Même dans la mort, les Palestiniens subissent les violations les plus iniques

La semaine dernière, une mère palestinienne s'est accrochée à la tombe de son fils alors que les forces israéliennes tentaient de l'enlever de force- Photo: Mostafa Alkharouf via Al-Jazeera

Par Andrew Mitrovica

La dernière profanation en date a eu lieu au cimetière al-Yusufiyah, un cimetière musulman vieux de plusieurs siècles situé dans la Jérusalem occupée.

Rien, même pas la mort, semble-t-il, ne protège les Palestiniens contre les autorités israéliennes d’occupation qui s’acharnent à les dépouiller de leur dignité et de leur humanité.

La dernière profanation en date a lieu au cimetière d’al Yusufiyah, un cimetière musulman vieux de plusieurs siècles situé dans Jérusalem occupée.

La semaine dernière, des machines israéliennes ont commencé à raser l’intérieur et les abords du cimetière pour faire place à un soi-disant “sentier biblique”, une série de parcs à thème en cours de construction dans le sud de la vieille ville.

Dimanche dernier, un tribunal israélien a confirmé les travaux de “nettoyage”. Et ce, bien que des restes – apparemment de soldats jordaniens – aient déjà été déterrés et exposés au grand jour dans une section du cimetière que les autorités israéliennes ont déclarée “non autorisée” – quoique cela veuille dire.

Cette violation ignominieuse a déclenché une panique compréhensible chez les Palestiniens, qui craignent que leurs proches enterrés ne subissent le même sort.

La promesse israélienne que les “sites funéraires autorisés” – quoique cela signifie – ne seraient pas endommagés n’a guère apaisé les craintes des Palestiniens.

Le cheikh Muhammad Hussein, grand mufti de Jérusalem, a déclaré à l’agence de presse Reuters que le parc à thème, dont l’ouverture est prévue pour la mi-2022, constitue une agression sacrilège contre le cimetière antique.

“Les tombes des êtres humains ne peuvent être violées, quels que soient leur sexe, leur nationalité ou leur religion”, a-t-il déclaré.

Des photos et des vidéos de la scène montrent des pelleteuses en train de niveler le terrain au milieu des tombes musulmanes “autorisées”.

Une mère palestinienne ne l’a pas accepté.

Vêtue de noir, Ola Nababteh s’est drapée sur la tombe de son fils comme un linceul vivant. C’était, à la fois, un acte de défi et de résistance, alimenté par l’amour et l’instinct d’une mère pour protéger un fils qu’elle a perdu il y a quatre ans et qu’elle pleure toujours.

“Ils menacent sans cesse de détruire les tombes au bulldozer”, a déclaré Nababteh. “C’est le sommet de la brutalité”.

Comme on pouvait s’y attendre, la détermination de Nababteh à protéger le caractère sacré de la tombe de son fils a déclenché une opération policière d’une force écrasante. Des dizaines de policiers israéliens armés jusqu’aux dents ont encerclé Nababteh alors qu’elle sanglotait en s’agrippant à la pierre tombale de son fils ornée d’une boîte rouge remplie de fleurs séchées.

Pendant ce temps, les bulldozers s’activaient tout autour.

Une jeune femme palestinienne a tenté de se porter au secours de Nababteh et de la consoler. Elle en a été brutalement empêchée par la police israélienne qui a arraché tout aussi brutalement les bras de Nababteh de la tombe de son fils.

Nababteh a défié la police du mieux qu’elle a pu en se laissant tomber contre la pierre tombale. Au bout d’un moment, elle s’est relevée. Un policier l’a attrapée par le cou et la gorge pour l’expulser du cimetière. Armés de matraques, les policiers ont également tiré des grenades assourdissantes et des canons à eau pour disperser les Palestiniens inquiets qui s’étaient rassemblés à proximité.

Mais cela n’a pas découragé Nababteh.

“Je vais continuer à rester avec mon fils 24 heures sur 24”, a-t-elle déclaré. “Même s’ils me tuent, je ne partirai pas d’ici. Je ne permettrai pas que la tombe de mon fils soit rasée”.

En fin de compte, c’est l’État d’Israël qui décidera du sort de Nababteh et du lieu de repos de son fils – au diable le droit international, les droits de l’homme et la décence !

Les Palestiniens emprisonnés n’ont que peu, voire pas du tout, de pouvoir sur leur vie et leur avenir, y compris, apparemment, sur le lieu où ils peuvent ou ne peuvent pas être enterrés.

Mais, bien sûr, Arieh King, maire adjoint de Jérusalem, ne voit pas les choses comme ça. Il a déclaré à l’agence Reuters que c’est pour sa propre sécurité que la police a expulsé Nababteh du cimetière et il a laissé entendre qu’elle devrait être reconnaissante pour les fouilles menées dans le cimetière et à proximité, puisque le nouveau parc permettra aux Palestiniens de venir plus facilement dans la vieille ville.

Il s’agit du même King dont le journal israélien Haaretz a dit qu’il était “surtout connu” pour avoir été “accusé de racisme” après avoir, entre autres actions détestables, comparé l’appel à la prière des musulmans au chant du coq, dans ses affiches de campagne électorale, et expulsé des familles palestiniennes des belles maisons ancestrales qui leur sont chères, dans le quartier assiégé de Sheikh Jarrah.

Je présume que Nababteh et les autres familles palestiniennes dont les proches sont enterrés au cimetière d’al-Yusufiyah savent que, compte tenu du bilan peu glorieux de King, le maire adjoint n’a certainement pas leur sécurité à cœur. Il est donc peu probable qu’ils expriment leur gratitude pour son, euh… hospitalité et son parc à thème.

Les menaces et la coercition auxquelles sont confrontés les Palestiniens qui s’occupent du cimetière d’al-Yusufiyah sont un microcosme des “circonstances actuelles” en Palestine occupée auxquelles l’auteure irlandaise Sally Rooney a fait allusion lorsqu’elle a décidé le mois dernier de ne pas autoriser la traduction en hébreu de son dernier ouvrage de fiction par un éditeur israélien.

C’est une des innombrables dépossessions, menaces, indignités et obscénités que les Palestiniens subissent depuis longtemps.

La modeste, mais réfléchie, expression solidarité de Rooney avec des Palestiniens comme Nababteh a fait immédiatement l’objet, dans la presse et sur les ondes, de violentes attaques pour la dévaloriser, la tourner en dérision, la couvrir de ridicule et la vouer aux gémonies, avec la sorte de jubilation juvénile habituellement réservée aux premiers ministres et aux présidents délinquants, et non aux auteurs accomplis de 30 ans.

La détermination de Rooney à mettre en lumière la douleur et la souffrance trop souvent invisibles des Palestiniens et les réactions qu’elle a suscitées ont attiré l’attention parce qu’elle est quelqu’un de connu.

Nababteh est une inconnue – une inconnue palestinienne, qui plus est. En dehors d’Al Jazeera, de Reuters et de quelques sites d’information basés au Moyen-Orient, ce qui lui est arrivé dans le cimetière d’al-Yusufiyah n’a fait l’objet d’aucune attention particulière de la part des rédacteurs en chef des journaux télévisés et de la presse d’opinion qui ont mobilisé une armée de reporters et de chroniqueurs assoiffés de sang pour disséquer et éviscérer Rooney (quelqu’un) qui avait soutenu Nababteh (personne).

Dans leurs esprits pervertis, le geste de soutien de Rooney aux Palestiniens “qui luttent pour la liberté, la justice et l’égalité” mérite leur colère et leur indignation mais pas les dépossessions, les menaces, les indignités et les obscénités qui l’ont suscité.

Israël sera toujours innocent. Sally Rooney sera toujours considérée comme une crétine manipulée pour avoir contesté, même légèrement, l’ “innocence” d’Israël. Et Ola Nababteh, une Palestinienne, restera une inconnue qui ne compte pas.

Les politiciens, dont l’opportunisme et la complaisance n’étonnent plus personne, n’ont rien trouvé à dire après qu’Israël a annoncé la semaine dernière que plusieurs groupes palestiniens de défense des droits humains – qui ont documenté les outrages et les abus dont les Palestiniens sont victimes encore et encore – sont des refuges pour les “terroristes”.

Lentement mais sûrement Israël est en train d’officialiser le fait que tout Palestinien qui tente de quelque manière que ce soit, à n’importe quel moment, de mettre en lumière, documenter ou résister à la persécution israélienne des Palestiniens en Palestine occupée, est un “terroriste” qui peut être perquisitionné, arrêté et emprisonné aussi longtemps qu’Israël le souhaite – et le plus souvent à l’isolement.

Je suis surpris que Nababteh n’ait pas été arrêtée comme “terroriste” pour avoir osé protéger la tombe de son fils d’une éventuelle démolition.

Elle, comme toutes les familles palestiniennes qui ont un être cher enterré au cimetière d’al-Yusufiyah, devra se fier à la promesse d’un maire adjoint accusé de “racisme”, qui est fier d’expulser les Palestiniens de leurs maisons pour faire de la place à de plus en plus de colons extrémistes, et d’un État qui considère peu ou prou, la plupart des Palestiniens comme des “terroristes”, que le cimetière ne sera pas entièrement détruit – du moins pour le moment.

Traitez-moi de crétin manipulé ou pire si vous voulez, mais Ola Nababteh et les autres familles palestiniennes en deuil ont de bonnes raisons de ne pas les croire et de rester sur leurs gardes.

1er novembre 2021 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet