Les prisonniers palestiniens en grève de la faim : “Ils n’ont pas d’autre choix !”

Photo : Nigel Wilson/Al Jazeera
Mahmoud Ziadeh tient une photo de son fils, Majd, qui a été emprisonné en 2002 - Photo : Nigel Wilson/Al Jazeera
Nigel WilsonLa famille de Majd Ziadeh, l’un des 1500 prisonniers en grève de la faim, soutiennent la lutte des prisonniers pour la Dignité et l’Humanité.

Ramallah – Au cours d’un très bel après-midi de printemps, des membres des familles et ainsi que des soutiens des prisonniers palestiniens en grève de la faim se sont rassemblés sous une tente au centre-ville de Ramallah.

La tente, une parmi les dizaines dressées en solidarité avec les prisonniers à travers les villes et les villages de la Cisjordanie occupée et de la bande de Gaza, s’étend à une extrémité de la place de l’Horloge, ses murs de bâche bleue couverts des photos des prisonniers.

Assis sur une chaise en plastique, Mahmoud Ziadeh, âgé de 61 ans, tient une photo de son fils Majd, l’un des 1500 prisonniers palestiniens qui se sont lancés dans une grève de la faim de masse le 17 avril. Depuis lors, Mahmoud est venu ici chaque jour pour des durées de huit ou neuf heures, tenant le portrait de son garçon tout en parlant avec d’autres familles affectées.

“La tente est devenue un lieu de solidarité avec les prisonniers en grève”, nous dit-il. “Les hommes, les femmes, les travailleurs, les syndicats, les ministres, les municipalités et les jeunes – toutes les composantes de la société palestinienne viennent ici. Toutes les activités, manifestations ou marches… Tout commence ici, à la tente”.

Cet après-midi, sans activités majeures prévues, la tente bruisse des conversations. Les familles échangent des récits et anecdotes sur leurs parents emprisonnés et partagent leurs angoisses sur ce qu’endurent les grévistes.

“Je connaissais déjà certaines familles ici”, nous explique Naema Ziadeh, la tante de Majd. “Nous écoutons les récits des autres, et nous partageons notre souffrance d’avoir des membres de notre famille en prison. Nous éprouvons tous les mêmes sentiments. Jour après jour, l’humeur s’assombrit. Psychologiquement, c’est vraiment pénible. Mais d’autre part, je suis fière de ce qu’il fait.”

Majd a été arrêté en 2002 à l’âge de 18 ans. Avec tous les hommes vivant dans son immeuble, y compris son père Mahmoud, Majd a été réveillé au milieu de la nuit, menotté et emmené à l’extérieur. Les hommes ont ensuite marché dans les rues de Ramallah devant un char militaire israélien avant d’être traînés dans une colonie israélienne.

Alors que son père, un ancien prisonnier lui-même, a été ensuite libéré, Majd a été transféré à la prison d’Ofer et a finalement été accusé d’être membre de la faction des Tanzim proche du Fatah, et d’avoir participé à des attaques [de la résistance] contre des soldats israéliens, des colons et une base militaire. Personne n’avait été tué dans les attaques mais Majd a été jugé par un tribunal militaire et condamné à 30 ans de prison. Les autres hommes reconnus coupables d’implication ont reçu des condamnations beaucoup plus légères, explique Mahmoud.

“Devant la cour, le juge a dit qu’ils lui donneraient une peine sévère à cause de ce qu’il a déclaré devant les tribunaux”, a rappelé Mahmoud. “Il avait dit à la cour: ‘Je suis contre l’occupation. Je continuerai à haïr l’occupation, mais il y a une grande différence pour moi entre le peuple juif et l’occupation … Je ne reconnais pas le tribunal. Toute peine que vous m’infligerez sera pour moi un signe d’honneur.'”

Photo : Al Jazeera/Nigel Wilson
Les jeunes Palestiniens défilent à travers le centre de Ramallah en solidarité avec les prisonniers palestiniens en grève de la faim – Photo : Al Jazeera/Nigel Wilson

Lorsque Majd a fait appel de sa peine, les juges ont invoqué sa déclaration au prétoire comme une raison pour rejeter sa requête.

Mais au cours du dernier mois de mars, 15 ans après son arrestation, la peine de Majd a été réduite d’un tiers après que son avocat Labib Habib ait réussi à faire valoir qu’il y avait eu de graves lacunes dans le processus judiciaire, qui avaient entraîné une peine disproportionnée. Habib avait aussi constaté que la fiche d’accusation utilisée par le juge militaire pour rejeter un appel en 2005 ne citait pas les accusations pour lesquelles Majd avait été condamné.

Lorsque les nouvelles de la réduction de peine sont arrivées à la famille à la fin du mois de mars, c’était un peu aigre-doux. Il y avait de la colère que les erreurs aient été tolérées si longtemps, de la déception que Majd n’ait pas été libéré tout de suite, mais aussi un soulagement que la peine infligée à Majd ait été raccourcie.

“C’était un choc”, a déclaré Raya Ziadeh, 32 ans, la sœur de Majd. “C’était choquant pour nous de constater que, après 15 ans, les procureurs israéliens avaient commis des vices de procédure, suite à quoi ils avaient condamné pour 30 ans. Lorsque nous avons appris cela, au début pour être francs, nous étions très optimistes [et pensions] qu’il serait libéré immédiatement.”

Pour Mahmoud, la réduction de peine a amené un peu de réconfort et l’espoir qu’il verrait un jour son fils sorti de prison.

“Cela fait une différence pour moi, parce que j’ai 61 ans maintenant, et d’ici cinq ans, j’aurais 66 ans. Si je devais encore attendre 15 ans, j’aurais alors 76 ans, et je ne sais pas si je vivrai encore ou pas à cet âge-là”, explique-t-il.

Au cours des 15 dernières années, la famille n’a vu Majd que de l’autre côté d’une double vitre et ne lui a parlé que par l’intermédiaire de téléphones dans les salles de visite des prisons israéliennes. Les permis de visite ont été accordés de façon sporadique et les demandes ont souvent été refusées pour des raisons arbitraires, déclarent des membres de la famille à Al Jazeera. Quand ils peuvent le visiter en prison, leur temps ensemble est strictement limité à 45 minutes.

“Habituellement, si j’ai la chance, je peux le voir tous les six mois environ, et il n’est possible que de poser des questions très importantes pour à Majd, comme “Comment vas-tu ? Quoi de neuf dans ta vie ?”, raconte Raya à Al Jazeera. “Il veut connaître tous les petits détails que nous n’avons pas la chance de pouvoir partager. Même comme son allure ou la mienne, tandis qu’il me regarde pour voir si mes cheveux ont poussé.”

“Ce n’est pas facile”, ajoute-t-elle. “Alors que vous pensez que la conversation ne vient que de commencer, elle est déjà terminée. Il n’y a pas assez de temps pour éprouver un plaisir plus profond”.

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Naema Ziadeh tient un autre portrait de Majd, qui a récemment été transféré en isolement cellulaire – Photo : Al-Jazeera/Nigel Wilson

Avant que la grève de la faim n’ait été lancée, Majd avait partagé une cellule dans la prison de Hadarim avec Marwan Barghouti, le célèbre dirigeant du Fatah et l’initiateur de la grève. Barghouti – qui purge cinq peines d’emprisonnement à perpétuité pour son rôle [supposé] dans les attaques au cours de la deuxième Intifada – a joué le rôle de tuteur académique de Majd alors que celui-ci préparait un diplôme en sciences politiques.

Le programme avait été interrompu lorsque les prisonniers ont été transférés dans d’autres prisons, et il a été brutalement arrêté le 17 avril quand la grève de la faim a commencé. Majd a été placé en isolement cellulaire à la prison de Ramle, où les conditions sont bien pires qu’à Hadarim, souligne son père Mahmoud.

“Maintenant, ils lui refusent la possibilité de quitter sa chambre, de sortir et de marcher sous le soleil”, dit-il. “Ils n’ont pas de savon pour se laver les mains ou prendre une douche. Les prisonniers sont fouillés tous les jours. Les gardiens envahissent leurs chambres et passent tout au peigne fin. Ils les forcent à enlever leurs vêtements, à l’exception de leurs sous-vêtements”.

L’avocat de la famille a également signalé que Majd souffrait physiquement des effets de sa grève de la faim; ses réactions et ses sens avaient diminué et il a perdu 17 kilos, nous dit Mahmoud.

“Les prisonniers sont épuisés. Leurs corps sont épuisés”, dit-il encore. “Ils sont endormis et éveillés en même temps. Leurs corps ne savent pas quand ils sont complètement éveillés ou complètement endormis. La même situation s’applique aux familles à l’extérieur. Nous ne sommes pas complètement éveillés ou endormis, à aucun moment, parce que nous sommes profondément inquiets de leur situation”.

Lorsque Majd a été arrêté en 2002, il était dans sa dernière année de lycée. Mahmoud en parle comme d’un adolescent dynamique et actif, qui aimait le sport et avait rejoint le club local de basket-ball à Ramallah. Avec deux sœurs plus jeunes, il a appris à prendre une responsabilité supplémentaire dès son plus jeune âge après que son père ait été arrêté et maintenu en détention administrative à cause de ses activités dans le mouvement syndical palestinien.

“C’est une personne très forte”, raconte Raya. “Il a toujours essayé de nous soutenir sa mère et moi ainsi que notre petite sœur. Nous faisions presque tout fait ensemble quand nous étions plus jeunes. Nous allions dans la même école, nous jouions ensemble, nous passions toute la journée ensemble”.

Son absence de la vie familiale est particulièrement douloureuse lors des vacances et des événements familiaux marquants. Il n’a pu assister à la remise de diplôme de sa sœur ou à son mariage. Quand sa mère est morte de maladie, il n’a pas été autorisé à assister aux funérailles.

“Sa présence nous manque tous les jours”, nous dit Raya. “Mais sa présence est vraiment douloureuse dans ces moments où la famille s’unit pour célébrer ou pleurer… Et il n’est pas là”.

Mahmoud a visité Majd en prison deux semaines avant le début de la grève de la faim, et son fils l’a informé qu’il y participerait. Il souffrait alors d’une infection de l’oreille qui nécessitait une intervention chirurgicale, quelque chose qui avait inquiété son père, mais il était déterminé à suivre la grève.

“Quand ils ont décidé de faire une grève de la faim, ils n’avaient pas le choix”, a déclaré Mahmoud. “Ils se battent pour leur humanité et leur dignité. Je n’ai pas d’autre choix que de le soutenir. Je lui souhaite à lui et à tous les autres le succès dans leur combat”.

14 mai 2017 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah