Palestine : Grève de la faim/Gaza, les deux faces d’une même médaille

Photo : Mohammed Asad/MEE
Des Palestiniennes attendent au poste-frontière de Rafah - Photo : Mohammed Asad/MEE

Par Richard Falk

En même temps que se déroulait le drame de la prison, Gaza subissait un approfondissement de sa crise prolongée qu’Israël manipule cruellement pour maintenir la population civile de presque deux millions au bord de la famine et dans la crainte permanente d’une offensive militaire.

La grève de la faim palestinienne de protestation contre les conditions de détention dans les prisons israéliennes a été suspendue le 27 mai au bout de 40 jours, à un moment où la santé d’un millier de grévistes se détériorait gravement. La plupart était alors hospitalisés, et la période sacré du Ramadan sur le point de commencer créant une continuité entre le jeûne diurne des fidèles et la protestation désespérée des grévistes antérieure. Le plus saisissant, peut-être, concernant cet acte extraordinaire de grève de la faim prolongée, massivement suivie, c’est qu’il a été considéré peu digne d’intérêt par les médias mondiaux et même les Nations Unies, qui ironiquement sont régulièrement accusées par les diplomates et les médias occidentaux d’être indûment préoccupées par les actes répréhensibles d’Israël.

Il faut reconnaître que recourir à une grève de la faim collective est une forme de résistance politique des plus éprouvantes, généralement provoquée par une brutalité prolongée, exigeant de la part des participants du courage et la volonté d’endurer de rudes épreuves, et de soumettre leur volonté au test le plus dur que la vie puisse offrir. Continuer de se priver de nourriture pendant 40 jours est à la fois potentiellement mortel et héroïque, un engagement jamais pris à la légère.

Avec Bobby Sands à leur tête, dix prisonniers de l’IRA, grévistes de la faim ont en 1981 poursuivi leur grève jusqu’à la mort. Le monde captivé a suivi, jour après jour, le déroulement de cet extraordinaire spectacle d’une mort auto-infligée. Sans ouvertement reconnaitre ce qui se déroulait sous leur yeux, les dirigeants politiques endurcis de Londres ont silencieusement pris acte du défit moral auquel ils étaient confrontés, modifiant brusquement leurs tactiques, et commencèrent à chercher un compromis politique pour l’Irlande du Nord d’une façon qui aurait été impensable sans cette grève.

Les Palestiniens ne peuvent nourrir de tels espoirs, à court terme du moins. Israël brouille délibérément les défis moraux et politiques ancrés en publiant des vidéos montrant le dirigeant de la grève, Marwan Barghouti, supposé prendre des ‘collations’ en secret. Le fait que cette accusation soit démentie par sa famille proche et son avocat n’est qu’occasionnellement rapporté par les médias mondiaux, et seulement comme un détail qui ne réduit pas l’impact du discrédit jeté sur l’authenticité de la grève. Que ce soit vrai ou non, Israël a réussi à détourner l’attention de la grève, et se garde bien de faire quoi que ce soit de significatif pour améliorer les conditions de détention, et encore moins de prendre des mesures pour mettre fin aux graves sévices exercés sur le peuple palestinien au cours d’une période d’une durée incroyable de 70 ans et sans fin en vue. Les autorités pénitentiaires ont immédiatement eu recours à des mesures punitives pour supplicier les prisonniers grévistes de la faim. Une telle réaction souligne le refus d’Israël ‘démocratique’ de traiter avec respect les formes non-violentes de résistance des Palestiniens.

En même temps que se déroulait le drame de la prison, Gaza subissait un approfondissement de sa crise prolongée qu’Israël manipule cruellement pour maintenir la population civile de presque deux millions au bord de la famine et dans la crainte permanente d’une offensive militaire. Le nombre de calories nécessaires à la survie est soi-disant utilisé comme point de repère par les autorités israéliennes pour restreindre le flux d’aliments vers Gaza. Et comme cela semble insuffisant pour imposer le niveau de contrôle draconien recherché par Israël, trois attaques massives et d’innombrables incursions depuis la fin de 2008 ont infligé de lourdes pertes à la population civile de Gaza et causé d’énormes dégâts, désastres cumulés pour cette population captive, pauvre et totalement vulnérable. Dans un tel contexte, que le Hamas riposte avec les armes dont il dispose, même si aléatoires est tout à fait prévisible même si c’est en contravention avec le droit humanitaire international.

Un éminent intellectuel résident de Gaza, Haider Eid, a récemment écrit du front de la criminalité israélienne ininterrompue et flagrante une dépêche poignante intitulée « De Gaza et l’horreur du blocus ». M. Eid termine son essai sur ces lignes dérangeantes :

« Nous comprenons parfaitement que la rétention délibérée de nourriture ou des moyens de la produire sous quelque forme que ce soit est encore une autre stratégie d’occupation, de colonisation et d’apartheid mise en oeuvre par Israël en Palestine et par conséquent, devrait être considérée comme une anomalie, et même un pogrom ! Mais ce que nous à Gaza ne pouvons concevoir c’est : pourquoi laisse-t-on faire ? »

En ce début de Ramadan, Haider Eid exhorte le monde à s’opposer ce qu’il appelle un ‘génocide progressif ‘ « en répondant à l’appel du BDS lancé par la société civile palestinienne. »

Il est tout à fait révélateur que M. Eid s’adresse à la société civile plutôt qu’à l’Autorité palestinienne chargée de représenter le peuple palestinien sur la scène internationale ou qu’il n’en appelle pas à relancer ‘le processus de paix’ qui s’est prolongé pendant vingt ans dans le Cadre des pourparlers d’Oslo, et qu’il ne s’adresse pas plus à l’ONU qui a accepté d’endosser la responsabilité après que la Grande Bretagne eut renoncé à son mandat sur la Palestine à la fin de la deuxième guerre mondiale. Ces modes conventionnels de résolution des conflits ont tous échoué, tout en aggravant constamment la situation du peuple palestinien et en nourrissant l’ambition du mouvement sioniste d’atteindre son ambition d’expansion territoriale.

Et au-delà, M. Eid remarque que l’autorité dont jouit le BDS vient d’un appel palestinien faisant autorité auquel les peuples du monde sont priés de répondre. S’affranchir ainsi d’une délégation de pouvoir intergouvernementale venue d’en haut et accepter la délégation de pouvoir confiée par un peuple victime et ses représentants authentiques incarne l’espoir palestinien d’un avenir plus humain, et de la réalisation à terme de leurs droits longtemps déniés.

Il convient de lier dans notre imaginaire moral les épreuves que vivent les détenus des prisons israéliennes à celles du peuple de Gaza, sans oublier cette réalité fondamentale inclusive – le peuple palestinien dans son ensemble, quelle que soit la situation particulière de chacune de ses entités, est la victime d’une structure israélienne de domination et de discrimination sous une forme qui constitue l’apartheid et sous différentes formes de captivité.

Il semble que la grève de la faim n’ait pas incité Israël à satisfaire bon nombre des revendications des grévistes concernant de meilleures conditions de détention. Ce qu’elle a réussi à faire c’est rappeler aux Palestiniens et au monde les dons de dirigeant consentis par Marwan Barghouti, et à sensibiliser la population palestinienne à l’impératif moral et politique d’entretenir la résistance et de la manifester plutôt que de céder au désespoir, à la passivité et la soumission. Des Israéliens et certains de leur plus fervents partisans parlent ouvertement de déclarer la victoire pour eux mêmes et la défaite pour les Palestiniens. Indépendamment de notre identité ethnique ou religieuse, nous qui vivons en dehors du cercle de l’oppression israélienne devrions faire tout ce qui est en notre pouvoir pour empêcher tout ce qui prolonge la souffrance injuste des Palestiniens ou l’accepte comme inévitable.

Ce qui est innommable doit devenir infaisable.

29 mai 2017 – The Palestine Chronicle – Traduction: Chronique de Palestine – MJB