
Manifestation de soutien à la Palestine le 13 octobre à Time Square, New-York - Photo : Alex Krales
Par Ramzy Baroud
Je me rends rarement à Rome sans m’arrêter au Campo de’ Fiori pour rendre hommage à Giordano Bruno, un philosophe italien qui, en 1600, a été brûlé vif sur un bûcher par l’Inquisition romaine. Son crime était d’avoir osé remettre en question des dogmes bien établis et de penser librement sur Dieu et la nature infinie de l’univers.
Alors que je me tenais sous son imposante statue, un étrange vacarme a soudainement éclaté, devenant de plus en plus fort à mesure qu’un groupe important de manifestants s’approchait.
Des dizaines de personnes de tous âges frappaient sur des casseroles et des poêles avec une ardeur pressante.
Après la première surprise et le moment d’incompréhension qui a suivi, il est devenu évident que cette manifestation était une tentative désespérée de sensibiliser la population à la terrible famine qui sévissait à Gaza.
En un rien de temps, d’autres personnes se sont spontanément jointes au mouvement, certaines applaudissant, arrivées sans avoir préparé leurs propres moyens de protestation. Les serveurs des osterias de la place ont instinctivement commencé à frapper sur tout ce qui pouvait produire du bruit, ajoutant à la clameur grandissante.
La place est restée immobile pendant un instant, vibrante de ce bruit collectif, avant que les manifestants ne se dirigent vers une autre place, leur nombre augmentant visiblement à chaque moment.
Dans les rues animées de Rome, les drapeaux palestiniens étaient les seuls drapeaux étrangers à occuper l’espace public. Ils étaient accrochés aux lampadaires, collés sur les panneaux de signalisation ou flottaient fièrement sur les balcons.
Aucun autre pays, aucun autre conflit, aucune autre cause n’a imprégné l’espace public aussi profondément que celui de la Palestine.
Bien que ce phénomène ne soit pas entièrement nouveau, la guerre et le génocide israéliens en cours à Gaza ont indéniablement amplifié cette solidarité, la poussant avec force au-delà des frontières traditionnelles de classe, d’idéologie et de lignes politiques.
Pourtant, aucun autre endroit en Italie ne peut vraiment être comparé à Naples. Les symboles palestiniens sont partout, imprégnant le tissu urbain comme si la Palestine était la préoccupation politique primordiale de toute la population de la région.
Ce qui était particulièrement fascinant dans la solidarité avec les Palestiniens dans cette ville dynamique, ce n’était pas seulement la quantité impressionnante de graffitis, d’affiches et de drapeaux, mais les références très spécifiques faites aux martyrs, aux prisonniers et aux mouvements palestiniens.
Des photos de Walid Daqqa, Shireen Abu Akleh et Khader Adnan, accompagnées de revendications précises adaptées à ce qui aurait été considéré, en dehors de la Palestine, comme des détails largement inconnus du public mondial, étaient affichées bien en évidence.
Comment Naples en est-elle arrivée à être aussi sensible à la cause de la Palestinine ? Cette question si importante dépasse largement les frontières de l’Italie et s’applique à de nombreuses villes à travers le monde.
Il est à noter que cette évolution majeure dans la compréhension profonde de la lutte palestinienne et le soutien généralisé au peuple palestinien se produit malgré le parti pris médiatique écrasant et implacable en faveur d’Israël et le harcèlement constant des militants pro-palestiniens par les gouvernements occidentaux.
En politique, une masse critique est atteinte lorsqu’une idée, initialement défendue par un groupe minoritaire, se transforme de manière implacable en un enjeu majeur. Ce changement crucial lui permet de dépasser le stade du symbole et commence à exercer une influence réelle et tangible dans la sphère publique.
Dans de nombreuses sociétés à travers le monde, la cause palestinienne a déjà atteint cette masse critique. Dans d’autres, où la répression gouvernementale étouffe encore le débat à sa racine, une croissance souterraine se poursuit néanmoins, laissant présager un changement inévitable et fondamental.
Et c’est précisément cette crainte qui hante de nombreux Israéliens, en particulier au sein des classes politiques et [prétendument] intellectuelles. Dans un article publié le 25 juillet dans le journal israélien Haaretz, l’ancien Premier ministre [et criminel de guerre] Ehud Barak a une nouvelle fois tiré la sonnette d’alarme.
« La vision sioniste s’effondre », a-t-il écrit, ajoutant qu’Israël est « enlisé dans une « guerre qui est un piège » à Gaza ».
Bien que la machine de propagande israélienne s’efforce sans relâche d’endiguer le flot croissant de sympathie envers la Palestine et la vague de colère contre les crimes de guerre d’Israël, elle continue pour l’instant de se concentrer sur la poursuite de l’extermination de Gaza, même au prix d’une condamnation et d’une indignation mondiales.
Cependant, lorsque la guerre finira enfin par s’arrêter, Israël déploiera sans aucun doute tous ses moyens, en recourant à de nombreux moyens tous plus vicieux et innovants les uns que les autres, pour diaboliser une fois de plus les Palestiniens et se glorifier de sa soi-disant « démocratie » et son prétendu « droit à se défendre ».
En raison de la force croissante de la voix palestinienne au niveau international, Israël a déjà recours à des Palestiniens qui défendent indirectement Israël en critiquant Gaza et en tentant de jouer le rôle de la victime pour « les deux camps ».
Cette tactique insidieuse est appelée à se développer de manière exponentielle à l’avenir, car elle vise directement à créer une profonde confusion et à monter les Palestiniens les uns contre les autres.
Les Palestiniens, les Arabes et tous les partisans de la justice à travers le monde, doivent saisir d’urgence cette occasion cruciale pour vaincre définitivement la Hasbara israélienne. Ils ne doivent pas permettre aux mensonges et aux tromperies israéliennes de définir une fois de plus le discours sur la Palestine sur la scène internationale.
Cette guerre doit être menée avec acharnement partout, et aucun espace ne doit être cédé, qu’il s’agisse d’un parlement, d’une université, d’un événement sportif ou d’un coin de rue.
Giordano Bruno a subi une mort des plus horribles et douloureuses, mais il n’a jamais renoncé à ses profondes convictions. Dans le mouvement de solidarité avec la Palestine, nous ne devons pas non plus faiblir dans la lutte pour la libération des Palestiniens et la condamnation des criminels de guerre, quels que soient le temps, l’énergie ou les ressources nécessaires.
Maintenant que la Palestine est enfin devenue une cause mondiale incontestée, l’unité absolue est primordiale pour garantir la poursuite de la marche vers la liberté, afin que le génocide de Gaza devienne le dernier chapitre douloureux de la tragédie palestinienne.
Auteur : Ramzy Baroud
* Dr Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle.
Il est l'auteur de six ouvrages. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappé, s'intitule « Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak out » (version française). Parmi ses autres livres figurent « These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons », « My Father was a Freedom Fighter » (version française), « The Last Earth » et « The Second Palestinian Intifada » (version française)
Dr Ramzy Baroud est chercheur principal non résident au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA). Son site web.
1er août 2025 – Transmis par l’auteur – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah
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