Qu’est-il advenu de la lutte menée par les jeunes Palestiniens ?

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La jeune Palestinienne Malak Al-Khateb, 14 ans, est accueillie par des membres de sa famille alors qu'elle arrive au village de Beitin près de Ramallah après avoir été libérée d'une prison militaire israélienne le 13 février 2015. Al-Khateb, du village de Beitin près de Ramallah, a été enlevée le 31 décembre 2014, et a été soumise à un interrogatoire et un traitement sévère sans représentation légale. Elle a été accusée d'avoir jeté des pierres sur des soldats israéliens. Le 22 janvier, elle a été condamnée à deux mois de prison et sa famille à une amende de 6 000 shekels (1500 dollars) - Photo : ActiveStills.org

Par Mersiha Gadzo

Ramallah, Cisjordanie occupée – Ce qui a commencé comme une protestation locale dans le camp de réfugiés Jabalia dans la Bande de Gaza en décembre 1987 s’est spontanément propagé à la Cisjordanie et s’est rapidement transformé en un énorme soulèvement.

C’était le début de la Première Intifada, qui dura six ans.

Après deux décennies d’occupation illégale de la Bande de Gaza et de la Cisjordanie par Israël, les Palestiniens de toutes générations et de tous partis politiques ont collaboré, tous ensemble dans une unité extraordinaire, ne constituant qu’une seule force pour exiger la libération de la Palestine.

Grâce à leurs tactiques non-violentes, telles que manifestations, grèves générales, et le boycott des produits israéliens, la Première Intifada devint un modèle pour la résistance populaire.

« Nous pensions que cette Intifada nous apporterait, à nous Palestiniens, un état. [Le mouvement] était si puissant. Ce n’est pas comme aujourd’hui, » dit Naila Ayyash, qui avait environ 25 ans quand l’Intifada éclata.

« A l’époque les partis politiques étaient très puissants, en particulier le mouvement des femmes à l’intérieur des partis. »

D’après Rula Salameh, qui était en première année à l’université Birzeit de Ramallah lorsque l’intifada débuta, il n’y avait pas un seul étudiant qui n’était pas affilié à un parti politique sur le campus. Tous les étudiants passaient leur temps et dépensaient leur énergie à aider leur communauté et à contribuer à la mission collective de libération de la Palestine de l’occupation israélienne.

Mme Salameh se souvient avoir dormi trois nuits sous une tente dans un village près de Tulkarem comme 150 autres étudiants ; le conseil des étudiants avait organisé le voyage pour aider une famille palestinienne à cueillir les olives sur sa terre.

Étant donné qu’une base militaire et une colonie se trouvaient à proximité de ses oliveraies, il était régulier que les soldats empêchent la famille d’y accéder pendant la saison de la récolte des olives, explique Mme Salameh.

« Pour la première fois [la famille] réussit à récolter toutes les olives sans être attaquée par les soldats, » dit-elle.

Par rapport à la situation actuelle, c’était totalement différent. Le travail bénévole faisait partie de notre vie, de notre éducation. Tout le monde avait le sentiment de faire quelque chose d’utile pour sa communauté. Ce n’était pas un gaspillage d’énergie.

Photo : Mersiha Gadzo/Al Jazeera
Rula Salameh – Photo : Mersiha Gadzo/Al Jazeera

Alors que le mouvement estudiantin a été un moteur qui a permis d’impulser la Première Intifada, la jeunesse d’aujourd’hui est confrontée à une dynamique radicalement différente.

Nouveaux obstacles

Suite à la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël début décembre par le président états-unien Donald Trump, le Fatah et le Hamas appelèrent tous deux à une nouvelle intifada, mais seuls quelques 3000 manifestants ont répondu à l’appel contre les dizaines de milliers de Palestiniens descendus dans la rue lors de la Première Intifada.

Omar Kiswani, président du conseil des étudiants à l’université Birzeit, a dit à Al Jazeera que l’Autorité Palestinienne (AP) était le plus grand obstacle pour la jeunesse politiquement active aujourd’hui ; des étudiants se font régulièrement arrêter et emprisonner pour leur affiliation politique sur les campus.

L’AP, constituée sous l’égide des accords d’Oslo qui ont officiellement mis fin à l’intifada, est depuis longtemps critiquée pour faire obstacle à la résistance palestinienne en raison de sa collaboration en matière de sécurité, en tant qu’Autorité collabo, avec Israël.

M. Kiswani fut arrêté alors qu’il préparait sa candidature aux élections étudiantes. Il a passé un an dans des prisons israéliennes pour sa participation à un groupe affilié au Hamas sur le campus.

« Ils disent que notre travail est illégal. Nous sommes régulièrement arrêtés. Des étudiants de tous les partis se font arrêter, mais les étudiants du Hamas sont plus arrêtés que d’autres. On s’y habitue,» nous a dit M. Kiswani.

Au cours de l’année écoulée, deux présidents du syndicat étudiant ont été arrêtés, ainsi que d’autres adhérents, a-t-il précisé.

Collaboration AP-Israël

Yahya Rabee, étudiant de 21 ans à Birzeit, fut arrêté à 2 heures du matin par les forces de l’AP qui ont fait une descente à son domicile. Il a été gardé en détention par l’AP pendant trois jours avant d’être livré aux forces israéliennes. Il fut incarcéré en Israël pendant huit mois, et subit des sévices corporels.

Dans sa cellule, il retrouva sept amis de Birzeit également emprisonnés pour leur appartenance à un groupe affilié au Hamas. Tous les jeunes membres de sa famille ont été emprisonnés pour la même raison.

Selon la campagne Pour le Droit à l’Éducation de Birzeit, depuis la déclaration de D. Trump sur Jérusalem, il y a eu une augmentation des arrestations d’étudiants. Plus de 60 étudiants de Birzeit sont actuellement incarcérés dans des prisons israéliennes. Ce sont des détentions illégales selon le droit international.

Depuis 2004, plus de 800 étudiants de Birzeit ont été arrêtés. Certains ont été condamnés à plus d’une peine d’emprisonnement à perpétuité.

« Israël essaie de détruire [les jeunes] en les arrêtant, les emprisonnant et en les attaquant, surtout le conseil étudiant, » explique Sondos Hamad, coordinateur de la campagne Pour le droit à l’Education.

« L’occupation israélienne se sent menacée par les dirigeants étudiants, par les membres du conseil étudiant, par ceux qui représentent notre espoir de changer le statut quo. »

40 pour cent environ de la population masculine palestinienne a été emprisonnée par Israël depuis 1967.

Tout Palestinien qui a manifesté un fort potentiel de dirigeant a été soit emprisonné, soit assassiné.

« Nous croyons et espérons que tous les prisonniers palestiniens seront libérés. Ce sont eux qui sont capables de diriger les Palestiniens, et non l’AP. Certains d’entre eux sont docteurs, professeurs ; ils ont [la capacité] de diriger, » explique M. Rabee.

M. Rabee et Mme Ayyash ont tous deux fait remarquer que la dépendance financière des Palestiniens vis-à-vis de l’AP était un facteur pour certains d’échapper à la désobéissance civile.

« Pour certaines personnes seuls leur argent et leur mode de vie les préoccupent. Elles ont peur de l’AP et d’être emprisonnées, explique M. Rabee.

Photo : Mersiha Gadzo/Al Jazeera
Les étudiants de l’Université de Birzeit, Yahya Alawi, 20 ans (g) et Yahya Rabee, 21 ans (d), ont tous deux été emprisonnés pour leur participation à un groupe affilié au mouvement Hamas sur le campus – Photo : Mersiha Gadzo/Al Jazeera

L’Autorité palestinienne emploie environ 30 pour cent de la main d’œuvre des territoires occupés. La fin de l’AP pourrait paupériser environ un million de Palestiniens.

Division et isolement

Pour Mme Ayyash, les Accords d’Oslo furent préjudiciables à la cause palestinienne.

« Après Oslo, tout a changé, explique Mme Ayyash. Cela nous a donné des villes coupées les unes des autre, plus de colonies qu’avant, et le mur est partout. »

« Après Oslo, l’espoir a persisté, mais de nombreux points des Accords n’étaient pas dans notre intérêt, notamment la division de la terre en zones A, B, et C. C’est très mauvais. C’est la terre de Palestine. Pourquoi la diviser ainsi.

La division et l’isolement, c’est ce contre quoi les Palestiniens vivant dans la Bande de Gaza assiégée luttent depuis une décennie.

Assiégée par Israël et l’Égypte, l’ONU a maintes fois alerté qu’une crise humanitaire s’y développait.

Randa Harara, étudiante de 21 ans à l’Université Al-Azhar, participe souvent à des manifestations non violentes, et dit qu’elles ont un rôle positif dans la mesure où elles font connaître au monde entier la souffrance à Gaza.

En décembre dernier, un sniper israélien lui a tiré une balle dans la cuisse lors d’une manifestation près de la frontière Est de Gaza. R. Harara se trouvait à 300 mètre de la clôture et venait de finir de donner une interview à la télévision lorsqu’elle fut touchée. Malgré sa blessure douloureuse, elle est déterminée à retourner manifester dès qu’elle sera remise.

« C’est notre devoir envers Jérusalem. En tant que Palestinienne de Gaza, c’est le moins que je puisse faire pour ma nation, combattre contre [l’oppression] …Tant que nous serons assiégés, il est normal que nous continuions à protester contre cette oppression. »

Toutefois, en raison de l’isolement de Gaza, il est plus difficile pour les manifestations de prendre de l’ampleur, comme ce fut le cas pour la Première Intifada. Pour une population de deux millions d’habitants, le nombre de gens qui participent aux manifestations chaque vendredi est faible, explique R. Harara.

« Une grande distance nous sépare de Jérusalem. Si nous [n’étions pas en état de siège]nous pourrions faire plus. »

« Il doit y avoir une meilleure façon d’organiser le mouvement. Nous devons exprimer notre colère et notre frustration pour tous les moyens à notre disposition, parce que c’est une question importante. Plus de gens devraient descendre dans la rue, participer aux manifestations. C’est pour la cause Palestinienne. Si nous, les jeunes, ne bougeons pas, alors qui va le faire ? »

Stigmatisation sociale

D’après Mme Ayyash pendant la Première Intifada la majorité des manifestants étaient des femmes. Aujourd’hui, toutefois, à Gaza, il est rare de voir des femmes participer à des protestations.

Beaucoup ont dit à R. Harara, qu’en tant que femmes, il était préférable pour elles de rester à la maison ou de se concentrer sur leur éducation.

« Je crois en ce que je fais. Ce que les gens disent de moi n’a pas d’importance, car je suis sure que je ne fais rien de mal, » affirme R. Harara.

« Je pense que si d’autres femmes n’étaient pas confrontées à une stigmatisation sociale, qui les empêche de participer aux manifestations, il y aurait beaucoup plus de gens prêts à manifester pour exprimer leur frustration. »

Mmes Ayyash et Salameh sont d’accord pour dire que le rôle des partis politiques palestiniens a diminué depuis les Accords Oslo.

Pour Mme Salameh la nouvelle génération a l’énergie et la volonté nécessaires, mais personne pour la guider dans la bonne direction.

« C’est ce que j’entends tout le temps [de la part des jeunes]: ‘Nous ne savons pas quoi faire,’ » rapporte Mme Salameh.

« [Les partis politiques] ne cherchent pas à travailler avec la jeune génération et à lui expliquer le pouvoir qu’elle détient et comment elle devrait l’utiliser … Nous ne donnons pas aux jeunes la possibilité de remplacer [l’ancienne génération.] »

La clé du succès, c’est l’unité, explique Mme Ayyash. La division entre le Fatah et le Hamas dure depuis onze ans et sans unité, aucun but ne peut être atteint.

Photo : Mersiha Gadzo/Al Jazeera
Naila Ayyash – Photo : Mersiha Gadzo/Al Jazeera

« Avant, nous étions unis [pendant la Première Intifada], » précise Mme Ayyash. « Il existe un fossé entre les dirigeants [politiques] et le peuple, et Israël s’en sert. »

* Mersiha Gadzo est journaliste et productrice en ligne pour Al Jazeera English. Avant de rejoindre Al Jazeera, elle travaillait en tant que journaliste freelance en Bosnie-Herzégovine et dans les territoires palestiniens occupés.


11 février 2018 – www.aljazeera.com – Traduction: Chronique de Palestine – MJB