction que des risques de trouble à l’ordre public aient résulté, sur les plages de la commune de Villeneuve-Loubet, de la tenue adoptée en vue de la baignade par certaines personnes. S’il a été fait état au cours de l’audience publique du port sur les plages de la commune de tenues de la nature de celles que l’article 4.3 de l’arrêté litigieux entend prohiber, aucun élément produit devant le juge des référés ne permet de retenir que de tels risques en auraient résulté. En l’absence de tels risques, l’émotion et les inquiétudes résultant des attentats terroristes, et notamment de celui commis à Nice le 14 juillet dernier, ne sauraient suffire à justifier légalement la mesure d’interdiction contestée.

« Dans ces conditions, le maire ne pouvait, sans excéder ses pouvoirs de police, édicter des dispositions qui interdisent l’accès à la plage et la baignade alors qu’elles ne reposent ni sur des risques avérés de troubles à l’ordre public ni, par ailleurs, sur des motifs d’hygiène ou de décence ».

5/ Conclusion ?

« L’arrêté litigieux a ainsi porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle ».

Les conséquences de l’application de telles dispositions sont en l’espèce constitutives d’une situation d’urgence qui justifie que le juge des référés fasse usage des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Il y a donc lieu d’annuler l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice du 22 août 2016 et d’ordonner la suspension de l’exécution de l’article 4.3 de l’arrêté du maire de Villeneuve-Loubet en date du 5 août 2016.

26 août 2016 – Les Actualités de Droit