
Manifestation à rabat, le 11 févrire 2024 - Photo : réseaux sociaux
Par Ali Anouzla
Les responsables marocains vivent-ils dans le même monde que nous, ou sont-ils passés sur une autre planète, où les images de Gaza en flammes et les cris des victimes tombant chaque jour sous la machine infernale d’extermination n’atteignent jamais leurs oreilles ?
N’ont-ils pas vu les horribles massacres retransmis en direct et entendu les cris tremblants sous les décombres ? N’ont-ils pas entendu l’écho des menaces nazies proférées par les « fous de Tel-Aviv », jurant de brûler les Palestiniens et d’expulser les autres au-delà du système solaire ?
Même les déclarations timides et confuses assimilant le bourreau à la victime étaient absentes des coupures de presse de l’agence de presse officielle marocaine, comme si le ministère marocain des Affaires étrangères n’avait plus de dictionnaire, ou que son dictionnaire diplomatique avait été confisqué le jour de la normalisation des relations avec Israel, ne laissant qu’un vide inquiétant et un silence chargé de honte.
N’avez-vous pas affirmé, lors de la signature des maudits « Accords d’Abraham », que la normalisation ne se ferait pas au détriment de la Palestine ? N’avez-vous pas juré que la cause resterait sacrée et non négociable ?
Alors, où est passée cette sacralité ? Où sont vos serments, vos promesses et vos engagements ? Où sont les principes que vous avez érigés en slogan ? Comment pouvez-vous tendre la main aux assassins d’enfants sans voir le sang couler de leurs doigts ?
Est-ce la peur ? Est-ce la collusion ? Ou ce sont des intérêts qui ont aveuglé votre vision au point de ne plus pouvoir distinguer la victime du bourreau ?
Avez-vous oublié le cri du poète face à son prince lorsque l’ennemi voulait le couronner de la couronne de l’émirat : « Comment peux-tu marcher sur le cadavre du fils de ton père ? Le cœur d’un étranger est-il comme le cœur de ton frère ?! Ses yeux sont les yeux de ton frère ?! »
Quel sens a l’aide humanitaire, considérée comme symbolique pour vous, si des navires d’armes transitent par vos ports pour se rendre auprès du même tueur qui assassineceux à qui vous tendez la main ?
Quelle logique absurde accepte cette duplicité flagrante qui fait d’une boîte de sardines ou d’une brique de lait, présentées aux caméras, un substitut à une position politique morale digne de l’histoire d’un pays comme le Maroc et de son peuple ?
Votre aide, aussi noble soit-elle, est devenue davantage une image télévisée qu’une véritable position politique. Les briques de lait et de sardines, les bidons d’huile et de sucre sont exhibés par les caméras de la télévision d’État comme une grande victoire, tandis que la machine militaire, soutenue par votre normalisation, écrase les affamés sous les décombres.
Et pour couronner le tout, vous attendez de ceux qui ont faim, attendant leur mort, qu’ils vous remercient d’avoir reçu une boîte de nourriture avant d’être exécutés par la machine à tuer avec laquelle vous normalisez ?
Comment pouvez-vous regarder dans les yeux une femme qui nourrit son enfant avec votre lait en poudre, sachant que son tueur, votre nouvel ami, les massacrera tous les deux, elle et son enfant, sous peu ?
Est-ce suffisant pour vous de prendre une photo avec une personne affamée avant son exécution, souriant en signe de gratitude et d’appréciation pour votre noblesse, votre générosité et votre humanité, pour nettoyer le visage de tout un pays que vous avez souillé avec la honte de votre normalisation et la honte et la bassesse de votre silence ?
Les ministres arabes des Affaires étrangères se sont réunis au Caire il y a quelques jours et ont tous condamné le génocide. Seul le ministre marocain des Affaires étrangères a ravalé sa langue et n’a pas prononcé un mot sur l’Holocauste du siècle.
C’est ce même diplomate marocain qui, en pleine normalisation « secrète » avec Israël, avait récupéré l’étal d’un vendeur ambulant palestinien confisqué par les soldats d’occupation, et considérait cette initiative comme un grand exploit !
Aujourd’hui, alors que des milliers d’enfants, de femmes et d’hommes ont été massacrés, brûlés et exécutés, que tout Gaza a été incendié, que toutes les villes, quartiers et camps de la bande de Gaza ont été détruits, que des maisons ont été démolies, des terres ont été confisquées et des champs ont été rasés au bulldozer en Cisjordanie, et que des lieux saints à Jérusalem et Hébron ont été profanés, qu’a fait l’ambassade du Maroc à Tel-Aviv ?
Qu’avez-vous fait pour défendre votre ambassadeur à Tel-Aviv lorsque les soldats d’occupation l’ont expulsé de Cisjordanie et l’ont criblé de balles réelles ?
Votre silence diplomatique demeure terrifiant. Pas un mot d’« inquiétude », de « colère », ni même un simple « dégoût » n’est sorti de votre bouche pour sauver le peu d’humanité qu’il vous reste ? Tandis que des pays européens, dont les représentants ont été exposés à la même situation, ont condamné et dénoncé, et se sont enflammés, et certains ont rappelé leurs ambassadeurs ou convoqué les ambassadeurs israéliens pour les informer que le déluge avait atteint ses limites.
Alors, quand vous libérerez-vous de votre peur, sortirez-vous de votre pesant silence, et annoncerez-vous que votre patience est à bout, et que les crimes commis par vos amis ne sont plus supportables ?!
Même les pays occidentaux, qui avaient initialement soutenu la guerre d’extermination, ont commencé à reconsidérer leurs positions. Le président français Emmanuel Macron, qui s’était précipité à Tel-Aviv le lendemain du « déluge d’Al-Aqsa » pour proposer une alliance militaire internationale contre la résistance palestinienne, se mobilise désormais pour une reconnaissance internationale la plus large possible de l’État de Palestine.
Non à la trahison : le peuple marocain refuse la normalisation avec Israël
L’Espagne, votre voisin du nord, a pris des mesures audacieuses, interdisant les exportations d’armes et fermant son ciel, sa terre et sa mer à toute arme susceptible de tomber entre les mains des meurtriers israéliens. Elle a rappelé son ambassadeur à Tel-Aviv et a affronté les fascistes avec courage et franchise, au grand jour.
Même les Émirats arabes unis, parrains de la normalisation qui vous y a entraînés, ont trouvé le « courage » de dénoncer l’occupation par des déclarations et des menaces. Seul le Maroc a enfoui la tête dans son silence stratégique, comme s’il n’avait ni voix, ni histoire, ni mémoire, et n’avait pas un peuple qui descend dans les rues et sur les places chaque vendredi pour scander le soutien à la Palestine.
Le Maroc n’est pas un pays marginal. Son histoire est longue, son monarque préside le Comité Al-Qods et la lutte de son peuple est bien connue. Il lui suffit d’être la seule nation arabe à considérer la Palestine comme sa propre cause nationale.
Depuis deux ans, il organise des marches et des manifestations hebdomadaires en solidarité avec les Palestiniens dans toutes les villes et tous les villages, y compris ceux marginalisés et oubliés, et ce, sans autorisation officielle.
Les gens connaissent le chemin des arènes de lutte car la cause est gravée dans leur mémoire collective. Apprenez de votre peuple, car il est votre dernière ligne de défense, et sa voix est le dernier honneur avec lequel vous préservez l’histoire des positions de votre pays.
Persister dans cette normalisation des relations avec un ennemi fasciste sanguinaire n’a jamais été une politique ni une stratégie. C’est plutôt une insulte à la mémoire d’une patrie qui a façonné ses positions et son histoire en répétant que la Palestine est son miroir.
Écoutez le Premier ministre espagnol, Pedro Sánchez, lorsqu’il a déclaré vouloir que son pays soit du « bon côté de l’Histoire ». Ne poussez pas votre pays vers le côté obscur avec une poignée de criminels nazis et néo fascistes.
L’Histoire est impitoyable, les peuples n’oublient pas, les victimes ne pardonnent pas, et votre peuple ne vous pardonnera jamais.
Réveillez-vous de votre torpeur, ou de votre complicité, avant que les pages de l’histoire ne se referment et que vos noms ne soient gravés dans le registre éternel de la honte.
Auteur : Ali Anouzla
* Ali Anouzla est un journaliste et écrivain marocain, directeur et rédacteur en chef du site d'information Lakome.com. Il est le fondateur et l'ancien rédacteur en chef de plusieurs journaux marocains. Ali Anouzla est un défenseur des droits de l'homme, qui dénonce les violations des droits perpétrées au Maroc et au Sahara Occidental. Cela lui vaut de nombreux démélés avec le pouvoir et donc la justice, au Maroc.
10 septembre 2025 – Al-Araby – Traduction : Ahmed Bensddik
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