
Par Dana Besaiso
J’écris pour partager notre histoire, mais pour beaucoup d’autres raisons aussi, dont ma propre guérison.
« Pourquoi écrivons-nous ? « C’est une question que je me pose souvent.
Pour que le monde sache ? Mais le monde n’en a-t-il pas eu assez ? Le gens ne savent-ils pas ce que subissent les Palestiniens depuis 570 jours ?
La photo journaliste Fatma Hassouna – qui a été assassinée par les forces israéliennes le 16 avril, 2025, ainsi que 10 membres de sa famille, quelques heures après avoir appris qu’un documentaire dans lequel elle figure serait projeté au festival de Cannes – m’a dit une fois, « Ne cesse pas d’écrire, Dana. Le monde doit tout savoir, non dans leur propre intérêt, mais dans le nôtre. »
Nous écrivons pour nous-mêmes, pour notre souffrance partagée, pour notre histoire.
Nous écrivons pour les enfants palestiniens qui ne saurons jamais ce que « normal » signifiait avant que le génocide ne se produise. Pour qu’ils grandissent en sachant que vivre dans une tente n’est pas normal, que vivre avec des membres amputés n’est pas normal, que vivre sans l’un ou les deux parents n’est pas normal, qu’il n’est pas normal que leurs droits humains fondamentaux soient bafoués, et que les Palestiniens ne sont pas nés pour mourir mais pour vivre dignement comme tout le monde.
Nous écrivons pour les femmes palestiniennes qui créent la vie à partir de rien, et qui, au cœur de la destruction, de la violence, confrontées au déplacement, à la faim imposée, et à la peur, continuent de nourrir les leurs, de laver le linge à la main et sur les genoux, et créent un foyer à partir de rien.
Pour les femmes palestiniennes qui perdent leurs enfants depuis 75 ans.
Nous écrivons pour ceux qui nous sont chers – membres de la famille, amis, collègues, médecins, et professeurs – qui ont été faits martyrs par Israël.
J’écris pour Mohammed Hamo, Wael Besaiso, Ahmed Besaiso, Mohammed Besaiso, Yousef Dawas, Dr Refaat Alareer, Dr Adnan Al-Bursh, Lina Abu-Saffiyah, et pour tous les autres martyrs parce qu’ils avaient tous foi en leur message, en leur droit de vivre, et en leur appartenance à la terre palestinienne.
Nous écrivons pour les journalistes, les artistes, et les Palestiniens créatifs tels que Ismael Al-Ghoul, Hossam Shabat, Mahasen Al-Khateeb, Walaa Sa’ada, et Fatma Hassouna, qui ont été délibérément ciblés et tués par les forces israéliennes pour les réduire au silence.
Et pour tous ceux qui ont été enlevés à Gaza ; ils ont subi des tortures cruelles et inhumaines, ils ont été mis à nu, battus, dépouillés de leur dignité et violés.
J’écris à la mémoire de mon père, puisse-t-il reposer en paix ; cet homme courageux et résilient qui a passé sa vie entière à construire la meilleure vie possible pour nous, et pour que les chars israéliens détruisent sa tombe au bulldozer, nous privant ainsi de l’espoir de pouvoir nous y recueillir.
Les Israéliens n’ont même pas permis aux morts d’échapper à la violence et à l’agression.
Par amitié pour mes meilleures amies Luna, Roaa, et Fatma, que je n’ai pas pu voir et serrer dans mes bras depuis 570 jours. Toutefois, aucune distance, frontière, ni situation dramatique n’a pu briser nos liens.
J‘écris pour leur résilience, compassion, et leur humanité qui n’a pas fléchi malgré les épreuves traversées en ces pires moments.
J’écris au nom de ce que je pense être vrai, de ce que j’ai étudié, pour ne jamais plus décevoir quelqu’un. Quand j’ai suivi la formation de mes rêves, le droit, ce qui m’intéressait tout spécialement, c’était le droit international et les droits humains.
La naïve que j’étais à l’époque n’aurait jamais imaginé que ce qu’elle apprenait ne serait que de l’encre sur du papier, qu’aucune loi, aucune organisation, ou un quelconque type d’humanité ne nous protégeraient de la folie que nous endurons.
Mais j’écris pour que ceci mène à une renaissance du droit humanitaire international – tout comme la bataille de Solférino fut à l’origine de son existence – afin qu’il sauve ce qu’il reste de l’humanité mondiale en lambeaux.
Un sage m’a dit une fois, « La survie et la conscience vont de pair avec une grande responsabilité » celle d’être la voix des sans voix, la lueur d’espoir sur laquelle tous les autres peuvent s’appuyer, celle d’informer et de témoigner des atrocités auxquelles nous et notre peuple continuons d’être confrontés et d’utiliser cette voix pour que le monde n’oublie jamais.
Cependant, au cours de ce voyage en responsabilité, j’ai découvert quelque chose d’encore plus significatif : l’apaisement.
Un exutoire aux mots qui sont en moi, une aide à surmonter un traumatisme profondément enfoui, un moyen de gérer l’ingérable, d’exprimer ma pensée, de me comprendre, de trouver un réconfort chez ceux qui partagent ma douleur, et d’être entendue et vue.
Il se peut que nous écrivions pour nous-mêmes, mais dans la solidarité nous trouvons une consolation et une once de notre paix fragmentée.
Nous écrivons pour préserver nos souvenirs sensibles, qui choisissent silencieusement de laisser aller la douleur et de dissoudre les horreurs, tout en sachant que notre héritage repose sur ce que nous avons enduré et les sacrifices que nous avons faits, qui méritent d’être en temps voulu gravés dans la mémoire et jamais oubliés.
A des fins de validation et de documentation, nous sculptons notre vérité dans le temps, sachant que ce qu’il est resté de la Nakba de 1948 nous permet de comprendre ce qu’il se passe aujourd’hui.
Nous écrivons pour faire vivre l’espoir – que l’on peut trouver dans l’histoire de ceux qui ont aussi souffert d’injustice – que l’injustice ne dure jamais. Que la paix, la prospérité, et le bonheur sont quand même réalisables, sont à portée de main, et seront un jour atteints.
Nous écrivons pour la terre, afin que ce récit ne reste jamais un « récit » palestinien mais devienne un fait reconnu pour que le monde entier sache, entende, et n’oublie jamais.
Ainsi, pour répondre simplement à ma propre question, je dis, « J’écris pour donner un sens au monde, pour laisser une trace, et pour être à jamais gravée dans la mémoire de notre terre. »
Auteur : Dana Besaiso
* Dana Besaiso est diplômée en droit et croit en l'importance de la voix des Palestiniens et en leur capacité à changer le monde. Pendant ses études de premier cycle, elle s'est profondément intéressée au droit international, à la défense des droits humains et à la mise en lumière des violations des droits humains auxquelles les Palestiniens sont confrontés au quotidien.
L'objectif ultime de Dana est de retourner dans une Palestine libre et de contribuer à la mise en place d'un système juridique fondé sur la justice, la dignité et l'État de droit.
« Le pays ne se reconstruira pas sans l'aide de son propre peuple, et je veux faire partie de ce peuple. »
14 mai 2025 – We are not numbers – Traduction: Chronique de Palestine – MJB
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